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Contre le racisme : « S’y mettre tous ensemble »

L’urgence d’une réponse unitaire aux violences antisémites et racistes est chaque jour plus prégnante, plaide l’historienne Esther Benbassa, qui appelle à la manifestation de dimanche.



Dans le cadre de la manifestation contre l’antisémitisme, les racismes et les discriminations, nous poursuivons les prises de positions. Aujourd’hui, Esther Benbassa, historienne, directrice d’études à l’EPHE de la Sorbonne, intermédiaire entre les organisations antiracistes, donne son point de vue.

Chaque organisation concernée par le combat antiraciste affirme son espoir d’une manifestation réussie, que ce soit le MRAP, la LDH ou SOS Racisme, qui se refuse toujours, officiellement, à participer. Quel est l’enjeu ?

Esther Benbassa. Pour que cette manifestation soit une réussite, il faut absolument qu’il y ait une union des forces pour combattre ensemble le racisme et l’antisémitisme. J’espère encore que le bon sens prendra le dessus. Sinon il n’y a pas d’issue. On peut comprendre que des gens ne veuillent pas manifester avec l’UOIF. Mais on aurait pu parvenir à un consensus puisque le CRIF a reçu ses représentants, ce qui prouve que l’on peut discuter. La Ligue des droits de l’homme et le MRAP ont fait de vrais efforts de rapprochement, et ce n’est pas dans mes habitudes de prendre parti. Mais certains se sont raccrochés à des opinions passées, qui leur servent, en fait, d’alibi. Le CRIF et SOS Racisme sont dans la perspective d’une lutte exclusive contre l’antisémitisme. C’est dommage. Or les Français doivent comprendre que le racisme et l’antisémitisme sont les maux d’une société en désarroi, à la recherche d’une identité, dans une Europe élargie. On ne peut pas séparer les deux, même si on peut affiner les discours. L’antisémitisme est lié à l’histoire de l’Europe. Le racisme antiarabo-musulman, plus nouveau, est lié à la colonisation et à la décolonisation. On peut montrer leur genèse, mais on ne peut pas séparer le combat.

Quel est l’impact du conflit israélo-palestinien ?

Esther Benbassa. Il est au coeur du débat. On établit, en France, les mêmes campements qu’au Proche-Orient. Aujourd’hui, on en est à se demander si les juifs vont descendre dans la rue. Il serait grave qu’ils ne manifestent pas. Le racisme, l’antisémitisme sont de vrais combats, des réalités qui minent la société. Si on se séparait, on tomberait dans le clientélisme. Le communautarisme, si vous préférez. Ce repli sur soi est calqué sur ce qui se passe au Proche-Orient. Je crains qu’on ne retourne à la notion sartrienne du juif : de plus en plus de juifs reviennent à leur judaïté parce qu’il y a antisémitisme. Comme si antisémitisme pouvait être synonyme de judaïsme. Alors que l’antisémitisme concerne les juifs, mais aussi les autres. C’est un fait de société. De plus en plus, chaque communauté est incitée à se replier sur elle-même, l’autre étant considéré comme un ennemi. Au Moyen-Orient, l’ennemi est soit le Palestinien, soit l’Israélien. Et ici, on applique cette dualité dangereuse. Chacun se ferme dans son camp. Il n’y a pas de modèle plus négatif. Si on est juif ou arabo-musulman par négation, par racisme, à terme, c’est la guerre civile. Le débat n’est pas religieux. Il est un problème de groupes. Nous sommes devant des formes de nationalisme diasporique. Le repli va au-delà du communautarisme. Ces groupes se constituent en une sorte de nation, avec un patriotisme sans terre, sans revendications. Le nationalisme n’efface pas les frontières, il les renforce.

Il y a les cimetières profanés, les lieux de culte violés, les violences, mais il y a aussi le racisme ordinaire...

Esther Benbassa. Il vaut mieux aujourd’hui être juif en France qu’arabe. On ne peut pas nier que cette société, en France, en Europe, en Hollande où l’on vient de tuer Théo Van Goth, a un problème de restructuration, de recherche d’identité, parce que des repères sont perdus, parce qu’il faut changer ses habitudes. Dans cette recherche identitaire, l’autre est exclu, qu’il soit juif, arabo-musulman, rom. Il est plus commode, avec le malaise ambiant, l’économie qui va mal, l’ambiance de violence, de rejeter l’autre que de l’inclure. En Hollande, la société a été bouleversée par le meurtre du cinéaste. En France, sommes-nous bouleversés par le racisme et l’antisémitisme ? Nous semblons immunisés. Une société prise dans ce carcan du rejet est une société qui ne va pas bien. Cela ne concerne pas seulement les juifs, les arabo-musulmans, les Noirs, les Gitans. Il faut arrêter avec les séparatismes. Nous sommes tous pris dans ce malaise, dans ce cancer dont les expressions sont l’antisémitisme et le racisme. Si nous voulons guérir, il faut s’y mettre tous ensemble. Les solutions, les remèdes seront les mêmes. Je ne crois pas trop aux manifestations mais, symboliquement, elles sont importantes. Celles de dimanche peuvent donner un peu d’espoir et créer des passerelles de dialogue.

Entretien réalisé par Émilie Rive

Source: L'Humanité

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