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Un espoir pour les petites cendrillons marocaines

Le Secrétariat d’Etat à la Famille lance Inqad, un programme de lutte contre le travail domestique des enfants. Un projet de loi qui devrait atterrir, dans la foulée, au Conseil du gouvernement.

De quoi susciter l’espoir pour des dizaines de milliers de petites filles exploitées. De quoi appeler aussi à la vigilance quant à l’application réelle de la future loi.Frotter, récurer, ranger, cuisiner, astiquer et tous les jours recommencer encore et encore. Elles sont des dizaines de milliers de petites filles à courir toute la journée pour servir des familles qui les paient une misère. Affublées du triste nom de “petites bonnes”, elles étaient les grandes oubliées de la politique de modernisation sociale que l’Etat se plaît tant à vanter. Une campagne lancée en grande pompe par le secrétariat d’Etat chargé de la Famille, de l’Enfance et des Personnes handicapées et un projet de loi interdisant le travail domestique pour les enfants de moins de 15 ans pourraient enfin changer un peu la situation. A condition, bien sûr, que l’Etat se donne véritablement les moyens de ses ambitions et veille à ce que la future loi ne soit pas un feu de paille supplémentaire dans un arsenal juridique qui a vu passer trop de lois jamais appliquées. Le programme Inqad du secrétariat d’Etat et la future loi suscitent en tout cas l’espoir du côté des ONG œuvrant dans le secteur. Toutes se félicitent de l’approche multidisciplinaire de l’arsenal de combat que le gouvernement promet de mettre en place. «C’est la première fois que le gouvernement lance un programme intégré comme celui-là. Il fait appel à tous les départements ministériels liés au phénomène, de l’Enfance à l’Emploi en passant par la Justice ou encore l’Education nationale. En général, on se contente de lancer une nouvelle loi et tout s’arrête là. Cette fois-ci, non seulement la future loi va permettre de combler le vide juridique existant en la matière mais elle est accompagnée d’un programme qui prend aussi en compte la sensibilisation de la population, la recherche d’alternatives pour ces petites filles et entend s’attaquer aux causes du phénomène», s’enthousiasme Najat M’jid, la présidente de l’association de protection de l’enfance Bayti.

Un programme prometteur
Le programme s’articule ainsi en plusieurs volets imbriqués. Le premier est consacré à la sensibilisation. Depuis le début de la semaine, des spots sont matraqués à la télé et à la radio. Jusqu’au 23 février, ils auront pour mission de jouer le poil à gratter des consciences des parents des enfants-domestiques, de leurs employeurs et de ceux qui jouent les intermédiaires. Quelque 30 000 kits pédagogiques doivent aussi être distribués aux enseignants pour les pousser à faire bouger les mentalités des parents qu’ils côtoient. «Cette partie du programme est essentielle, explique-t-on au secrétariat d’Etat chargé de la Famille. Trop de parents ne sont pas conscients de l’exploitation dont leurs filles vont faire l’objet. Les intermédiaires leur font une description très positive de l’avenir et leur font croire que cela va améliorer leur situation économique. Dans les faits, ce n’est absolument pas le cas puisque l’activité de leurs filles est payée une misère et qu’elles n’accèdent pas à l’éducation qui aurait pu leur permettre de s’en sortir et d’épauler leur famille».

Dans un deuxième volet, le programme propose de s’attaquer aux racines même du phénomène. À savoir la misère et l’abandon scolaire. Le secrétariat d’Etat devrait signer deux conventions d’ici deux semaines avec l’INDH, l’Agence de développement social et les organismes de micro-crédits. Grâce à une enveloppe de quelque 5 millions de dirhams renouvelables sur 4 ans, ces partenariats auront pour mission de créer des activités génératrices de revenus dans les régions où la misère pousse beaucoup de parents à sacrifier leurs filles sur l’autel du travail. Une cellule de veille aura aussi pour mission de repérer les enfants risquant de quitter le système scolaire et de se retrouver convoités pour du travail domestique.

Le dernier volet du programme est enfin la loi proprement dite. Attendue depuis longtemps, elle devrait combler un vide juridique du Code du travail adopté en 2004 qui interdisait le travail des moins de 15 ans mais qui excluait dans son article 4 les travailleurs domestiques de cette disposition. La nouvelle loi, qui est en ce moment entre les mains du Secrétariat général du gouvernement, mettra fin à cette exception. Elle devrait aussi fixer un salaire minimal pour les travailleurs domestiques, un smig avec une partie payable en nature. Elle imposera la signature d’un contrat entre l’employée et ses patrons mentionnant le nombre d’heures travaillées. Après s’être limité à des sanctions financières de 2000 à 4000 dirhams, le texte a aussi été durci à la hausse et prévoit dans sa dernière mouture des peines d’emprisonnement pour les employeurs et les intermédiaires ne respectant pas la loi.

Prudence
De quoi faire la joie des défenseurs de l’enfance. Mais si, sur le papier, le programme concocté par le gouvernement est alléchant et est salué de toutes parts par les ONG largement sollicitées pour l’élaborer, la prudence est de mise quant à ses effets dans la réalité. De la Loi sur la famille au Code du travail, de nombreux textes modernisateurs et attendus ont en effet été adoptés ces dernières années sans entraîner de véritables changements dans les faits. «Ce n’est pas la première fois qu’une loi sort et qu’elle n’est pas appliquée. Seule une véritable volonté politique d’appuyer cette nouvelle législation et la rendre réellement effective pourra réellement faire bouger les choses», martèle Khadija Ryadi, chargée de la commission femme à l’AMDH (Association marocaine des droits de l’Homme). C’est d’autant plus vrai que l’utilisation de petites filles pour des tâches domestique est ancienne et que les mentalités seront difficiles à faire bouger. «Les gens continuent à se donner beaucoup de bonnes raisons pour continuer à exploiter des enfants. Ils se disent qu’ils aident ces petites filles en les sortant de la misère. On trouve même des gens qui, publiquement, plaident contre le travail des enfants et qui, chez eux, ont des petites bonnes», regrette Said Raji, directeur de l’Observatoire des droits de l’Enfant pour qui, «la loi reste malgré tout une avancée réelle car elle donne enfin une base juridique pour faire bouger les choses». «La loi et le programme sont importants, mais ils ne régleront pas le problème, sans véritable changement des mentalités, reconnaît, elle aussi, Malak Benchekroune, responsable de l’IPEC (Programme d’élimination du travail des enfants de l’Organisation internationale du travail) au Maroc. Il faut que tout le monde se responsabilise. Mais il est vrai que c’est un travail de longue haleine et que le changement de mentalités et de comportements ne se fera pas du jour au lendemain».

Difficile de contrôler
Derrière la loi, c’est aussi toute la question de son applicabilité qui est posée. Le texte actuellement dans le pipe prévoit de donner aux inspecteurs du travail la mission de contrôler les familles. Il ne fixe par contre pas l’étendue de leurs prérogatives et les moyens dont ils disposeront pour mener à bien leur mission. Il faudra attendre pour cela la promulgation d’un décret d’application à une date pour l’instant inconnue. Or cette question du contrôle est primordiale. Sans épée de Damoclès au-dessus de la tête des fraudeurs, la loi n’aura pas beaucoup de poids. D’autant que, même avec la meilleure volonté du monde, le travail des inspecteurs du travail ne sera pas simple. D’abord parce que l’inviolabilité des domiciles les empêchera de mener à bien leur mission de contrôle sans décret d’application réglant ce problème. Et puis parce que ce secteur étant par essence très informel et caché à l’intérieur des maisons, il sera particulièrement difficile de trouver les bonnes portes où frapper. «C’est effectivement une des limites de la loi. Pour qu’elle soit appliquée, il faudrait qu’il y ait un véritable corps d’inspection avec des assistantes sociales qui aient accès aux familles, ce qui n’est pas encore prévu. Il faut aussi que des procès-verbaux soient effectivement dressés et suivis d’effet du côté de la justice», plaide Rajae Berrada, chargée des programmes de protection de l’Enfance à l’Unicef (Fonds des Nations Unies pour la protection de l’enfance).

Enfin, de gros efforts sont encore à faire du côté de l’Education. Sans accès facile à une école et sans perspective pour le futur, les familles continueront à envoyer leurs filles à la ville avec l’espoir de petits gains supplémentaires et, pourquoi pas, d’un avenir meilleur. «Quelque 250 000 enfants quittent le système scolaire au primaire chaque année. Ils représentent un vivier pour les intermédiaires. Pour éviter qu’ils tombent dans le monde du travail, il faut que le ministère de l’Education nationale fasse son travail. Il doit proposer une éducation de qualité, faire baisser la violence à l’école et surtout faciliter l’accès aux établissements scolaires. Il y a encore trop d’enfants qui doivent marcher plus d’une heure pour se rendre en classe et qui laissent tomber», explique Lahcen Haddad, directeur du programme Adros qui lutte contre le travail des enfants en les maintenant ou les ramenant dans le système scolaire. Autant dire que, comme tout le secteur associatif, ce spécialiste de l’enfance sera lui aussi vigilant quant à l’impact réel de la future loi. Cette première campagne intégrée et la mise en place d’une base législative représentent, en effet, un vrai pas en avant face à un problème longtemps passé sous silence. Mais sans suivi et surtout sans ferme volonté politique de mettre un grand coup de pied dans la fourmilière, ces mesures ne seront que des pierres de plus dans un vaste océan de réformes ratées.

Amélie Amilhau
Source: Le Journal Hebdomadaire

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