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Le racisme, mal d'une île vieillissante et sans projet

Nier qu'il existe du racisme en Corse relève de l'angélisme ou du mensonge. A bout de souffle, la mouvance nationaliste est confrontée à une base dépolitisée, animée de réflexes xénophobes.

La Corse est-elle la région la plus raciste de France ? La question hérisse les Corses, mais l'île est sans doute l'endroit où les agressions contre les immigrés sont les plus violentes et où la communauté maghrébine se sent le plus menacée.

Dans une île où tout conflit privé, voire toute contradiction, se solde par une violence domestique, le racisme se traduit souvent par un plasticage de biens. En 1986, l'association Ava Basta s'était créée la première pour protester contre l'assassinat de deux Tunisiens, que le Front de libération nationale de la Corse (FLNC) accusait de trafic de drogue. Il n'y a pas eu, l'an passé, d'homicide établi de ressortissants étrangers pour des mobiles racistes, mais la Corse n'en restera pas moins, en 2004, la championne en xénophobie d'une France elle-même touchée par une vague de racisme et d'antisémitisme.

Jusqu'alors, les nationalistes prenaient garde, lorsqu'ils dénonçaient la "colonisation de peuplement", de faire la différence entre les "Français" et les immigrés. Cette différence a eu tendance à s'estomper ces derniers mois dans les discours militants, qui lui préfèrent le "nous sommes minoritaires sur notre propre terre".

Dans une île qui vieillit et se paupérise, la réussite sociale d'un certain nombre d'anciens immigrés venus du Maghreb provoque des jalousies qui font parfois sauter un restaurant ou une maison d'entrepreneur. Blues du petit Blanc... Dans les années 1980, lorsque les villages ont commencé à se vider et que l'immigration maghrébine - essentiellement constituée de primo-arrivants - est devenue plus visible, les ratonnades étaient souvent menées par d'anciens de l'"Algérie française". Aujourd'hui, ce sont souvent des adolescents qui insultent, visent, menacent ou agressent. Ainsi, les Clandestini Corsi, mis en examen le 19 novembre 2004 pour des attentats racistes, ou le jeune Ajaccien de 15 ans qui a lancé une bouteille emplie d'acide chlorhydrique, le 27 décembre 2004, sous les boîtes à lettres d'un des deux foyers ajacciens de la Sonacotra. Jeunesse à la recherche d'identité, dans une Corse sans projet.

L'économie corse est atone, et son tourisme mal en point. L'île a enregistré durant l'été 2004 une baisse de 7 % de visiteurs. Les élections territoriales du printemps 2003 ont sonné le glas des grandes figures locales et l'assemblée de Corse s'en tient à un rôle de pure gestion administrative.

Le "corsisme" a vécu, le nationalisme est à bout de souffle. Sans perspective depuis la victoire, en juillet 2002, du "non" au référendum, son image a subi un rude coup. Un an plus tard, la justice financière a mis le nez dans les "affaires" de Charles Pieri, qui devrait être jugé le 9 mars. Le chef nationaliste bastiais structurait en Haute-Corse un système néoclanique et clientéliste. Avec son effondrement, les soldats perdus du nationalisme ou les apprentis clandestins, laissés à eux-mêmes, jouent leurs intérêts personnels. Ils s'en prennent comme toujours à la partie la plus faible de la société corse : les immigrés.

Déjà, dans les années 1980, des jeunes aux franges du nationalisme rackettaient et attaquaient dans la plaine orientale les ouvriers agricoles qui venaient toucher leur paie, souvent versée en liquide. Les responsables nationalistes condamnent haut et fort le racisme. Ils savent qu'il représente un piège pour une famille politique qui se veut - et n'a peut-être d'autre raison d'être - l'interlocuteur privilégié, clandestin ou légal, du gouvernement.

Mais, alors que les discussions institutionnelles ne sont plus à l'ordre du jour, la mouvance nationaliste se trouve confrontée à une base dépolitisée et animée des réflexes xénophobes. Alors que, longtemps, le nationalisme avait empêché l'expression d'un vote protestataire d'extrême droite, le vote lepéniste s'est imposé en Corse depuis les élections municipales de 2001, où il a rejoint pour la première fois le niveau national. "Plume" de Jean-Marie Le Pen, Olivier Martinelli n'hésite pas à publier ses tribunes en corse dans le quotidien Corse-Matin et opère habilement la distinction entre le racisme pur et le viatique de la nouvelle droite - chaque culture doit rester chez elle. Il a mené en 2002 une campagne efficace qui a mis en difficulté les nationalistes.

Dire que "les" Corses sont racistes ou parler d'un "peuple corse" xénophobe est inutilement stigmatisant. A l'inverse, nier qu'il existe du racisme en Corse relève de l'angélisme ou du mensonge. Mrg Jean-Luc Brunin, évêque de Corse, n'a pas hésité à bousculer les fidèles de cette île restée très catholique en expliquant que l'on avait atteint "le seuil du supportable" et en se refusant à croire que les racistes soient "tous des pourris". Tous ceux, enfin, qui, en leur temps, par exemple à la Ligue des droits de l'homme, n'avaient pas de mots assez durs pour stigmatiser, non sans raison, le racisme anticorse, n'ont pas vu venir qu'il y a, dans cette société, plus bas qu'un Corse : un immigré.

Ariane Chemin
Source : Le Monde

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