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El Malki: C’est trop facile de dénigrer l’école publique!

Habib El Malki, ministre de l’Education nationale et de l’Enseignement supérieur, n’en démord pas: il y a trop de clichés sur l’école publique. Il reconnaît cependant les faiblesses du système et prêche la patience, le temps que «la réforme produise pleinement ses effets». Il n’est pas sûr que les parents soient dans la même disposition d’esprit, eux qui assistent à la dégradation continue du niveau des élèves. Premier budget de la nation, l’Education nationale doit affronter l’impatience des 30 millions de juges.

· L’Economiste: C’est la période où les parents inscrivent leurs enfants à l’école. Saviez-vous que leur premier choix c’est tout sauf le public? Que vous inspire cette défiance à l’égard de l’école publique?
- Habib EL MALKI: Voilà encore une fois un cliché qui circule à la vitesse de l’ignorance de la réalité. L’enseignement privé ne représente même pas 6% des effectifs globaux scolarisés. L’école publique reste l’enjeu majeur de la réforme en cours. Sans une école publique performante, il ne peut y avoir un enseignement privé performant. Après deux ans de pourparlers avec les représentants de l’enseignement privé, le gouvernement a conclu un accord-cadre qui vise la mise à niveau de ce secteur ainsi que sa promotion à travers une série de dispositions incitatives. L’objectif est d’arriver à ce que l’école privée assure 20% de l’offre en formation en 2015. La réalité des chiffres contredit cette méfiance dont vous parlez.

· Il reste que ce n’est pas une vue d’esprit, sinon comment expliquer l’engouement pour les écoles dites des «Missions»?
- Faites une enquête! Pourquoi ne serait-il pas intéressant de temps en temps de procéder à des sondages afin de vérifier, de nuancer, voire carrément d’affirmer. Dans le domaine de l’éducation, il faut se garder des analyses conformistes fondées sur des clichés où la rumeur se transforme souvent en information.
Je considère qu’à l’avenir, il y aura une très forte synergie entre les principales composantes du système d’enseignement, mais c’est l’école publique qui doit tirer l’ensemble vers le haut.

· Pour l’instant, on est loin du compte…
- La réforme en cours, sa finalité, sa philosophie ainsi que toute la mobilisation qui l’entoure vise à rendre l’école publique attractive, réceptive et plus à l’écoute de son environnement. On ne peut pas réussir une réforme portant sur l’élément humain en un quinquennat car c’est un processus qui s’inscrit dans la durée. Ce n’est pas du tout comparable avec la construction de kilomètres d’autoroutes, d’immeubles ou d’habitations. La réforme de l’éducation touche le système socioéconomique et en même temps, le système culturel.
L’élément humain, qui est central dans cette réforme, mérite qu’on s’y attarde et qu’on ne formule pas de jugement hâtif. Il faut partir de critères précis et mettre en place un système d’évaluation afin de ne pas cultiver cet esprit chagrin, nostalgique et qui considère que l’école d’antan est la référence.

· Mais les gens qui ne sont ni chagrins, ni nostalgiques, se basent sur leur vécu. Plus les années passent, plus ils ont le sentiment que le niveau se détériore.
- Je ne suis pas en train de vous dire qu’il n’y a pas d’insuffisances. Elles existent au niveau de ce qu’on peut appeler les savoirs fondamentaux, comme au niveau des langues d’apprentissage. Mais si vous analysez la réalité à travers ce que prévoit la réforme, vous constaterez qu’une dynamique s’est enclenchée. Et je dois vous dire, plus exactement vous rappeler, que le bachelier qui appartient à la génération de la réforme n’est pas encore arrivé sur le marché. Il arrivera en 2008/2009 et à ce moment, on disposera d’un instrument objectif de mesure et d’appréciation. Nous sommes dans une période de transition, aussi bien pour l’éducation nationale que pour l’enseignement supérieur.

Le secteur de l’Education est celui où l’on constate une inflation d’experts, qui n’hésitent pas à donner beaucoup de leçons. Cet intérêt est louable, mais l’analyse reste limitée parce que l’information est souvent incomplète. L’école, à juste titre, préoccupe tout le monde car c’est un domaine déterminant pour l’avenir de nos enfants, et il est tout à fait légitime que les familles, les différents acteurs, la société civile, les élus s’en préoccupent. Mais souvent, les jugements émis ne dépassent pas des cas individuels, locaux et la tentation est grande de généraliser à partir du vécu dans un établissement ou dans une délégation. Cette tentation ne permet pas une appréciation objective des acquis de la réforme.

· Pourquoi ne pas tirer les conséquences de l’échec de l’arabisation puisque le constat fait l’unanimité? La marche arrière est-elle impossible?
- La réforme a tiré les enseignements de la politique de l’arabisation qui a été menée durant les années 80. De manière concrète, la réintroduction des langues étrangères en fait partie et ce, à partir de la deuxième année du primaire.
Nous considérons qu’il s’agit d'un choix fondamental qui nécessite une formation de qualité des enseignants et un matériel pédagogique approprié. C’est ce que nous sommes en train de déployer de manière progressive dans un très grand nombre d’établissements. Il faut être patient car les conséquences de l’abandon de l’apprentissage des langues étrangères pendant des années ne peuvent être corrigées qu’avec le temps.
Aujourd’hui, les élèves n’ont pas la maîtrise totale des langues. Où se trouve le péché originel dans le cas de l’arabe? Nous enseignons dans une langue classique, immuable et figée, qui n’est pas perméable à l’ensemble de nos élèves. Il est temps de l’adapter aux exigences de la vie d’aujourd’hui. Nous avons pris les dispositions nécessaires pour rendre l’apprentissage des langues plus opérationnel et pédagogiquement performant.

· Vous soutenez donc la réintroduction du français dans la plupart des programmes…
- Personnellement, cela ne me gêne pas du tout. Il faut une cohérence d’ensemble. Vous savez, on n’est pas Marocain uniquement parce qu’on connaît l’arabe ou l’amazigh. On est Marocain parce qu’on parle certes arabe et/ou amazigh, mais aussi, parce qu’on est porteur d’un certain nombre de valeurs. L’attachement à un pays ne passe pas obligatoirement par une vision étriquée de sa langue nationale. Considérer que seule la langue arabe nous unit est une erreur. La langue est fondamentale, mais pour l’enrichir, la protéger, la développer, il convient de s’ouvrir au maximum sur le monde. Et cette ouverture sur le monde passe par la maîtrise des langues étrangères. Ça me paraît une évidence.

· Défenderiez-vous la sélection à l’entrée à l’université?
- Elle existe déjà partiellement. Le système de l’enseignement supérieur comprend deux catégories d’établissements: ceux à accès ouvert comme les facultés de droit, des lettres et même, en partie, les facultés des sciences et les établissements à accès régulé, notamment les Encg (Ecole nationale de commerce et de gestion), les Facultés de médecine et de pharmacie…
Généraliser la sélection à l’entrée est une question qui peut se poser, mais j’estime que le problème doit être traité en amont par une orientation systématique de nos élèves à partir de la dernière année du collège. Et c’est ce travail en amont auquel nous nous attelons actuellement.
C’est l’objet de la réforme du cycle du baccalauréat dans le sens d’une plus grande diversification des options en mettant l’accent sur les sciences techniques et mathématiques. Cette démarche qui sous-tend une vision utile est à même de poser dans des termes adaptés la problématique de la sélection au sein de nos établissements universitaires.

· Il s’avère que les établissements qui filtrent leurs élèves sont également ceux dont les lauréats souffrent moins du chômage. Pourquoi ne pas généraliser une démarche qui marche?
- Oui, mais le problème n’est pas aussi simple que vous le décriviez. Je considère que l’orientation à partir de la dernière année du collège, celle du tronc commun, est une forme de présélection. La professionnalisation de l’enseignement supérieur, c’est aussi une autre forme de sélection. Donc, il faut offrir à nos élèves un éventail de choix permettant à chacun de s’y retrouver. Il faut veiller à ce que le système d’enseignement ne devienne excluant à aucun stade. Il doit favoriser l’intégration en fonction des capacités de chaque élève.

· Quelle doit être la mission de l’université? Produire des savoirs ou préparer à la vie active? Il semble qu’elle n’est performante ni dans un sens, ni dans l’autre. Quelle est votre analyse?
- L’université doit s’adapter à l’évolution de son environnement. Mais cet impératif d’adaptation ne doit pas lui faire perdre sa vocation première, qui consiste à produire des savoirs permettant à la société de progresser et de respirer. En parallèle, elle doit préparer à la recherche. Un pays qui ne prend pas à bras le corps la question est condamné inéluctablement à une hibernation et de la pensée, et de la pratique.

Source: L'Economiste

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