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Corse : Karim, Hassan et les autres…

Ils sont nés en corse de parents marocains et habitent une cité d’ajaccio. S’ils n’ont jamais été victimes d’actes violents, ils décrivent la défiance banale dont ils sont les victimes. ce qui les pousse aujourd’hui à désespérer de l’île et à vouloir la quitter




Karim, Hassan et les autres…
Bien sûr il y a « l’Arabe de service ». Dans tous les sens du terme. Celui qui boit son pastis comme les autres. Qui se bourre la gueule et qui, signe d’intégration finale, s’est fait enlever son permis comme ses copains de comptoir. Il joue au tiercé. Il est le copain de tout le monde. Et tout le monde est son copain. D’ailleurs si « quelqu’un le touche » ils seront là pour le défendre. Comme il est là pour eux. Pour leur filer un coup de main, « planquer un truc » ou « faire une commission ».

Tout cela n’empêche pas ses copains corses de lui faire des vannes sur le ramadan qu’il ne respecte pas. Sur « Al Quaïda » dont-il fait forcément partie. Sur Ben Laden ou Sadam Hussein qu’il a évidemment planqué dans sa cuisine… Rien de bien méchant.
Il y a les autres aussi. Ceux du village. Des bosseurs discrets qui passent le matin prendre leur café au bar. A qui l’on dit « Salam Alleikoum ». Et pour qui tout le monde a un mot gentil. Ceux-là non plus il ne faut pas les toucher.

Comme toutes les jolies minettes de la deuxième ou troisième génération qui, habillées comme des Ajacciennes, « passent partout ». Peuvent « rentrer en boite » à la différence de leurs frères. Et même sortir, voire se marier avec des Corses. Pas comme leurs frangines qui ont le mauvais goût de porter le « Hijab », signe extérieur de volonté de « non-intégration ».

Pour les jeunes « mâles », c’est une autre histoire. Karim, 22 ans, un exemple parmi d’autres, n’arrive plus à envisager son avenir en Corse. « Ici, affirme-t-il, c’est l’âge de pierre et je crois qu’il faudra des années pour que ça évolue, si ça arrive à évoluer… Beaucoup, surtout chez les jeunes des villes ne supportent pas qu’un Arabe puisse être aussi bien qu’eux, voire mieux qu’eux. Qu’il travaille, qu’il gagne bien sa vie, qu’il ait une belle voiture, qu’il fréquente les mêmes endroits qu’eux, qu’il sorte avec une continentale ou une Corse. » Pourtant, il fait la différence entre ce qu’il appelle « les vrais Corses » qui, comme il le dit, « ont gardé le sens de l’accueil, de la solidarité » et qui « dans les villages continuent à bien te recevoir ». Et ceux des villes qui te regardent « comme si t’étais de la merde ». « Souvent , explique-t-il , les pires ce sont les nouveaux Corses (« les faux Corses qui se montent la sègue » dit-il) des Italiens, des Sardes ou des Portugais qui se prennent pour ce qu’ils ne sont pas ». Ou alors des jeunes, des « filles ou des fils à papa qui vivent avec l’argent de leurs parents, qui ne glandent rien et qui, surtout ne veulent pas faire les boulots que l’on fait nous ».

Hassan, un ami de Karim qui, comme lui, habite un quartier populaire d’Ajaccio aux allures de cité de banlieue, lui aussi est bien amer. « Ce qui me fait le plus mal, raconte-t-il, c’est pas les agressions puisque, honnêtement, j’en ai jamais été victime, mais c’est le regard que portent les autres sur moi, ou leur changement d’attitude suivant les circonstances ». Hassan, qui est livreur dans un grand magasin, rencontre beaucoup de monde : « Quand je vais chez les gens, ils me saluent, me reçoivent bien et puis, lorsque je les rencontre en ville ils font semblant de ne plus me connaître. C’est pareil pour certains voisins corses qui ne me calculent plus en dehors du quartier, ou pour d’anciens copains d’école ou des mecs avec qui j’ai joué au foot ».

Pour les filles, c’est pire. « Il y a des mecs qui ne supportent pas que l’on se promène avec une copine ou une petite amie corse. » Aziz, un de leurs amis qui sort depuis des années avec une jeune corse doit maintenant se cacher. « Avant, on se promenait ensemble, on allait boire des pots, raconte-t-il. Et puis un jour, elle m’a dit que sa famille lui faisait des reproches. Alors depuis, on se voit en douce rien que pour baiser. C’est hypocrite et malsain ». Sans parler, disent-t-il de leurs copains qui se font casser la gueule pour un prétexte quelconque. Tout simplement parce qu’ils fréquentaient des filles corses…

Et, dans ces cas-là, Karim, Hassan et Aziz, sont d’accord : il ne vaut mieux pas broncher. « Si tu réponds, ils vont tous te tomber sur la gueule. Et si t’en crèves un, t’as intérêt à prendre l’avion ou le bateau, ou alors tu creuses ta tombe… Donc t’es obligé de fermer ta gueule. De prendre tout à la rigolade. Maintenant si c’est un Corse qui te met des coups sur le Cour Napoléon, il n’y aura pas de représailles ».
Tout cela fait « que tu ne fréquentes pas certains bars pour éviter de te faire jeter ou subir des mauvais regards et que tu oublies d’aller en boîte ». « Pourtant, précise Hassan, il y a certains établissements que je fréquente dans mon boulot où les patrons sont adorables avec moi et me demandent de passer boire un verre avec mes copains. Ça fait plaisir, mais je leur explique que je ne viendrai pas, même s’ils m’invitent, parce que ses clients habituels, des « têtes de sègue »,me feront la gueule et que je n’ai pas envie de subir ça ». « Pour les boîtes de nuit, c’est pire, estime Karim. Si t’es seul ou avec des copains d’origine arabe, tu te fais jeter. Les rares fois où j’ai pu rentrer c’est avec des copains corses qui connaissaient. Et encore ! le videur m’a suivi toute la soirée, histoire de voir si je ne faisais pas une connerie. Moi, dans ces conditions, je ne préfère pas sortir. Je n’ai pas envie d’être accepté parce que je suis le copain d’untel,mais parce que je suis moi. A part ça,il y a beaucoup d’endroits sur le continent où c’est pareil à en croire les opérations tests menées par SOS racisme… »
Et puis, comme ils disent, ils en ont « gros sur la patate » sur ce qui est parfois arrivé à leurs parents. Rien d’énorme, mais des réflexions ou des petites aventures. Ainsi cette cliente d’une boulangerie où la mère d’Hassan faisait le ménage qui s’inquiétait de savoir si « elle ne touchait pas le pain », alors que les ouvriers boulangers étaient tous Arabes. Ou le père de Karim qui, au bout d’une vie de labeur, alors qu’il voulait ouvrir un magasin, s’est vu offrir une association avec un Corse « qu’il ne pouvait pas refuser » sous peine de voir son magasin sauter. Le Corse en question refusant de travailler dans la boutique dont il ne voulait toucher que les bénéfices…

« De toute façon, affirme Karim, c’est toujours comme ça. Tant que tu trimes pour pas grand-chose, ils acceptent, lorsque tu veux t’installer, tu ne peux pas. C’est pour ça que je bosse pour accumuler du fric et essayer de monter une petite affaire sur le continent où ils sont quand même plus cools et où l’on n’est pas forcément obligé de raser les murs ».
« Tout ça , dit Karim, je l’ai découvert au fur et à mesure. Quand j’étais minot, dans la citée ou à l’école, je n’avais pas de problèmes. Il n’y avait pas de différence entre Arabe, Portugais ou Corse. Tant que je suis resté en bas de l’immeuble, je n’ai pas eu d’ennuis. Et puis quand j’ai voulu sortir je me suis rendu compte que l’on n’était pas traité pareil. Et ça a été pire lorsque j’ai voyagé. Lorsque j’ai été quelques années en fac sur le continent où ça se passait mieux, ou que j’ai voyagé en Espagne, j’ai vu qu’ailleurs c’était pas pareil. Alors, quand je suis rentré j’ai encore plus mal ressenti les choses. Et puis c’est pareil pour tout le monde. Y compris pour les Corses. Eux aussi quand ils voyagent ça leur éclaire la tête. Ceux que je connais ici qui ont connu autre chose se comportent mieux avec nous. Leur problème, ici, c’est qu’ils restent enfermés entre eux à ne voir qu’eux, après ils pètent les boulons et ça nous retombe dessus… ».
Cependant, ils le reconnaissent tous, « de notre côté il y a aussi des petits jeunes qui se comportent pas bien. Ils restent entre eux, ils ne font rien pour s’intégrer. Ils racontent n’importent quoi, croient n’importe quoi et peuvent même faire des conneries. Ils ont la haine de tout le monde et ça c’est pas bien… ».
Quant aux récentes histoires de racisme mis en valeur par la presse continentale, elles n’impressionnent pas Karim et ses amis. « Tu sais les histoires, ici, ça a toujours existé, mais on en parlait pas. Maintenant ça fait du bruit parce que les médias et la politique s’en mêlent. Ça fait des années qu’on est de la merde, mais maintenant ça inquiète tout le monde. Et ce n’est pas parce que trois quatre journalistes en parlent que cela va changer quelque chose. Ici les mentalités sont longues à bouger. Beaucoup n’ont pas compris que pour que ça bouge, il faut des mélanges de culture. C’est comme ça qu’une société évolue ».



Par Gilles Millet
Source: Club-Corsica



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