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Le grand chantier de l’alphabétisation

Les autorités le savent : impossible d’accélérer le développement alors que 40 % de la population ne sait encore ni lire ni écrire.

Tous les matins depuis trois ans, El-Hajja Kelthoum va à l’école. Jusqu’à l’âge de 80 ans, cette sympathique arrière-grand-mère ne savait ni lire ni écrire. Elle est aujourd’hui la doyenne des quatre cent cinquante femmes qui suivent une formation professionnelle et des cours d’alphabétisation au centre de Douar Ejdid, un bidonville de la périphérie de Témara, dans l’agglomération de Rabat.

Fondatrice et présidente de l’Association marocaine pour la promotion de la femme rurale (AMPFR), Malika Ben Mahi a délibérément choisi ce quartier défavorisé pour y construire son premier centre, en 2002. L’année suivante, elle en a créé un deuxième dans le village montagnard d’Al-Iliane, dans le nord du pays. Un troisième devrait voir le jour le mois prochain, sur l’emplacement de l’ancien bidonville d’Ouled Benacher, dans la banlieue de Salé.

Le gouvernement a fait de la lutte contre l’analphabétisme une « priorité nationale ». À l’instar de l’AMPFR, plus de deux cents ONG y participent, avec le soutien du secrétariat d’État à l’Alphabétisation. La part du budget de l’État allouée à la cause augmente régulièrement : 19 % en 2004-2005, 25 % en 2005-2006… À en croire un récent rapport de l’Unesco, le Maroc est l’un des rares pays au monde où l’éducation représente au moins un quart des dépenses publiques. Bref, le Maroc ne veut plus être un « mauvais élève » en la matière. En février 2005, il s’est même doté d’une chaîne de télévision éducative, Alrabiâa (La Quatrième), qui diffuse notamment des programmes d’alphabétisation en arabe classique et en amazigh.

Il y a un peu moins de deux ans, le secrétariat d’État a lancé un plan d’action visant à réduire progressivement l’analphabétisme jusqu’à sa quasi-éradication à l’horizon 2015. En 2004-2005, près de sept cent mille personnes ont ainsi bénéficié de ses programmes d’alphabétisation. Soit nettement plus qu’au cours des années précédentes, mais moins que l’objectif affiché d’un million d’alphabétisés par an.

Pour l’aider à relever ce défi, le secrétariat d’État a sollicité toute une série de partenaires. Plusieurs établissements publics et ministères ont répondu présents, à commencer par celui des Affaires islamiques, qui participe à de grandes campagnes d’alphabétisation dans les mosquées : 60 000 bénéficiaires l’année dernière, près de 120 000 cette année. Simples entreprises ou grands groupes nationaux, les privés sont également nombreux à prendre en charge des centaines de classes d’alphabétisation, parfois sur plusieurs années, voire à offrir des cours à leurs propres salariés. Enfin, pour aider les nombreuses associations travaillant sur le terrain, le secrétariat d’État a décidé de leur allouer plus des trois quarts de son enveloppe budgétaire pour 2006-2007.

Mais alimenter les caisses des associations n’est évidemment pas suffisant. Les autorités s’efforcent donc de réformer en profondeur leur politique d’alphabétisation : formation d’éducateurs et de travailleurs associatifs, création de nouveaux manuels d’apprentissage, moins rébarbatifs, à l’intention des « élèves » les plus âgés (ce qu’on appelle « l’andragogie », la science de l’éducation des adultes). Dans ce dernier domaine, l’Agence américaine pour le développement international (Usaid) expérimente actuellement, en collaboration avec le secrétariat d’État marocain, un programme pilote baptisé « Alef ». « L’idée est simple, explique Abdellatif Kissami, l’un de ses responsables. Pour éviter que certains adultes abandonnent en cours de route, comme c’est encore trop souvent le cas, il nous faut rendre les cours plus attractifs. Comme support de l’apprentissage, nous avons donc recours à l’arabe dialectal (darija) et au berbère (amazigh). Et nous utilisons par ailleurs la Moudawana, le nouveau code de la famille, comme prétexte à informer tout en apprenant. » Quelque mille six cents femmes, dans toutes les provinces, devraient bénéficier de ce programme au cours de cette première année test.

Yasrine Mouaatarif
Source: Jeune Afrique

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