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Le Maroc, 27ème étoile de l'Europe

Et si le Royaume devenait européen ? Sur le Vieux continent, la question de l'adhésion de la Turquie à l'Europe a fait entrer le Maroc dans la danse.

« Si la Turquie est acceptée, pourquoi pas le Maroc ? ». Voilà posés les termes d'un débat qui révèle parfois des surprises. Dans un sondage publié il y a quelques semaines par le quotidien français « Le Figaro », près de 40 % des Français se prononçaient pour le Maroc, pour une éventuelle adhésion, plaçant ainsi le Royaume avant la Turquie. Même les farouches adversaires d'un élargissement du flanc sud de l'Europe, déclaraient préférer le Maroc à la Turquie : « Quitte à intégrer un Etat extra-européen, le choix du Maroc ou de la Tunisie paraîtrait aussi judicieux et moins porteur de germes explosifs », s'insurgeaient 12 députés français de l'UMP dans une missive adressée, il y a quelques mois, au président Jacques Chirac.

Le mutisme des concernés
Au Maroc, silence radio. La question de l'adhésion « un jour » du Royaume à l'Europe ne suscite, chez les concernés, aucun émoi. Pas un parti, ni même un homme politique pour attraper une perche que Nicolas Sarkozy avait tendue au gotha politique marocain présent lors de sa conférence à l'université Mohammed V, le 28 mars dernier. Le président de l'UMP avait alors parlé « du devenir du Royaume dans l'aventure d'intégration à l'Europe ». « Pure rhétorique », clameront certains. « Démagogie ! », pour d'autres. Il n'empêche que jamais le débat sur l'adhésion du Maroc à l'Union européenne n'aura fait autant sens. Car la récente adhésion des anciens pays de l'Est vient de transformer en profondeur le modèle européen. Longtemps porté par le projet d'une Europe politique, le processus d'intégration, avec l'élargissement à 25, s'est mué en une forme de regroupement d'Etats-Nations autour de valeurs communes. Exit l'idée d'un modèle européen type Etats-Unis d'Amérique, désormais on parle d'« une Europe de puissance, une Europe de Protection et une Europe des valeurs ». Et si dans cette Europe-là, le Maroc avait sa place ? Certes, la future Constitution fait du critère géographique une obligation, mais tous les traités s'abrogent…

Pour l'économiste Hassan Benabderrazak, qui a mené, il y a plus d'un an, les négociations agricoles avec Bruxelles, l'idée est loin d'être saugrenue. Bien au contraire. « Aujourd'hui, l'absorption de pays aussi éloignés que la Lettonie ou l'Estonie a changé la nature du projet européen. Ces pays sont trop éloignés de Bruxelles pour que celle-ci leur dicte leur politique locale. L'Union européenne de demain sera donc une Europe des Nations permettant l'existence d'un jeu politique national. Ce sera le champ politique local qui déterminera les personnes qui iront parler à Bruxelles, et non pas les opinions publiques. Ce modèle d'intégration qui repose, non plus sur le partage d'une culture commune mais sur le partage de critères et valeurs communs, crée une opportunité pour des pays comme le Maroc ou la Turquie ».

Consolider les marches de l'empire
Si, à observer la mutation des pays de l'Est, on peut aisément comprendre le bénéfice économique et politique que retirerait le Royaume d'un processus d'adhésion, quel intérêt pour l'Europe d'ouvrir les portes à des voisins nombreux et pas très riches ? « Tout empire a besoin de consolider ses marches », s'exclame l'économiste. « Il y a une complémentarité démographique entre les rives nord et sud de la Méditerranée. Et économiquement, l'Europe doit avoir un bloc homogène pour contrer les blocs américain et asiatique. Et puis il y a une dynamique dans un processus d'adhésion dont bénéficie aussi l'Europe : aujourd'hui, la croissance européenne est tirée essentiellement par les pays du Sud du continent ».

A Bruxelles, qu'en pense-t-on ? « Pourquoi pas ? », rétorque d'emblée un haut fonctionnaire, en poste depuis plus d'un an à la direction européenne des Relations extérieures. « Aujourd'hui, avec la nouvelle politique de voisinage, le message de la Commission à l'égard du Maroc est très clair : la balle est dans votre camp. Puisque cette redéfinition du partenariat est basée sur le principe suivant : plus le pays avance dans sa coopération avec l'Europe, et plus il est en mesure de « recevoir ». Le principe est donc : au pays de définir ce qu'il veut ».

Que veut donc le Maroc ? Un simple partenariat économique et financier ? Une harmonisation des législations entre Rabat et Bruxelles ? Ou un peu plus ? Difficile de savoir car le slogan lancé par Rabat, il y a quelques années, demandant « un peu plus que l'association un peu moins que l'adhésion » a fini par s'user. Revendiquant un « statut avancé » dans ses relations avec l'Europe, le Royaume n'a pourtant jamais pris le temps de le définir. La formule répétée à l'envi ne recouvre qu'une coquille vide. Résultat : dans les réunions à Bruxelles, le slogan est repris mais... à l'envers. « L'important, dit-on, n'est pas le statut avancé mais plutôt d'avancer dans le statut ! ». Rodé aux mécanismes de la commission, un haut fonctionnaire européen est catégorique : « C'est au Maroc de donner l'impulsion dans ses relations avec l'Europe. Bruxelles est une machine lourde, on ne doit rien en attendre. Au Maroc de lobbyer : mais pour cela, il faut définir clairement des objectifs sur le long terme ».

Jettou en campagne
A la Primature, le lobbying auprès des Etats membres, on en a compris la nécessité. Depuis quelques semaines, Driss Jettou, « europhile » convaincu, est entré en campagne. Hier avec Jean-Pierre Raffarin, demain avec le Premier ministre portugais et espagnol, le Premier ministre s'attelle à convaincre les Etats membres d'augmenter de 40 % l'enveloppe budgétaire destinée au Maroc dans la prochaine programmation 2007-2013. « Driss Jettou est très clairement tourné vers l'Europe », confirme un de ses proches, « il cherche à bien positionner le Maroc pour 2007, date de la mise en place du nouveau partenariat. Et cela se joue maintenant ». A Bruxelles, on en est conscient tant l'engagement européen de la Primature a « bouleversé » les habitudes de travail. Un accès direct au Premier ministre ou encore le recrutement dans le cabinet de Driss Jettou d'un ancien du ministère des Finances pour le suivi exclusif des lignes budgétaires européennes, ont permis d'améliorer le rythme du partenariat. Mais ce n'est pas dans le cabinet du « Premier » que se dessine l'avenir politique du Maroc des 20 prochaines années à venir. Et le Palais est-il aussi convaincu que par le passé à ancrer le Royaume à l'Europe ?

Qu'en pense le Roi ?
Dans le discours, indéniablement, le « statut avancé » étant repris en boucle. Mais dans les faits, c'est moins évident. Si, par exemple, la Commission a des relais dans le gouvernement marocain, elle n'en a pas au Palais royal. Signe hautement symbolique, aucun commissaire européen en visite à Rabat n'a encore été reçu par le Palais, alors qu'un sous-secrétaire d'un pays membre peut y être invité. A Rabat, la relation avec l'Europe n'est appréhendée que dans sa dimension économique et financière. Politiquement sans envergure, l'Union européenne semble ne pas intéresser l'entourage royal. « Cela supposerait d'avoir une vue à moyen et long termes », rétorque cyniquement un fin connaisseur de la politique interne. Plus nuancé, un député européen lance : « On peut difficilement imaginer un pays souverainiste comme le Maroc demander à adhérer à l'Union européenne ».

C'était vrai hier. Mais dans l'Europe qui se dessine aujourd'hui, l'abandon de la souveraineté y est limité. A contrario, en intégrant l'Europe, la Monarchie n'y trouverait-elle pas un mode de pérennisation unique, la soustrayant ainsi aux aléas du champ politique interne ? Certes, ce serait une monarchie « contenue » dans les critères de Copenhague, soumise à la Cour de Justice européenne, et respectueuse des droits de l'Homme. Mais ne serait-ce pas là le plus beau des projets de société pour le Maroc ?

Nadia Hachimi Alaoui
Source : Le Journal Hebdomadaire

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