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1 300 nouveaux cas de cancer chaque année chez les enfants

Au Maroc, le cancer frappe 1 200 à 1 300 enfants chaque année, le plus fréquent étant la leucémie. Mais seulement 700 cas sont diagnostiqués sur ces 1 300. Le traitement est long et coûteux : de 30 000 à 50 000 DH par enfant et le Maroc compte seulement deux centres oncologiques pour enfants, à Rabat et Casablanca.

En 2002, Rahma est âgée de quatre ans. Elle habite à la campagne, dans la région de Sidi Bennour. Un jour, ses parents constatent que les joues de leur petite fille ont enflé anormalement. Croyant qu’il s’agit d’un abcès dentaire, ils consultent un chirurgien dentiste. Les traitements prescrits ne sont d’aucun secours, les joues sont toujours aussi enflées. Quelques jours plus tard, constatant l’augmentation du volume de l’abdomen de la petite fille, ils courent voir un pédiatre, lequel pratique un prélèvement et une biopsie de la tuméfaction gingivale. L’étude anatomo-pathologique de la biopsie conclut à un lymphome malin de Burkitt (du nom de Denis Burkitt, le médecin anglais qui a décrit cette pathologie). Autrement dit, il s’agit d’un cancer des tissus lymphoïdes, celui des ganglions. Admise en juillet 2002 au service d’hématologie et oncologie pédiatrique (SHOP) de l’hôpital du 20 Août à Casablanca, des soins intensifs - plusieurs cures de chimiothérapie - lui seront prodigués pendant quatre mois. L’enfant de Sidi Bennour retrouve le sourire en même temps que l’espoir.

Les lymphomes représentent le troisième cancer (10%) de l’enfant au Maroc . Un traitement bien suivi et sans aucune interruption permet, en effet, selon le Pr Benchekroun, chef du SHOP où l’enfant a été admis, une guérison allant de 80 à 90 %. Mais tout dépend des moyens, sachant que le coût du traitement est très élevé. Ce dernier est en effet estimé en moyenne à 30 000 DH, une facture très lourde pour un enfant issu d’un milieu économiquement défavorisé. C’est le cas justement de la petite Rahma : n’eût été la prise en charge des médicaments par un donateur, l’issue aurait pour elle été fatale. Entre 2001 et 2004, cette fillette a été parmi les 68 enfants atteints du lymphome de Burkitt admis au service hématologie et oncologie pédiatrique de Casablanca, dont 83% sont considérés comme guéris.

Avec un traitement adéquat et bien suivi, le lymphome est guérissable à 90 %
Une autre petite fille, Khadija, sept ans, également atteinte d’un cancer des ganglions, a été sauvée grâce aux efforts des donateurs qui sont venus à sa rescousse, mais aussi à la compétence de l’équipe de médecins qui l’a soignée. Le Pr Saïd Benchekroun et le Pr Abdellah Madani, chef du bloc greffe au sein du même SHOP, racontent son histoire : «Khadija habitait une région enclavée. Nous l’avions reçue dans un état précaire avec un lymphome de Burkitt à un stade très avancé. Khadija était dénutrie, ictérique et très pâle. Elle était effrayée par l’environnement hospitalier qui lui était totalement étranger. Ajouté à cela, elle était confrontée au handicap de la langue (elle ne parlait que le berbère). Khadija est restée dans le service durant huit mois pour toute la durée du traitement. Elle est actuellement considérée comme guérie de son lymphome. Nous la voyons régulièrement tous les six mois avec un plaisir immense et le sentiment d’avoir accompli notre mission».

Mais combien y a-t-il au Maroc d’enfants atteints d’un cancer, de quels types de cancers sont-ils atteints, et combien y succombent faute de soins ? Un constat rassurant, d’abord : peu d’enfants dans le monde sont atteints, le cancer étant d’abord une maladie des adultes, surtout des vieux. Mais l’OMS estime son incidence annuelle dans le monde à 100 à 150 nouveaux cas sur un million d’enfants de moins de 15 ans. Au Maroc, les responsables du service hématologie et oncologie pédiatrique de l’hôpital du 20 Août, à Casablanca estiment qu’il y a entre 1 200 et 1 300 nouveau cas annuellement, dont 700 sont diagnostiqués dans les deux principales unités hospitalières de Casablanca (hôpital du 20 Août et hôpital des enfants) et de Rabat (hôpital des enfants). Et les 500 ou 600 restants ? Ils ne sont même pas diagnostiqués, selon le Pr Benchekroun, et succombent donc à leur maladie, ignorés de tous et dans une grande souffrance.

Si l’on parle de plus en plus du cancer de l’enfant, c’est parce que les gens y sont très sensibles et que nombre d’associations et de donateurs privés, qui ne supportent pas de voir des enfants souffrir, font tout pour les aider. «Pour moi, en tant que médecin, nuance toutefois le Pr Benchekroun, un jeune de 20 ou 25 ans atteint de cancer est aussi un enfant, car il a toute la vie devant lui.»

La première pathologie cancéreuse dont souffrent les enfants est la leucémie aiguë lymphoblastique (LAL) : 30% des cancers de l’enfant au Maroc, dont 100 à 120 sont pris en charge annuellement. C’est ce mal justement qui a attaqué le corps frêle du petit Anwar. A peine trois ans et il est déjà hospitalisé ce 17 octobre, jour de notre visite au SHOP de Casablanca, pour y recevoir les soins nécessaires. Sa maman, Zohra, est à son chevet du matin au soir («un enfant hospitalisé, dit la Charte européenne des droits des enfants hospitalisés, a le droit d’avoir ses parents ou leur substitut auprès de lui jour et nuit, quel que soit son âge ou son état»), est passée par des moments de désespoir et de déprime totale lorsqu’elle a appris la pathologie de son enfant. Qu’est-ce qui, au départ, a attiré l’attention des parents quant à la santé du petit garçon ? Des vomissements continus et la pâleur de son teint. La maman se rend alors à l’hôpital Hassan II d’Agadir, où réside la famille, pour une consultation. Après quelques analyses, dont celles du sang, le mal est diagnostiqué et le petit Anwar est envoyé aussitôt au SHOP de Casablanca pour une prise en charge. Mais tout n’est pas payé par l’hôpital. Pour avoir droit à un lit, les parents ont dû payer 700 DH, plus 8 300 DH pour l’achat des médicaments (10 injections).

Younès, lui, est un adolescent de 16 ans. Il vient de Boujaâd, et il est alité dans la même chambre que Anwar. Leucémie aiguë, lui aussi, découverte lors d’une consultation pour douleur au niveau des os et des articulations avec une perte d’appétit (symptômes typiques d’un cancer du sang). 13 malades sont hospitalisés dans ce SHOP en ce mois d’octobre, dont une bonne dizaine pour leucémie aiguë. Ils viennent de toutes les villes du Royaume (au Sud de Casablanca, ceux du nord étant acheminés vers Rabat). Maladie fatale il y a une quarantaine d’années, expliquent les Pr Madani et Benchekroun, il est actuellement possible de guérir 80 % des enfants atteints de LAL dans les pays occidentaux. «Malheureusement, au Maroc, ou du moins à Casablanca, le taux de guérison de cette maladie n’excède pas 30 %. Des progrès sensibles ont été faits dans le traitement d’autres cancers, mais pas pour celui-là.» Les raisons ? Le traitement de cette affection est long (2 à 3 ans) et coûteux (40 000 à 50 000 DH par patient). Les cures nécessitent plusieurs hospitalisations, souvent rapprochées. Or, la majorité des patients viennent de loin. Ecrasés par le coût des déplacements et des traitements, ils sont souvent contraints d’abandonner la partie. On estime le taux d’abandon du traitement à 30% sur les dix dernières années. L’échec de la thérapeutique de ce type de cancer est dû aussi à l’absence de couverture médicale pour la majorité des Marocains : seuls 15 % d’entre eux en bénéficient. «Or, l’hôpital ne peut fournir toute la thérapie nécessaire pour traiter les malades», estime le Dr Asmaâ Kassar, cancérologue dans le même service, en charge des malades adultes.

La «Maison des parents», une solution pour rapprocher le cancéreux du centre des soins
En dépit de la fourniture à titre bénévole du traitement, le nombre de malades qui abandonnent la thérapie en raison de l’éloignement est très important, d’où des rechutes et des décès. Pour résoudre ce problème d’hébergement, l’association Agir de soutien aux malades du sang et aux enfants cancéreux envisage, depuis une quinzaine d’années, à la construction d’un centre d’accueil au sein de l’hôpital du 20 Août. Toutes ses tentatives se sont heurtées au refus de l’administration du CHU, pour des raisons qui lui sont propres, d’octroyer un terrain dans l’enceinte de l’hôpital. De guerre lasse, l’association s’est tournée vers d’autres pourvoyeurs de fonds pour rassembler la somme nécessaire pour la construction d’une maison des parents (2 300 000 DH). Un terrain de 300 m2 (R+3) a été finalement acquis sur la route de Taddart, à Casablanca, les plans ont été gratuitement conçus par le cabinet Fassi Fihri, et le bâtiment pourra accueillir jusqu’à 24 familles. Alors que le projet était quasiment ficelé et les préparatifs de la construction entamés, c’est l’Association Lalla Selma de lutte contre le cancer qui prend le devant en construisant un joyau : La Maison de vie, opérationnelle en février 2007. Il s’agit d’un centre d’accueil bâti sur le boulevard Nador, à Casablanca, composé de 20 chambres, dédié aux malades adultes et enfants atteints du cancer. Une contribution modeste de 20 DH par personne et par jour est exigée en contrepartie de l’hébergement, des repas, et du transport quotidien à l’hôpital à l’aide d’une estafette.

Les médecins en charge du SHOP le savent pertinemment : sans la contribution des donateurs sensibilisés, personnes physiques et morales, leur travail aurait été impossible. Deux associations se mobilisent particulièrement : l’Association Lalla Selma de lutte contre le cancer et l’Association de soutien aux hôpitaux, créée depuis plusieurs années par feu Hadj Mohamed Sekkat (voir encadré).

Jaouad Mdidech
Source: La Vie Eco

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