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Pédophilie: Faut-il durcir les peines?

Les affaires de pédophilie sont de plus en plus portées devant la Justice. Celles concernant des étrangers le sont encore plus. Pourtant, la législation réprimant la pédophilie n’est pas plus lourde aujourd’hui qu’il y a quelques années. Faut-il durcir les peines? Certes, selon les victimes qui jugent la législation trop légère. Surtout si l’on sait que certains pédophiles s’en sortent avec quelques mois de prison!

. Des victimes osent briser le silence et portent plainte

· Mais la majorité des affaires sont des délits et pas des crimes

Affaire des pédophiles allemands d’Agadir, arrestation d’une personnalité du monde culturel français avec des mineurs à Marrakech, procès de l’imam salafiste qui abusait de ses élèves à Dakhla… Les affaires de pédophilie sont de plus en plus médiatisées. Celles concernant des étrangers le sont encore plus. Pourtant, la législation réprimant la pédophilie n’est pas plus lourde aujourd’hui qu’il y a quelques années. L’abus sexuel sur des mineurs est régi par les articles allant de 484 à 486 du code pénal. «Est puni de l’emprisonnement de deux à cinq ans, tout attentat à la pudeur consommé ou tenté sans violences sur la personne d’un mineur de moins de 18 ans, d’un incapable, d’un handicapé ou d’une personne connue pour ses capacités mentales faibles de l’un ou de l’autre sexe», article 484. Lorsque les faits susmentionnés sont commis ou tentés avec violences, la réclusion est de dix à vingt ans (art. 485).
Quant au viol, il est défini par l’article 486. Lorsqu’il est commis sur la personne d’un mineur, il est puni de la réclusion de 10 à 20 ans. La peine est aggravée s’il s’agit d’un inceste: réclusion de 20 à 30 ans.
Le code pénal distingue donc entre l’abus sexuel sur un mineur avec violences qui constitue un crime, et l’attentat à la pudeur consommé ou tenté «sans violences» sur les moins de 18 ans (délit). C’est cette dernière catégorie qui constitue le plus gros des affaires de pédophilie traitées par les tribunaux du Royaume. Faut-il durcir la législation concernant ce phénomène? «Certes, mais il faut également penser aux victimes et à leur réintégration», répond le frère d’une victime de pédophilie à Agadir.
Najat Anwar, présidente de l’Association «Touche pas à mon enfant», préfère, elle, parler de la phase préjudiciaire.
«Il est vrai que les victimes osent porter plainte et ne se cloîtrent plus dans le silence, mais il reste beaucoup à faire pour sensibiliser les enfants et les parents sur ce phénomène», explique Anwar. Créée e 2004, l’association qu’elle préside s’est constituée partie civile dans 11 affaires d’abus sexuels sur mineurs en 2005 et dans une quinzaine de procès cette année. Sept procès ont déjà été jugés en première instance et le reste est en cours. La répartition des dossiers par nationalité montre que les «pédo-touristes» ne sont pas les seuls à sévir sur le territoire national. Plusieurs pédophiles marocains se retrouvent également dans le box des accusés.
«Au-delà du nécessaire renforcement de la législation, la sensibilisation des enfants et des familles et leur orientation sont primordiales pour éviter aux enfants de tomber dans les filets des pédophiles», confirme un juge au tribunal de première instance de Casablanca. Selon lui, «ce crime est commun à toutes les sociétés. Et s’il sévit davantage dans les pays en voie de développement, c’est parce qu’il tire sa force du silence de la victime et de sa famille dans ces sociétés». Le silence ne concerne pas seulement la période antérieure à la plainte. «Parfois, il est également la règle au cours de certains procès. Ce qui n’aide pas la cour dans le traitement du dossier», souligne le magistrat.
Najat Anwar explique que le mutisme de la victime est dû à la honte et le désespoir que la société marocaine attache à ce genre de crime. De plus, poursuit la présidente de l’association, il n’existe aucune éducation sexuelle dans notre société. «Chut hchouma… est généralement la seule réponse à toutes les questions à caractère sexuel au Maroc». D’ailleurs, l’association mise beaucoup sur l’éducation sexuelle aussi bien en famille qu’à l’école, dans sa campagne de sensibilisation.
La multiplication des plaintes contre les pédophiles sonne-t-elle le glas de la loi du silence? Est-ce que la société marocaine n’a plus «honte» des viols sur mineurs? Rien n’est moins sûr puisqu’un autre volet de ce phénomène reste très secret et est plus que tout régi par l’omerta: l’inceste. «Touche pas à mon enfant» s’est portée partie civile dans quatre procès pour «viols sur mineurs par un ascendant» à Casablanca, Rabat, Ben Ahmed et Dakhla. «C’est beaucoup plus difficile de convaincre une victime d’inceste de porter plainte». Outre la honte, les victimes doivent généralement faire face à une crainte révérentielle puisque le criminel n’est autre qu’un membre de la famille. Pour y remédier, Anwar souhaite la création de centre d’écoute pour les enfants violés et leurs familles, afin que ces dernières puissent comprendre que ce crime, pas plus que les autres, ne doit pas rester impuni.

Un système ingénieux

En tant que partie civile, l’Association «Touche pas à mon enfant» aide les avocats de la victime à prouver la culpabilité d’un pédophile présumé. Lorsque ce dernier est un ressortissant étranger, l’association communique son numéro de passeport à ECPAT International. Il s’agit d’un réseau international d’organisations ayant pour objectif d’éradiquer la prostitution enfantine, la pornographie enfantine, et le trafic d’enfants à des fins sexuelles. Si l’accusé est fiché dans la base de données du réseau comme ayant un antécédent judiciaire concernant la pédophilie, ECPAT envoie les informations relatives à sa précédente condamnation à l’association qui les présente au juge. «Même lorsqu’ils nient tous les faits qui leur sont reprochés, les accusés, quand ils sont coupables, ne résistent plus devant les informations d’ECPAT International et finissent par avouer», souligne la présidente de l’association. ECPAT possède le statut consultatif spécial auprès du Conseil économique et social des Nations unies (ECOSOC).

Naoufal Belghazi
Source : L'Economiste

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