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Evangélisation : Les marocains chrétiens

Une église protestante arabophone, une église évangélique américaine rassemblent clandestinement les Chrétiens marocains. Du processus initiatique aux divergences dogmatiques, récit de l'intérieur.

Un crucifix spartiate et des psaumes accrochés au mur, un intérieur cossu mais sans fioritures, ce néo-protestant, marocain de souche, assume pleinement son identité religieuse. Comme lui, ils sont au bas mot 7000 dont 2000 à Casablanca à avoir embrassé les voies messianiques de cette religion connue pour être le socle fondateur des néo-conservateurs américains. Si le phénomène d'évangélisation a toujours existé au Maroc, essentiellement européen et d'essence catholique, la nouveauté réside depuis une dizaine d'années dans l'arrivée de missionnaires de l'ombre, protestants suisses et anglo-saxons, pour propager dans un milieu apparemment hostile des valeurs et idéaux inconnus du Maroc contemporain. L'Eglise protestante, qui bénéficie officiellement (pour les protestants étrangers résidents au Maroc) de plusieurs lieux de culte à Casablanca et Rabat, est la seule à avoir envisagé une stratégie missionnariste au Maroc envers les populations musulmanes de souche.

Tout le monde est visé
Une stratégie à deux leviers et à deux têtes axée d'une part sur le narcissisme de la bourgeoisie marocaine plus prompte à adhérer à un protestantisme anglo-saxon reposant sur la sélection naturelle et divine (le converti est un élu choisi par Dieu). Et d'autre part, des Marocains moins nantis, plus défavorisés, séduits par un protestantisme européen plus égalitaire et dogmatiquement plus proche de l'islam. Qui sont-ils et comment ont-ils basculé dans une société profondément ancrée dans l'islam dans des religions qui peuvent leur valoir l'opprobre social. Les néo-protestants baptistes anglo-saxons sont présents au Maroc depuis une dizaine d'années. Issus de la bourgeoisie marocaine, ils sont passés par un processus initiatique reposant sur le rejet de la religion d'origine. Rassemblés dans des lieux de culte clandestins dont le nombre de fidèles ne dépasse pas les 15 personnes, ils vivent leur croyance dans le plus total des secrets.

Les « cellules » sont disséminées à travers les villes et chapeautées par des pasteurs quasi-systématiquement d'origine étrangère. Elles ne sont pas organiquement reliées entre elles pour des raisons de sécurité et « les fidèles » d'autres églises n'ont pas de lien entre eux. La conversion est un processus qui peut prendre plusieurs années. Coopté par un membre, le futur fidèle participe à sa première messe où on lui remet un polycopié retraçant les différentes étapes de l'initiation. S'il accepte, il aura droit à une leçon quotidienne... pendant cinquante jours d'affilée.

L'essentiel du contenu « pédagogique » concerne la miséricorde divine, l'amour et le pardon et le détachement « nécessaire et salvateur » de l'islam. Après cette première étape, les « fidèles » sont conviés aux messes dominicales qui se déroulent dans les maisons de particuliers, où le pasteur prêche la bonne parole aux « ouailles sauvés par Jésus ». Plus rarement, des intervenants extérieurs viennent raconter leur expérience personnelle. Le télévangeliste Josh Mc dowell, invité récemment par le gouvernement marocain a ainsi rendu visite aux chrétiens marocains. Le soubassement de la religion baptiste repose sur une relation directe avec Dieu : résultat chacun des actes quotidiens repose sur la prière. Prier avant d'aller voir un client pour un commerçant évangélique est un acte tout à fait anodin. Les prières communes sont très régulières. Pour la réélection du président G.W. Bush, des séances ont ainsi été régulièrement organisées. Car les baptistes marocains sont en accord total avec la politique du président américain et sont pour certains, pour des raisons religieuses, pro-israeliens (le peuple juif est un peuple élu mais égaré). C'est le principal point de discorde avec les protestants arabophones solidaires du peuple palestinien et profondément en désaccord avec la politique américaine. Christianisés dès le début des années 70, ils ont comme les kabyles algériens, adopté une posture religieuse identitaire de rejet de l'arabité et de son corollaire l'islam.

Toutes les tentatives de relier les deux formes de protestantisme ont échoué pour des raisons essentiellement politiques (A titre d'exemple, la dernière rencontre programmée entre des cellules des deux courants devait avoir lieu au moment de l'Aïd Seghir mais a été annulée à la dernière minute) mais aussi pour ce que les arabophones qualifient de comportement sectaire chez les baptistes.

L'auto-surveillance entre les membres de l'église baptiste, la coupure systématique des fidèles avec leur environnement, les divorces conseillés avec les conjoints qui refusent de renier l'islam, les psychologues baptistes chargés de dénouer les nœuds existentiels des « fidèles », les séances de « catéchisme » destinées exclusivement aux enfants et le suivisme sans équivoque du modèle de vie américain (les « fidèles » s'habillent, mangent lisent américain) donnent en effet une coloration sectaire aux baptistes marocains. Une dangerosité qui est liée à l'environnement marocain empêchant la liberté de culte au grand jour.

Source : Le Journal Hebdomadaire

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