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Le Maroc vu par Abdelhamid El Jamri, conseiller auprès des Nations unies.

Abdelhamid El Jamri, conseiller auprès des Nations unies et expert en projets auprès de l’Union européenne (UE), imprime sa vision du territoire Maroc au moment où le Royaume doit faire face à de multiples défis. A mois de 12 mois des élections législatives, un rendez-vous qui a pour ambition de marquer la rupture et de constituer un tournant dans l’avancée démocratique du pays, les plus et les moins de notre environnement sont passés en revue par ce natif de Meknès. Si, effectivement, il ne peut pas y avoir de «démocratie sans parti politique», on peut dans le même ordre d’idée ajouter que sans participation pas de démocratisation participative.

- L’Economiste: En 1977, le terme de transition démocratique a vu le jour. Trois décennies se sont écoulées et on l’emploie toujours lors de manifestations politiques et publiques. N’est-ce pas choquant?
- Abdelhamid El Jamri: Soyons sérieux! La transition annoncée en 1977 était purement idéologique et constituait un outil politique pour le pouvoir. Bien que des choses aient été mises en place, comme les élections au niveau national et local, il n’en reste pas moins que le pouvoir est demeuré très centralisé et très répressif. Il n’existait pas une volonté de faire participer la société à cette transition.

La vraie transition a débuté à la fin du règne de Hassan II mais a pris son envol avec l’intronisation de Mohammed VI, qui a impulsé une nouvelle politique permettant au Maroc de se trouver au cœur d’une transition vers un Etat moderne basé sur des droits et favorisant la participation. Le premier élément qui a marqué cette volonté est le discours royal de Casablanca en 1999 avec la redéfinition du concept de l’Etat comme dynamiseur de la vie économique, sociale et politique. Ce qui a permis de mettre fin à la confrontation entre la société civile et le pouvoir. De là, il a été donné une reconnaissance et un rôle aux Marocains qui sont devenus des citoyens.

· Etre à la fois sujet et citoyen, est-ce donc compatible?
- Aujourd’hui, le peuple est en faveur de la monarchie constitutionnelle par conviction et non pas par tradition, car il est convaincu que c’est le meilleur modèle de gouvernance. De plus, c’est ce système qui lui a permis de devenir des citoyens à part entière, des citoyens acteurs à qui l’on donne la possibilité de jouer un rôle politique, économique ou social. Enfin, il faut reconnaître qu’en moins de 10 ans, le pays a accompli des réalisations importantes et irréversibles, -espérons-le-, en matière de démocratie, de modernisme et de construction d’un Etat de droit.

· Et la classe politique? Actrice, animatrice ou spectatrice?
- S’il est entendu que les partis politiques sont la base de toute démocratie, la classe politique marocaine a joué un rôle important dans les changements survenus, et ce, grâce à la mobilisation, aux revendications et à l’action. Aujourd’hui, elle doit vivre avec son temps, à savoir qu’elle doit être l’élément moteur du développement intégré du pays. Force est de reconnaître que ce n’est pas le cas actuellement. Le paysage politique est très éclaté et demeure personnalisé autour de «chefs historiques», qui feraient mieux de passer la main aux jeunes et aux femmes qui peuvent apporter un renouveau au niveau de l’orientation, de la stratégie ou de l’action. Il ne s’agit pas d’une opinion personnelle mais d’une réalité générale. Il suffit de voir si nos élites, nos acteurs économiques, sont engagés en politique. D’examiner les résultats des dernières consultations électorales ou ceux des enquêtes publiées récemment et qui montrent que la jeunesse se désintéresse de la politique et n’accorde aucune confiance aux élus.

· Comment alors envisager un développement intégré?
- Le développement intégré est une nouvelle logique de l’intervention publique. D’abord, cela passe par la compréhension de cette démarche car je ne suis pas certain qu’elle soit bien comprise par tous. Elle doit également comporter une dimension pédagogique progressive qui amènera tous les acteurs à mieux en assimiler les concepts, les fondements ou encore les enjeux. Il passe aussi par la mise à la mise à niveau du champ politique et institutionnel. Au niveau de l’harmonie sociale, la situation évolue des comportements ont changé. Etant en contact avec des responsables gouvernementaux, tout au niveau central que provincial et préfectoral, chacun fait de son mieux et se montre volontaire pour faire avancer les choses.

De façon générale, l’harmonie en ce qui concerne le développement intégré au Maroc vient du Souverain qui a l’avantage d’être écouté et dont les recommandations sont appliquées sans trop de retard tout en échappant aux lourdeurs administratives… toujours persistantes.

· L’Etat a pris l’engagement que les législatives 2007 marqueront la fin d’une ère à travers une rupture avec les pratiques archaïques, frauduleuses qui plombent la démocratisation du pays. Vous y croyez?
- Rupture et tournant en 2007 me semble bien trop ambitieux; relativisons! Quand on parle de développement intégré, il s’agit du développement politique, démocratique, économique, social, etc. Aucun de ces développements ne viendra d’un seul coup et de façon trop marquée. Idem pour la démocratie, il faut y aller progressivement mais sûrement. Les élections 2007 sont un élément parmi d’autres de l’évolution de la démocratie marocaine et un rendez-vous à risque. Si le camp des démocrates perd ces élections au profit des forces obscurantistes, il faudra faire en sorte que les autres composantes de la démocratie ne connaissent pas le même sort afin que le pays puisse avancer.

Ne misons pas tout sur 2007 pour pouvoir tirer des conclusions générales sur l’avenir de la démocratie marocaine.

· Quel est votre pronostic à l’approche de ces élections?
- En 2002, je suis venu au Maroc pour vivre de l’intérieur les législatives. Si beaucoup de progrès ont été réalisés, plusieurs facteurs rendent difficile toute élection objective. A commencer par l’analphabétisme, le degré d’instruction de la population, le manque de clarté des idéologies… J’ai assisté à des campagnes électorales où des partis de la majorité expliquaient la nécessité de se développer avec son lot d’arguments durant plus de 4 heures. Puis, à la sortie d’un tel rassemblement, des candidats sans scrupule tentaient de convaincre les électeurs, qui auraient Al Ajr sawat aala hadi rah fiha Al Ajr autrement dit «si tu votes pour moi, Dieu te récompensera». Ce qui leur permet d’inverser la tendance en 30 secondes.

Quant au PJD, s’il obtient des gains électoraux suffisants pour faire son entrée au gouvernement, ce sera le fruit du jeu démocratique. Si ce dernier ne s’avérait pas démocratique, nombre démocrates replongeraient dans la clandestinité. L’amélioration de la situation économique et sociale sera déterminante. Il faut que tous les chantiers, bien que les retombées ne soient programmées qu’à moyen et long terme, donnent des résultats immédiats, visibles pour la population.

· Un dernier mot?
- Deux mots plutôt. Longtemps la migration a représenté une solution à la fois au chômage et au besoin de devises. Aujourd’hui, la situation a changé, le Maroc est devenu un pays d’immigration, et différents secteurs souffrent ou vont souffrir du manque de ressources humaines qualifiées. De fait, nous devons avoir notre politique migratoire avec un volet retour.

Notre pays a besoin de certaines compétences que nous trouvons chez les Marocains résidant à l’étranger. Si de jeunes cadres MRE travaillent déjà au Maroc pour le compte de firmes transnationales, un phénomène inquiétant devra être pris en compte: celui de leur intégration. Un dispositif d’accueil et d’aide à leur intégration est nécessaire. C’est le monde à l’envers, me direz-vous! On réclamait des dispositifs en faveur des migrants dans les pays d’accueil, et nous voilà dans la même logique que les pays occidentaux! Pour les MRE, le Maroc devient un pays d’accueil, car leur pays d’origine, en quelque sorte, reste la France, la Belgique, le Canada...

Politique économique sans ministère?
L’inexistence d’un ministère de l’Economie permet-elle de conduire une politique économique efficiente? «C’est le ministère des Finances et le ministère du Commerce et de l’Industrie qui joue ce rôle. Il est vrai que de nombreux observateurs nationaux et internationaux ne comprennent pas ce choix. Cette inexistence doit être pénalisante au moins du fait de la dispersion des prérogatives parmi plusieurs départements du gouvernement», indique Abedhamid EL Jamri. Il précise que cette dispersion rend difficilement visible la logique d’ensemble de l’ intervention publique dans le domaine du développement économique, des choix sectoriels, des études économiques, notamment

Les casquettes d’El Jamri
Membre du Comité des Nations unies pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants depuis 2003 et élu en début d’année en tant que vice-président de cette instance, Abelhamid El Jamri assure de nombreuses missions. Dans le cadre des relations entre le Maroc et l’UE, il a élaboré un programme de structuration de la migration légale. En France, il a mis en place un système de suivi et de contrôle des associations tandis qu’au Gabon, il s’est attaché à la création d’un programme de mise à niveau d’instituts supérieurs de formation. Il est également présent en Algérie (aide à la mise sur pied d’un syndicat professionnel), en Belgique (formation des acteurs de la coopération internationale belge), en Haïti (évaluation d’un programme européen de microcrédit)…

Habitat insalubre et développement humain
Devons-nous anticiper le relogement des «bidonvillois»? Doit-on être interpellé sur la concentration de la misère sociale par étage? «C’est actuellement que la misère sociale est concentrée notamment dans les bidonvilles. La politique de l’habitat insalubre qui a été lancée était plus que nécessaire. Pour que cette lutte soit efficace, il est nécessaire de ne pas considérer la lutte contre l’habitat insalubre uniquement du côté urbanistique mais également du point de vue de l’accompagnement social des populations», souligne El Jamri. Et précisement, le pays n’a pas fait le choix d’assister matériellement les plus nécessiteux mais a plutôt opté pour doter de moyens ceux qui décident de se prendre en charge. «Tout à fait, c’est un des objectifs de l’INDH. Concernant son évaluation et son impact, il est encore trop tôt pour en parler. Néanmoins, on peut parler de dynamique territoriale. C’est dans ses mouvements qu’elle pourra révéler ses apports à la société», ajoute-t-il.


Rachid Hallaouy
Source: L'Economiste

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