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Les dérapages de Villepin et Sarkozy

Ni «cambriolage» ni «dégradation». Les propos hâtifs des politiques ont envenimé la situation.

Trop fort, trop vite, trop loin. Comme souvent, pour justifier sa politique passée et à venir, Nicolas Sarkozy s'est employé à l'occasion du drame de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) à parler vite pour coller à l'événement, au risque de l'à-peu-près. Et de la «bavure» verbale. Après «une nuit d'émeutes, une de plus», le ministre de l'Intérieur donne vendredi matin sa première version des faits. Il est alors en déplacement en Lorraine. Lors d'une rencontre avec la presse, il raconte : «Lors d'une tentative de cambriolage, lorsque la police est arrivée, un certain nombre de jeunes sont partis en courant. Trois d'entre eux, qui n'étaient pas poursuivis physiquement, sont allés se cacher en escaladant un mur d'enceinte de trois mètres de haut qui abritait un transformateur. Il semble que deux d'entre eux se soient électrocutés...»
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Au moment où Sarkozy s'exprime ainsi à Nancy (Meurthe-et-Moselle), Dominique de Villepin est à Dijon (Côte-d'Or). Le Premier ministre est moins précis, et moins catégorique, que son ministre : «Il s'agit, selon les indications qui m'ont été données, de cambrioleurs qui étaient à l'oeuvre», affirme-t-il. Ne voulant pas en dire plus, il se réfugie derrière «les éléments de réponse» apportés par le locataire de Beauvau. Déjà trop tard. Emportés par leur souci de coller à l'opinion, et de couper l'herbe électorale sous le pied de leur rival, les deux hommes, Sarkozy comme Villepin, sont dans l'erreur. A Clichy, il n'y a pas eu l'ombre d'un début de tentative de «cambriolage»...

Vendredi en fin de journée, Nicolas Sarkozy reçoit à son bureau du ministère le maire socialiste de Clichy. Il corrige le tir, et explique désormais que six jeunes gens ont été interpellés «après avoir dégradé une cabane de chantier». Les trois fuyards auraient «escaladé un mur d'enceinte de quatre mètres de haut, puis un second de cinq mètres» avant de se réfugier dans le transformateur. Sarkozy reprend à son compte ce qui n'était le matin qu'une hypothèse : «Aucun policier ne poursuivait ces jeunes gens au moment du drame. Il n'y a aucune polémique à entretenir.» Si c'est le cas, pourquoi confier tout de même une enquête à l'Inspection générale de la police ? En dérapant verbalement, Sarkozy comme Villepin ont contribué à semer le trouble dans l'esprit des proches des victimes. Et sans doute à exciter leurs camarades, en mettant en avant un événement déclencheur inexistant, qu'il s'agisse d'un «cambriolage» ou d'une «dégradation» sur un chantier. Puis en dédouanant a priori les services de police de toute responsabilité dans la fuite mortelle des trois jeunes.

Lorsqu'il s'agit de banlieue, le président de l'UMP cherche le rapport de force. Il l'avait encore fait mardi soir, sur la Grande Dalle d'Argenteuil (Val-d'Oise) où il avait été accueilli par des quolibets et des jets de projectiles. Un rien bravache sous les boucliers-valises en Kevlar, il avait promis aux habitants de la cité de «les débarrasser des voyous» et «de la racaille». Des propos qui ont choqué le ministre délégué à la Promotion de l'égalité des chances, Azouz Begag, hier soir sur France 2. Déjà, se rendant à La Courneuve (Seine-Saint-Denis) en juin, à la suite de la mort d'un enfant dans une fusillade entre gangs, Sarkozy avait fait dans la provocation, promettant de «nettoyer au Kärcher» la Cité des 4 000 et toutes celles qui y ressemblent. Au lendemain de sa descente à Argenteuil, il plastronnait encore : «Puisque ma visite a tellement plu, j'y retournerai.» Pour agresser les agresseurs, un peu comme un de ses prédécesseurs à Beauvau, Charles Pasqua, prétendait en pleine vague d'attentats «terroriser les terroristes»... Hier soir, sur TF1, Sarkozy a renchéri, annonçant qu'il se rendrait «chaque semaine dans ces quartiers» afin «d'y ramener la paix» grâce au renfort de «dix-sept compagnies de CRS et sept escadrons de gendarmerie» spécialement entraînés pour l'occasion. Et le ministre, martial, d'asséner : «Cela fait vingt ans que l'on tolère l'intolérable !» Pas vraiment le genre de propos susceptibles d'apaiser les tensions sur le terrain.

Cette manière de s'exhiber et de s'exprimer est dictée par les courbes d'opinion. Marqué sur sa «gauche» par Villepin, Sarkozy doit capitaliser à droite, et même à la droite de la droite. Son absence de résultats probants en matière de violences urbaines l'oblige à la surenchère. Comme si l'omniprésence médiatique pouvait faire oublier la remise en cause de la police de proximité et la suppression des subventions aux associations de terrain.

Source: Libération

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