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Maroc-Algérie : Les dessous d’un quiproquo diplomatique

Il y a un mois, Rabat a annulé le visa d'entrée pour les Algériens, afin de baliser le terrain à un dialogue politique sur le Sahara. Sans consulter Alger qui, un mois plus tard, n'a toujours pas rendu la pareille. Chronique d'un malentendu.

L’histoire du couple Maroc-Algérie est faite d’incompatibilités d’humeur, de fiertés réciproques, de ruptures douloureuses, de mains tendues et de malentendus. La lune de miel ratée pendant ce mois d’août est un concentré de ces relations tumultueuses. Tout commence par un geste de pacification symbolique fait par le roi Mohammed VI, le 30 juillet. Il biffe, alors, la décision prise précipitamment, au lendemain de l’attentat de l'Atlas Asni en août 1994, d’instaurer un visa pour les ressortissants algériens. L’annulation du visa est décidée officiellement pour "le rapprochement des deux peuples" et officieusement pour "obtempérer aux demandes hispano-américano-françaises et baliser le dialogue entre les deux pays voisins sur la question du Sahara".

Après deux jours de tâtonnements, la réponse algérienne atterrit le 2 août sur le bureau de Kofi Annan. Le président Abdelaziz Bouteflika, indifférent à l’invite de Mohammed VI, prend à témoin le secrétaire général de l’ONU sur les relations bilatérales avec le Maroc et la position algérienne par rapport au Sahara. Il fait ainsi savoir au monarque, par personne interposée, sa "volonté sincère de développer ces relations", mais considère "qu’il n’y a aucune raison pour que la question du Sahara occidental interfère dans ces rapports", d’autant, estime-t-il, que c’est "un problème de décolonisation qui concerne le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination" et que "l’Algérie n’a pas une part directe dans ce conflit". Ainsi commence un jeu d'échecs passionnant.

Dans l’entourage du Palais de Tanger, d’où l’annonce royale a été faite, on estime que "l’initiative marocaine demande d’abord que les Algériens lui renvoient l’ascenseur. Quant au dialogue sur le Sahara, il faudrait l’entamer avant d’en préjuger". Dans l’entourage du Palais d’El Mouadia, la réplique ne tarde pas : on en veut au Maroc d’avoir "avancé le premier ses pions". Dix jours après la lettre-camouflet de Bouteflika, le ministre des Affaires étrangères marocain, Mohamed Benaïssa rêve d’un sommet informel avec ses homologues, Belkhadem et Moratinos, à Asilah. À la dernière minute, le chef de la diplomatie algérienne, normalement invité par la fondation du festival pour gloser sur "les relations euro-méditerranéennes", leur fait faux bond, prétextant de la visite chez lui de Taleb Ibrahimi, l’envoyé de l’ONU en Irak. Passons.

Plus d’une semaine plus tard, une "source autorisée", proche de Bouteflika, qui s’avère être le ministre de l’Intérieur, Yazid Zerhouni (Marocain d’origine), reprend à son compte la formule réitérée par la presse locale : l’annulation du visa a été "une action unilatérale du Maroc". Les Algériens accusent alors le Makhzen de les prendre de haut et de chercher à glaner les dividendes de l’opération. Ce à quoi un haut responsable marocain rétorque : "Nous avons pris la décision de 2004 comme celle de 1994, en toute souveraineté". Voilà où nous en sommes. Ce qui au départ devait s’apparenter à une invitation à l’apaisement est devenu un prétexte de suspicion. Un dialogue de sourds entre deux sensibilités à fleur de peau.

Le geste marocain décortiqué
Tant qu’il n’y avait pas encore de riposte officielle algérienne, même un éditorialiste algérois a pu y voir un "geste de bon voisinage". Mais "vu la culture de complotite qui règne chez nous, explique le rédacteur en chef d’un quotidien algérien fort lu, tout le monde a été pris au dépourvu". Ils veulent bien croire que c’est un geste de bonne volonté mais comprennent mal comment ni le ministre El Mustapha Sahel, reçu par le président 4 heures durant le 22 juillet, ni la commission consulaire réunie en parallèle, n’en ont fait état.

Vieille rengaine algérienne, "si le Makhzen prend ses sujets pour des mineurs, il n’a pas à faire de même avec nous". De ce réflexe découlera une surenchère incroyable sur Rabat qui "veut nous forcer la main", "veut avoir le rôle du gentil et nous cantonner dans celui du méchant", "cherche l’effet spectacle", et j’en passe. D’où vient ce sentiment ? D’abord, comme le précise James Baker dans sa dernière interview, "le Maroc se comporte en vainqueur de guerre qui exige des autres de faire des efforts" et les Algériens n’aiment pas trop. "Je les comprends, explique le socialiste marocain Mohamed Benyahya, le Maroc aurait dû faire un suivi, ne pas se contenter d’un effet d’annonce et ne pas s’attendre à ce que l’Algérie accoure tout de suite à la table de négociation".

Or, explique Khadija Mohsen-Finan, l’une des plus grandes spécialistes des relations entre les deux pays, "le Maroc a toujours eu, sur fond de conflit sur le Sahara, une politique de wait and see. Il déploie un effort minimal (annulation de visa) et laisse venir" et là aussi, Alger se sent piégé. Les plus fins observateurs se souviennent du roi Hassan II qui, recevant le directeur de l’institut James Baker, allume un gros cigare, s’affale sur son fauteuil et lui dit : "Maintenant, j’ai joué la carte de l’autodétermination et je vais voir ce que cela va donner". Il est vrai que Mohammed VI n’est pas Hassan II, mais allez le dire aux Algériens. "Du fait que l’élite qui gouverne à côté n’a pas changé depuis 1994 (date où le Maroc a accusé Alger de lui refiler ses terroristes), les dirigeants marocains sont toujours perçus comme des manœuvriers imprévisibles", explique ce journaliste en exil.

Bouteflika n’a-t-il pas considéré comme "un procédé dilatoire toute tentative d’inscrire le problème du Sahara occidental dans le contexte algéro-marocain" ? Le président ne trompe pas toujours les siens : "Ceci est un procédé dilatoire de la part de Bouteflika lui-même", commente cet observateur algérien plutôt indépendant.

L’arrogance algérienne décodée
De prime abord, l’attitude algérienne, vue par ce haut responsable marocain, paraît être malhonnête : "Dans un premier temps, on nous demande de faire un effort. Puis, quand on le fait, on nous en veut. Maintenant, sur l’affaire du Sahara, Bouteflika se contredit. Il prétend n’être concerné qu’en tant qu’État membre des Nations unies, alors qu’il avait proposé un plan de partition. Après, il laisse croire ne rien avoir avec l’affaire, puis se rétracte pour préciser que l’UMA ne peut se concrétiser que si le conflit du Sahara est résolu".

Ce journaliste algérien en exil croit, pour sa part, que c’est "un signe d’hégémonisme, une réaction en continuité par rapport à la politique de Boumédienne, qui cherchait coûte que coûte à être le chef de file du Maghreb en enlevant au Maroc tout avantage concurrentiel". Mais la raison de ce comportement hautain n’est-elle pas plutôt psychologique ? Autant Benyahya que ce journaliste d’Alger s’accordent à croire que "c’est une réaction rancunière d’un pays blessé par ce qui s’est passé en 1994, pas prêt d’oublier les files de journalistes et d’intellectuels algériens traînés par Driss Basri en interrogatoire et humiliés pour rien". A

lors, Bouteflika serait-il malhonnête, rancunier ou, plus sérieusement encore, un néo-stratège de l’hégémonie algérienne ? Mohsen-Finan penche pour la troisième formule. "Élu à 85 % de voix, débarrassé de l’unique général qui le gênait, Mohamed Lamari (le 7 août), armé jusqu’aux dents, quel intérêt a-t-il à faire des concessions sur le Sahara ?", se demande-t-elle. L’UMA, pardi. Pas vraiment. Ceci est une affaire de rhétorique mais dans les faits, autant Rabat qu’Alger sont engagés dans des relations plutôt bilatérales, avec l’Espagne, la France et les États-Unis. La différence - autre raison de discorde - est que le Maroc accepte d’être "protégé" et que l’Algérie refuse "toute forme d’ingérence". Résultat, lorsque le premier secrétaire de l’USFP, Mohamed Elyazghi, déclare solennellement que les trois puissances ont "parlé aux Algériens et au plus haut niveau de la pyramide" pour jouer le jeu, il en déduit qu’ils sont "isolés", alors que de leur côté, ils se sentent "agressés".

Que faire alors ? Deux options se présentent. La première, celle qui ferait le plus plaisir à l’Algérie, est que "le Maroc fasse lui-même un effort sur le dossier du Sahara, en acceptant le principe du référedum par exemple, et ne se contente pas de leur en demander à eux", estime Mohsen-Finan. La seconde consiste à "s’engager sincèrement dans une redynamisation des relations sans précipitation sur le dossier du Sahara. Ainsi, les tensions pourraient être résorbées et les malentendus historiques pourraient se dissiper avant de s’attaquer au nœud gordien (le Sahara)", suggère Benyahya. Si aucune de ces voies n’est empruntée, il faudra attendre, comme le perçoit avec lucidité Baker, "un gisement de pétrole pour contraindre les deux parties à se mettre d’accord".

Driss Ksikes
Source : TelQuel

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