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Amina Gamraoui : L’immigration positive

Un projet dans le cœur et l'envie d'être utile, Amina revient "au pays". Femme parmi les hommes, sa trajectoire s’appelle détermination.

7 heures, parc d’exploitation de Sidi Othmane. Dans un concert fumant de camions au départ, la poussière vole entre le bitume et le ciel gris rose d’un matin d’octobre. Avec l’élégance d’une cavalière soigneusement pomponnée, Amina Gamraoui se faufile entre les bennes en échangeant poignées de main et salutations avec ses hommes. Avec une fermeté souriante, la
jeune femme inspecte ses troupes et tend l’oreille aux réclamations matinales de son équipe. Parfois, un homme sans tenue posté devant les grilles s’approche pour demander, à voix basse, du travail. C’est qu’elle donne l’impression de tout pouvoir régler, Amina. La voix légèrement cassée, elle passe ses directives en darija et donne le tempo d’une nouvelle journée à orchestrer tambour battant. Aux balayeurs, ripeurs et chauffeurs, les tâches sont distribuées à mesure que l’horizon s’éclaircit.

Responsable d’exploitation à la Segedema, filiale marocaine du groupe français Pizzorno, qui gère depuis quelques mois le nettoiement de Casablanca, Amina dirige, avec allure, la collecte des ordures de Aïn Chock et de Ben M’sick. "Ce qui m’intéressait le plus en venant à Casa, c’était de mener un projet à terme et de le faire naître. C’est important d’aller jusqu’au bout. Le challenge est mon leitmotiv, et ici encore plus qu’ailleurs, il faut faire ses preuves". Du haut de ses 31 ans et à la tête de quelque 440 gars en uniforme flashy, "Amina", comme ils l’appellent, a fait une promesse d’efficacité, et s’y tient. Une fois à part, la jeune chef retrouve en français son petit accent parisien. Calée sur son programme, elle sillonne son secteur avec sa 206, conduite à la casablancaise, salue d’un coup de klaxon un des "ses" balayeurs affairé, guette le moindre symptôme de relâchement, défaut de matériel ou coin de rue mal nettoyé. Ses hommes s’activent, blaguent volontiers, mais filent droit. "Main de fer dans un gant de velours", lui soufflent-ils parfois…

Au sein de son équipe 100 % masculine, Amina Gamraoui est une fille du pays, ou presque. Arrivée de France en décembre 2003, ce n’est que depuis quelques mois qu’elle découvre un Maroc autre que lors de ses retours au bled, à chaque été. L’histoire de cette beurette à la trajectoire insolite commence par un scénario classique. Son père, originaire de Taounate, s’est installé dans les Yvelines pour pointer à l’usine chez Peugeot, bientôt rejoint par sa femme et leur premier enfant de 6 mois. Née là-bas, ce n’est qu’à 24 ans qu’elle troque sa carte de séjour pour la nationalité française. La réussite ne viendrait pas de la nationalité, mais de ses compétences. Les mots du père trouvèrent probablement un écho. Si la galère de nombreux jeunes beurs sur le marché du travail est une réalité de l’Hexagone, Amina ne s’est jamais vu refoulée, bien décidée à ce que technicité et détermination ouvrent les meilleures portes.

Sa maîtrise de biochimie en poche, elle a déjà choisi son domaine : l’environnement. Une certitude déterminée lors d’un stage au Maroc, à l’ONEP. "Deux fois par jour, sur le trajet Salé-Rabat, je passais à côté d’un bidonville installé sur une décharge. Et chaque jour je me demandais, scotchée face au feu rouge, pourquoi tant d’immondices restaient comme ça devant tout le monde". Depuis lors, elle y tient dur comme fer : "Je vais revenir faire quelque chose ici". Mais pas question de débarquer comme ça. "Tellement de beurs parlent de revenir, mais combien ont un réel projet en tête ? Le Maroc a besoin de gens avec du savoir-faire". De retour en France, elle se spécialise dans la gestion des déchets industriels et ménagers, séduit la ville de Poissy où elle fait ses armes, pendant 5 ans. "Il faut se blinder de connaissances comme d’expérience. À l’époque, mon patron était une femme, la seule dans tous les services techniques ; j’ai beaucoup appris d’elle".

Loin d’effacer son envie de s’installer au Maroc, ces années nourrissent son projet, jusqu’à l’offre de Pizzorno. C’est sur les conseils d’un ami, lors d’un passage par le Maroc en mai 2003, qu’Amina avait laissé son CV. À l’entretien, passé les convenances, une question lui est posée : aime-t-elle se lever aux aurores ? "Tout se passe au départ", conclut son futur patron. ça tombe bien, Amina est sur les starting-blocks depuis longtemps. Sauter le pas fut loin d’être facile. Laisser la famille dans les Yvelines, quelques mois après la mort de son père. "J’aurais vraiment aimé qu’il me voie en train de faire ce que je voulais. ça me donne la force de réussir. Car finalement, je suis là, à faire un métier que j’aime, dans un pays qui en a besoin".

Au programme ce mardi matin : apporter la touche finale au nettoiement de la décharge qui jonchait l’entrée du douar Kharbouch, afin d’y inaugurer un terrain de foot et une aire de jeux pour ses habitants. Ce chantier, elle le couve avec une attention particulière, presque maternelle. Le nettoiement a duré un mois, il a fallu creuser plusieurs mètres de profondeur pour débarrasser le douar - qu’elle refuse d’appeler bidonville - du monticule vieux de plusieurs années dont se nourrissaient moutons et poulets du coin. En quelques semaines, ce douar démuni que narguent les prétentieuses villas de Californie a retrouvé une certaine dignité. C’est vers elle que les femmes du douar s’avancent pour manifester leur reconnaissance.

"J’incarne une ligne de conduite bien à moi, explique Amina, certaine d’apporter sa touche à l’édifice. Même règle pour tous, de la rigueur, mais avec souplesse. Je n’ai pas trouvé du premier coup, mais il faut se faire respecter". Respect que, tout comme elle, les hommes qu’elle dirige recherchent aussi. "Une femme a tendance à être plus à l’écoute. Chaque jour, il faut prouver que je peux faire un métier d’homme, sans chercher à le faire comme un homme".
De toute évidence, traverser la Méditerranée "en sens inverse" ne manque pas de susciter les perplexités. Son portrait dans L’Express, fierté de tous ses proches, est soigneusement encadré dans le coin administratif de l’exploitation. "J’ai choisi l’immigration positive. Et puis, dites-moi, que puis-je faire de plus que collecter les ordures pour prouver que j’aime ce pays ?".

Par Cerise Maréchaud
Source: Telquel

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