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Les tendances du mariage au Maroc

Dans le couple, le mari est souvent plus âgé que sa femme : c’est une donnée démographique et culturelle universelle. Au Maroc, l’écart d’âge entre l’homme et la femme se réduit d’année en année : il est passé de 6,63 ans en 1960 à 4,2 ans en 1994. Plus le milieu social est aisé et instruit, moins la différence d’âge entre les conjoints est grande. En revanche, la société marocaine accepte encore très mal que la femme soit plus âgée que son conjoint.

Fatema a épousé un homme de trente ans plus âgé qu’elle. C’était en 1986, elle avait vingt ans, lui cinquante. Elle se souvient du jour où ce quinquagénaire est venu la demander en mariage à ses parents. «Nous étions cinq sœurs dans la famille, dont j’étais l’aînée. Nous étions très pauvres. Mon père a accepté tout de suite, mais pas avant de demander mon avis. J’ai accepté aussi pour fuir la misère dans laquelle nous vivions, et l’âge de mon mari m’intéressait moins que sa capacité à m’entretenir. Je ne regrette rien, on a eu quatre enfants et mon homme s’est révélé un père et un mari affectueux. Il est aussi amoureux de moi qu’au début de notre relation». Fatema est en fait sa deuxième femme. Avec la première, décédée, il avait eu sept enfants, maintenant tous adultes et mariés. Mais, pour vivre en paix avec lui-même et avec ses enfants, il a choisi d’aller faire sa nouvelle vie conjugale dans une autre ville. Ce couple tient toujours le coup, malgré les avatars liés au décalage d’âge et le regard, parfois méprisant, de la société. Est-elle amoureuse de lui ? «Ce n’est pas important, répond-elle. Je connais des femmes qui ont des diplômes supérieurs et qui n’ont pas trouvé de mari. Moi, au moins, j’en ai un». L’essentiel pour Fatema dans ce mariage n’est pas l’amour, ni le sexe, mais de sécuriser son avenir, d’être à l’abri du dénuement. Un mariage par nécessité, en somme. Plutôt «traditionnel», dira Mustapha Aboumalik, chercheur et spécialiste de la sociologie de la famille (et auteur d’une enquête sur le mariage à Casablanca). Pour lui, dans ce genre de mariages, l’utilité des deux côtés prime sur les sentiments. «C’est généralement aussi dans un mariage précoce que la différence d’âge est plus grande», soutient-il.

On devient adulte par le mariage
A l’inverse de Fatema, d’autres jeunes filles optent pour un mariage avec un partenaire plus âgé qu’elles, mais par choix et conviction, et non pour des raisons purement matérielles. C’est le cas de Souad, cadre dans une société d’assurances : «J’ai toujours eu un faible pour les hommes plus âgés que moi. Ils ont plus d’expérience et sont plus matures. En tout cas, il était hors de question pour moi d’épouser un homme du même âge que moi, encore moins quelqu’un de plus jeune. J’ai fini par épouser Mehdi, architecte, un homme de dix ans plus âgé que moi, malgré les réticences de ma famille. Notre mariage n’a pas échoué et je n’ai pas à le regretter, mais j’ai découvert que les hommes ont beau être plus âgés que leurs femmes, ils gardent toujours leur côté bébé qu’il faut gérer». L’aime-t-il au moins ? «Nous nous sommes mariés par amour. On s’est fréquenté pendant deux années avant de conclure notre liaison».
Comment peut-on qualifier ce type d’unions ? C’est un mariage basé sur des affinités sentimentales et culturelles, répond Aboumalik, «car les deux conjoints appartiennent à la même catégorie sociale et culturelle». Il y a une autre explication, celle du psychologue, pour justifier cette propension qu’ont certaines femmes à choisir un conjoint sensiblement plus âgé qu’elles : c’est l’image du père protecteur qu’elles recherchent. Un homme âgé est forcément plus expérimenté, capable d’offrir une sécurité psychologique à son épouse. Il y a aussi d’autres explications, soutient le psychologue et sexologue Aboubakr Harakat : «A cause d’un divorce ou d’un décès du père, une femme peut chercher en son mari l’image du père. Il y en a aussi qui, suite à des expériences malheureuses avec des hommes du même âge, cherchent refuge dans les bras d’hommes plus âgés et plus expérimentés».
Qu’un homme choisisse une femme plus jeune que lui, c’est l’évidence même dans la société marocaine. Voire dans toutes les sociétés du monde. En France, par exemple, quoiqu’en continuelle réduction, l’écart d’âge entre homme et femme dans le couple perdure : dans six couples sur dix, l’homme est plus âgé que sa conjointe. Dans 62 % des unions formées dans les années 1950, l’homme était plus âgé que sa femme, contre 54 % dans celles formées dans les années 1990.

Plus on est instruit et aisé, moins la différence d’âge est grande
Au Maroc, pourvu que l’écart d’âge ne soit pas énorme, il était autrefois légitime, socialement et psychologiquement accepté. Cette tendance est-elle en passe de disparaître aujourd’hui ? Rien n’est moins sûr. Mais avec cette différence : l’écart d’âge entre l’homme et la femme, comme en France, est en train de se réduire. Le chercheur Hassan Rachik, dans sa contribution au rapport du Cinquantenaire, intitulée «Jeunesse et changement social», révèle un changement remarquable : «La diminution de l’écart d’âge au premier mariage entre hommes et femmes. Il est passé de 6,63 ans en 1960 à 4,2 ans en 1994. A cet égard, la différence entre les sexes a tendance à s’estomper». Le mariage, dans ce cas, a tendance à devenir de plus en plus «moderne», et non plus «traditionnel», explique M. Aboumalik. Dans son enquête précitée, «Le mariage et les stratégies matrimoniales», il ressort que l’âge est déterminant dans le choix du conjoint et que la différence d’âge évolue selon deux variables : le niveau d’instruction du conjoint et le statut social.
Ainsi, selon la première variable, la différence d’âge augmente dans la catégorie des analphabètes ou des personnes au niveau d’instruction limité. En revanche, la différence d’âge est très réduite dans la catégorie des personnes instruites. En définitive, plus on est instruit, moins la différence d’âge est grande.
Selon la deuxième variable, le statut social, la différence d’âge se creuse surtout dans les rangs des couches déshéritées de la population, alors qu’elle est très réduite chez les couches aisées. En fait, les deux variables sont indissociables, selon M. Aboumalik, qui explique que «le statut social et le niveau d’instruction vont généralement de pair. La différence d’âge est étroitement liée à l’utilité du mariage ; elle est plus grande quand le mariage est basé sur les aspects matériels et a tendance à s’estomper lorsque l’enjeu matériel n’y est pas déterminant. Dans le premier cas, c’est le mariage en soi qui compte et la différence d’âge est souvent grande tandis que les affinités sentimentales priment dans le second cas».

«L’homme aspire souvent à une épouse fraîche et malléable»
Un autre constat non moins intéressant que la réduction de l’écart d’âge chez les couples marocains est soulevé dans le rapport du cinquantenaire : ce n’est pas l’âge, mais plutôt le mariage qui est présenté comme une condition essentielle pour l’accès au statut d’adulte. C’est aussi vrai pour la femme que pour l’homme. «Mariage et emploi sont deux conditions majeures pour l’accès au statut d’adulte. Cependant, ces conditions ne sont pas représentées de la même façon selon qu’on est garçon ou fille. Avec la persistance du chômage, des filles diplômées optent pour la stratégie traditionnelle, à savoir trouver un homme prêt, c’est-à-dire qui a déjà un emploi et un logement». Cet homme prêt, beaucoup de jeunes filles en rêvent encore, même s’il est plus âgé qu’elles.
Une chose est sûre : l’inacceptable aux yeux de la société et de la famille est qu’un homme épouse une fille plus âgée que lui. Selon Hayat Bouferachen, psychologue et présidente de l’Organisation marocaine de l’équité familiale (OMEF), «le décalage d’âge a toujours existé. L’âge est l’un des critères qui donne une valeur à une femme. Mais il y a aussi la beauté. Tous deux sont très importants dans le marché du mariage. Une femme qui n’est pas jeune ni belle doit se justifier si elle veut un mari : c’est là qu’entrent en jeu les considérations d’ordre matériel». Il faut toujours se méfier, continue-elle, lorsqu’un homme choisit une femme plus âgée que lui. Si, en plus, elle est pauvre, c’est un sacrifice et une concession énormes de sa part, reprend Mme Boufrachen. «L’homme aspire souvent à une épouse plus jeune, fraîche, et malléable», martèle-t-elle. M. Aboumalik abonde dans le même sens : «L’homme est souvent plus âgé que la femme, c’est la règle dans toutes les sociétés du monde. Ce n’est pas uniquement une vérité démographique, mais aussi culturelle. L’inverse constitue une exception. Si l’homme choisit une femme plus âgée que lui, c’est qu’il est très intéressé par le côté matériel, par le patrimoine de sa femme, et non pas par ses affinités physiques ou mentales. Généralement, quand elle est plus âgée que lui, elle est aussi plus riche».
Beaucoup le pensent. Un homme peut accepter d’épouser une femme plus âgée que lui avec laquelle il se sent moralement à l’aise. Mais le regard de la société reste inchangé, hostile à tout changement : les deux conjoints ont beau se satisfaire mutuellement et être contents, la pression de la société et de la famille est insoutenable. Il faut vraiment un niveau intellectuel élevé et un moral d’acier pour faire fi de l’image que se fait la famille d’un couple où la femme a quelques années de plus que l’homme.

Jaouad Mdidech
Source: La Vie Eco

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