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Quand les policiers s'initient à la civilisation arabo-musulmane


Qui a inventé le papier ? L'algèbre ? Les chiffres modernes ? L'astrolabe ? Les quelque soixante policiers de tous grades, du gardien de la paix au commissaire, présents, vendredi 21 janvier, au Centre national d'études et de formation (CNEF) de la police à Gif-sur-Yvette (Essonne), savent désormais qu'ils doivent ces découvertes à "la civilisation arabo-musulmane". L'initiative était une première. Depuis une bonne dizaine d'années, la formation continue des policiers s'intéresse à l'islam ; elle mettait toutefois l'accent sur le radicalisme religieux et le terrorisme qui en découlent. Cette fois le parti pris était "culturel", selon la revendication du directeur du CNEF, le commissaire Yves Nicolle. Les deux conférencières, Marie-Hélène Bayle et Yasmina Dahim, n'ont donc parlé qu'art, science, poésie et histoire.

Habitués des beurs, des banlieues et des imams, les auditeurs ont entendu des noms, ceux du philosophe Averroès ou du médecin Avicenne, symboles d'une ère musulmane florissante, celle du Moyen Age. L'objectif de ces rencontres est pourtant tout à fait contemporain. "Elles permettent de montrer aux participants comment des attitudes racistes peuvent naître des préjugés", explique M. Nicolle, avant d'ajouter : "Cela peut contribuer à améliorer l'accueil du public musulman dans les commissariats."

Mieux connaître l'environnement culturel de ses interlocuteurs devient un atout sur le terrain. Ainsi, à Gif, les policiers ont appris que le mariage religieux musulman est une invention des islamistes. "Le mariage se présente traditionnellement sous la forme d'un contrat passé devant un juge, le cadi", précise Mme Bayle. "Grâce à toutes ces informations, nous les comprendrons mieux, estime un officier des renseignements généraux de Nancy (Meurthe-et-Moselle), et nous pourrons échanger avec eux ; ces connaissances renforcent notre crédit auprès des associations avec lesquelles nous sommes régulièrement en contact."

"PAS UNE RELIGION FIGÉE"

Le souci de revaloriser le passé n'a pas empêché les deux conférencières d'aborder les tendances actuelles de l'islam. Selon elles, les formes les plus radicales sont loin d'occuper l'ensemble du paysage. "L'islam est passé à l'Ouest - en Europe -, et on assiste à de nouvelles formes de religiosité", a indiqué Mme Dahim à son public. "La réislamisation se traduit notamment, poursuit-elle, par l'essor des confréries soufies qui défendent une approche mystique et individuelle de la foi."

Dans sa version contemporaine, la religion musulmane recourt parfois aussi aux techniques du marketing. Aux auditeurs étonnés, Mme Dahim a appris l'existence d'un célèbre "télé-coraniste" diffusé sur une chaîne de télévision du Caire (Egypte), qui n'a rien à envier aux télé-évangélistes protestants. Comme ses collègues américains, il prêche en direct, et ne ménage pas ses conseils, y compris sur tous les aspects de la vie quotidienne. Comme eux aussi, il s'apparente au courant néofondamentaliste.

L'islam a-t-il souffert de sa collusion avec la politique depuis la révolution iranienne en 1979 ? Les musulmans de France ne sont-ils pas engagés dans une sorte de repli communautaire par nationalité, les Marocains avec les Marocains, les Algériens avec les Algériens ? L'islam à la française est-il compatible avec la laïcité ? Les quelques questions qui ont suivi les exposés se concentraient sur l'actualité. Sans y répondre toujours avec précision, les deux conférencières ont délivré le même message : "L'islam n'est pas une religion figée." Les policiers présents en sont volontiers convenus. Etaient-ils représentatifs de l'ensemble de leurs collègues ? Le directeur du CNEF a suggéré d'organiser de nouvelles sessions d'"initiation à la civilisation arabo-musulmane". Cette fois, il avait dû refuser du monde.

Pascal Ceaux
Source: Le Monde

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