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Villes marocaines sans bidonvilles : Des « bidonvillois » résistent

Vus de loin, les bidonvilles peuvent être décrits comme étant des espaces immondes. Ils manquent de tout, brûlent parfois, puent souvent, leurs habitants bricolent pour se doter de l’électricité, se bagarrent pour s’approvisionner en eau, jettent partout leurs ordures...

De surcroît, ces taudis informes semblent menacés d’écroulement à chaque tempête. Ils sont au Maroc comme partout où ils existent, les capitales de la misère. Et la misère n’est-elle pas la génitrice du crime ?

Dans les bidonvilles, de nombreux jeunes se nourrissent de la violence, la cultivent, l’expriment, se droguent pour l’oublier...

Les vieux, quant à eux, vivotent. À leurs yeux, moins dure est la vie dans une baraque que dans un bled perdu, oublié, frappé par une mortelle sécheresse. Entre jeunes et vieux, la génération montante apprend à se bousculer devant « laàouina » (robinets collectifs), à crier plus fort dans les classes bourrées de monde, à être dure comme les autres durs...

De ces lieux, tout être humain sensé doit, en principe, chercher à s’enfuir et au plus vite. Que nenni !

Pour certains, on habite un bidonville pour la vie. En tout cas, on ne le quitte pas pour une « cage ». C’est ainsi que des bidonvillois désignent les habitations que l’Etat leur propose parfois. Cette résistance met-elle en danger le processus « villes sans bidonvilles » ?

Processus, lancé par les pouvoirs publics en 2004, qui veut qu’il n’y ait plus de bidonvilles dans toutes les villes du Royaumes à l’horizon 2010. Peut-être pas. Mais les risques de dérive existent, car le laxisme persiste encore dans quelques agglomérations « bidonvilloises » où le commerce des baraques n’a jamais cessé. Sinon, les premières villes sans bidonvilles devaient été annoncées déjà en 2005. D’habitude, la situation empire à chaque fois que des élections législatives approchent.

Verra-t-on, cette année, naître sous des toits en zinc de nouvelles circonscriptions électorales, comme cela se passait durant les années Basri et même jusqu’en 2002 ? Tout prêt à croire que non.

Des efforts colossaux sont fournis pour que non seulement le nombre de bidonvilles n’augmente plus, mais que ces habitations de la honte soient progressivement remplacées par des logements respectant, au moins, la dignité humaine. Mais ce défi est des plus difficiles.

Eradication des bidonvilles : Le difficile challenge
A Khouribga comme à Béni Mellal, le programme « Villes sans bidonvilles » a bien avancé. Seuls une poignée d’habitants de quelques baraques refusent de déménager. « Nous sommes chez nous et ne nous bougerons pas d’ici », crient-ils à chaque fois que des représentants des autorités les approchent. C’est la justice qui devra statuer finalement sur leur cas.

Les réticents ne manquent pas à Casablanca, à Témara et dans bien d’autres villes. Seule Meknès est donnée comme exemple de l’adhésion spontanée des « bidonvillois » au processus de leur relogement prôné par l’Etat.

Les surprenantes réticences qui sont souvent exploitées par certains lobbies, montrent combien est difficile de résoudre définitivement le problème des bidonvilles, même quand tout aura été entrepris pour les éradiquer.

L’étendue des bidonvilles dans le Royaume pose aussi problème. Sur le plan national, jusqu’en 2003, pas moins de 900.000 ménages marocains, soit quelques 5 millions de personnes, vivaient dans un logement précaire, dont 277000 en milieu urbain.

Malgré l’énormité du problème à résoudre, Mohamed Najib Halimi, directeur de l’Habitat Social et des Affaires Foncières relevant du ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme, ne perd pas espoir pour autant. Pour lui : « L’ensemble des engagements pris par le département de l’Habitat et de l’Urbanisme seront respectés sur la base des recensements des bidonvilles effectués jusqu’au lancement du programme « Villes sans bidonvilles » en juillet 2004 ».

La réalisation de ce vaste programme s’étale sur la période 2004-2010 et concerne 83 villes et 278.000 ménages résidant dans près de 1.000 bidonvilles. Le coût du programme est énorme. Il devra mobiliser un investissement d’environ 20,4 milliards de dirhams, dont une subvention du Fonds Solidarité Habitat, estimée à près de 7,4 milliards de dirhams.

Eradiquer les bidonvilles : Une responsabilité commune
« Pour déclencher le processus d’éradication des bidonvilles à l’échelle nationale, des contrats-villes ont été signés entre le ministère en charge de l’Habitat et de l’Urbanisme, les autorités et les collectivités locales. Ces contrats précisent les options de résorption, les responsabilités et engagements des différents partenaires », révèle Mohamed Najib Hilmi, directeur de l’Habitat social et des Affaires foncières.

« Egalement, des conventions de financement et de réalisation à caractère plus opérationnel ont été signées entre l’Etat et l’opérateur en charge de la réalisation du programme », note-t-il.

Le directeur de l’Habitat social et des Affaires foncières semble satisfait de l’état d’avancement des projets d’éradication des bidonvilles. « Sauf dans certaines grandes villes », nuance-t-il.

« Plus de 236.000 ménages ont été contractualisés dans le cadre de 61 contrats de villes, jusqu’en décembre 2006 », détaille M. N. Hilmi.

Et d’ajouter : « Une convention particulière dont se charge entièrement le gouvernement a été prévue pour sept villes dans les provinces du Sud. Casablanca et Témara, vue l’ampleur des bidonvilles qui y existent, sont concernés par des contractualisation prônant le cas par cas. »

Où en est-on maintenant ? Le bilan dressé dernièrement par le département de l’Habitat et de l’urbanisme montre que le nombre de baraques démolies ou restructurées jusqu’à présent avoisine 60.000 unités. En outre, près de 77.000 unités sont en cours de réalisation. 19000 unités, prêtes à être habitées, n’ont pas encore trouvé occupants. En cause, la réticence de certains habitants des bidonvilles qui ne veulent pas quitter leur baraque.

« Tous les intervenants doivent conjuguer leurs efforts pour résoudre le problème des bidonvilles », soutient Mohamed Najib Hilmi.

Mohammedia et Casablanca : Des points noirs
Mohammedia compte plus de 60 bidonvilles répartis sur 6 communes. Les habitants de cette ville dans la ville ont été estimés en 2003 à 14.500. Ils occupent une superficie estimée à 147 hectares, soit une densité brute de 5,4 habitants par 100 m2. La population des bidonvilles à Mohammedia représente 24% de toute la population locale.

Les besoins en logements nécessaires pour la résorption de ces formes d’habitat sont évalués à près de 15.000 logements sociaux (ou lots de terrain). Certes, des solutions sont déjà prévues, mais la situation se complique à vue d’œil. Certaines allées qui permettaient la circulation des véhicules entre les baraques se rétrécissent de plus en plus comme une peau de chagrin. Elles ont été envahies par de nouveaux habitants.

Une observation par voie satellitaire des bidonvilles est prévue par le département de l’Habitat pour empêcher le bidonville de Mohammedia et d’autres villes de s’étendre. C’est le Centre de Télédétection Spatiale de Rabat qui s’en charge pour un coût de 8 millions de dirhams.

Ce Centre devra aussi mettre sous observation les tentaculaires bidonvilles de Casablanca. Là, le problème est démesuré et semble presque impossible à résoudre. Idmaj Sakane piétine. Cette entité publique a été créée il y a une année pour coordonner les efforts à consentir localement en vue de résoudre les problèmes des bidonvilles. Mais, elle peine à cerner même le nombre de la population cible.

Eradication des bidonvilles : L’Inde à la rescousse du Maroc
Le Maroc et l’Inde ont signé un accord de coopération visant à faire bénéficier le royaume de l’expérience indienne dans la construction de logements sociaux à faible coût. Cet accord a été signé par le ministre marocain chargé de l’Habitat, Taoufiq Hjira et son homologue indienne Komari Selja.

L’accord prévoit notamment la création d’un centre marocain de recherches dans le domaine des logements à faible coût et la promotion du système de micro-crédits en faveur du logement social.

Urbanisme : le nouveau Code bloqué
Parce qu’il définit les responsabilités de chacun, le projet de Code de l’Urbanisme tarde à passer. Il semble gêner certains députés, dont quelques uns sont eux-mêmes des opérateurs dans l’immobilier...

Ce Code criminalise le commerce des barques. En plus, il veut apporter la flexibilité nécessaire pour trouver des solutions raisonnées dans le domaine de la restructuration des bidonvilles. Restructuration qui, à l’heure actuelle, bute sur des textes rigides.

Le nouveau projet de code porte sur l’institution du conseil supérieur de l’aménagement du territoire et l’adoption d’une charte et du schéma national d’aménagement du territoire. Il préconise également des solutions dans le domaine du logement destiné aux couches démunies. Le Code comporte des textes visant le renforcement de l’offre de logements sociaux en faveur des catégories à revenu limité ; la mise en œuvre de vastes programmes, notamment ceux inscrits dans le cadre de l’initiative nationale pour le développement humain (INDH) dont les composantes reposent sur la qualité du cadre de vie des citoyens... Que ce Code soit bloqué depuis 2004 inquiète tous ceux qui veulent réellement que les villes soient sans bidonvilles d’ici 2010.

A chaque pays ses bidonvilles
En Afrique du Sud, ils sont appelés Townships. Au Brésil, on les nomme favelas. Là la violence des gangs et des narcotrafiquants est vécue au quotidien. Au Venezuela, les bidonvilles sont désignés par le mot Bario.

Bidonville est un terme qui a commencé à être employé au Maroc en 1953, selon des historiens. Ce terme, de même que celui de « Karyane » en arabe dialectal, désignent un ensemble plus ou moins vaste d’habitats précaires, où la misère est concentrée. Les habitations sont généralement constituées de matériaux de récupération (bidons, cartons, plastiques, tôles,...).

Mohamed Zainabi
Source: Le Reporter

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