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Les transferts d’argent vers les pays d'origines

Riche actualité que celle des transferts d’argent vers les pays émergents. Indissociables des débats sur les politiques migratoires, ces nouveaux outils du développement sont au coeur d’une intense réflexion, comme en témoignent les dernières perspectives économiques de la Banque mondiale pour 2006. Dans une étude intitulée Global Development Finance 2005 : Mobilizing Finance and Managing Vulnerability, l’institution rappelle que ces transferts sont désormais, avec l’aide publique au développement (APD) et les investissements directs étrangers (IDE), l’une des principales sources de devises pour de nombreux pays.

L’enjeu, il est vrai, est de taille. Les flux des 200 millions de personnes travaillant hors de leur pays à travers le monde s’élèvent à plus de 230 milliards de dollars chaque année, dont 167 milliards vers les pays en développement. Autrefois considérée comme une « aide alimentaire » visant à satisfaire les besoins quotidiens des familles ou des villages récipiendaires, ces sommes sont aujourd’hui considérées comme une épargne potentielle pouvant créer de l’investissement productif. Une masse monétaire d’autant plus intéressante qu’elle n’est pas une source d’endettement et que sa stabilité dans le temps est prouvée, contrairement aux investissements privés qui fluctuent d’une année à l’autre. Mais ces transferts ont un coût.

Et celui-ci est parfois si élevé par rapport aux revenus des migrants ou au montant des transactions que même le G8 réuni à Sea Island aux États-Unis, en 2004, s’est fendu d’une déclaration pour en demander la réduction. En Afrique, ces taxations restent fortes, faute de concurrence ou de structures adéquates. De l’ordre de 20 % à 25 %, lorsque les transferts recourent aux deux principaux réseaux que sont Western Union ou MoneyGram. « Un virement postal de 100 euros à Sousse via Western Union me coûte 19 euros », souligne cet étudiant tunisien. Un prélèvement, qui, appliqué généralement sur de petites sommes, explique non seulement la faible évolution du volume officiel de transferts vers l’Afrique par rapport au reste du monde (en moyenne 16 milliards de dollars par an), mais aussi le dynamisme de l’informel. Rien de tel, en effet, pour beaucoup de ressortissants africains que de se tourner vers « la valise à billets » en confiant leur argent à des collègues ou amis retournant au pays et chargés de le redistribuer sur place. Comment rompre avec cette llogique qui nuit à l’accroissement des flux financiers et qui entretient dans le même temps des circuits parallèles très vigoureux ? « Les services appliqués aux transferts de fonds des travailleurs migrants (TFTM) ne peuvent être efficaces que dans un environnement de concurrence », affirme le premier rapport du groupe consultatif de la Banque mondiale relatif à ce type de prestations, publié en mars dernier.

Proposer aux migrants des services plus nombreux et mieux adaptés à leur situation serait le meilleur moyen d’abaisser ces commissions. Mais les choses ne sont pas si simples face aux mastodontes que sont Western Union ou MoneyGram. Ces agences ont deux atouts de taille : la rapidité et la visibilité. À travers ces sociétés, n’importe quelle personne peut recevoir un virement en moins d’une heure sur simple présentation d’une pièce d’identité et sans devoir être titulaire d’un compte dans l’agence où le retrait est effectué. Quant aux réseaux, ils restent impressionnants : 245 000 représentations dans 200 pays pour le premier et 65 000 points de contacts dans 165 pays pour le second. Ces établissements, dont le métier repose avant tout sur le transfert cash to cash, offrent cependant un nombre limité de services et accordent peu de place à la formation de l’épargne. D’où l’intérêt pour les banques de fidéliser les diasporas à travers une gamme de produits plus étoffée. Aussi, certains groupes tentent-ils de développer une politique commerciale plus agressive vers cette clientèle en proposant des commissions à moindre coût tout en permettant d’effectuer des opérations via les nouvelles technologies (Internet, mobiles, SMS, cartes rechargeables) ou en donnant la possibilité de souscrire à distance à des produits d’épargne, d’assurance, de retraite voire même à des prêts.

C’est le cas de la Société générale, qui offre des formules de transfert sécurisé dans ses succursales africaines ou dans les pays du Maghreb (voir www.socgen.com). Seule condition : posséder un compte à la Société générale en France. Moyennant un abonnement annuel de 25 euros, ce service permet de réaliser jusqu’à deux virements par mois situés dans une fourchette de 50 à 600 euros (3 000 euros dans certains cas) et une tarification forfaitaire de 10 euros par virement, à l’exception du Maroc, où elle est de 5 euros. Après avoir souscrit son abonnement, le résident étranger appelle un serveur vocal, entre son numéro d’identification et son code secret avant de passer son ordre. Le compte du bénéficiaire est crédité sous deux jours et le transfert n’est pas taxé à réception. Autre illustration de cette cible marketing que constituent les diasporas : une représentation de la Société générale de banque au Sénégal (SGBS) existe à Paris, boulevard Barbès, et la Société générale marocaine de banques (SGMB) a ouvert un Centre de relations des Marocains de l’étranger dans la capitale française. Le groupe Banques populaires du Maroc (BPM), premier établissement pour le rapatriement de l’épargne des Marocains résidents à l’étranger (MRE), propose également des produits spécifiques. D’autres exemples existent, comme la Banque des Marocains sans frontières (BMF) d’Attijariwafa Bank. Tournée vers les Marocains de l’extérieur, cette nouvelle business unit s’appuie sur les représentations à l’étranger et sur la filiale de droit français, Attijariwafa Bank Europe. Bien implanté au Maghreb depuis le rachat de la Banque du Sud en Tunisie, mais aussi en Afrique de l’Ouest avec l’ouverture récente de trois antennes au Sénégal, le groupe né de la fusion entre la Banque commerciale du Maroc et la Wafabank fonde en partie sa stratégie sur cette clientèle.

D’autres enseignes ne sont pas en reste. La Banque internationale du Mali (BIM) possède un bureau de représentation situé dans le 19e arrondissement de Paris. Présente aux États-Unis, la Banque internationale du Burkina (BIB) a souhaité mieux mobiliser l’épargne des Burkinabè séjournant dans ce pays. De manière générale, les groupes implantés sur le continent africain, a fortiori dans les pays à forte migration, ont créé toute une série de produits réservés aux nationaux vivant à l’étranger permettant les transferts à coûts réduits et une gestion à distance (LCL, BNP Paribas, etc.).

Si elles permettent de contourner les agences spécialisées, les logiques interbancaires doivent toutefois pouvoir s’appuyer sur un réseau structuré à l’intérieur des pays, ce qui n’est pas toujours possible dans les pays subsahariens. Ces transactions de compte à compte se heurtent par ailleurs à la faible bancarisation des populations africaines, notamment dans les zones reculées. Pour une meilleure couverture, l’alternative résiderait dans l’augmentation du nombre d’établissements franchisés, mais cette formule a d’autant plus de mal à prendre en Afrique que les infrastructures nécessaires aux transferts demeurent insuffisantes et que les partenaires ne sont pas toujours fiables. Quant à se substituer aux agences spécialisées pour capter une clientèle non bancarisée, les banques y rechignent pour des raisons liées à la lutte contre le blanchiment d’argent. De fait, « même s’ils sont coûteux, des réseaux comme celui de Western Union sont redoutablement efficaces », concède un banquier.

Au-delà de la saine concurrence qu’il crée entre établissements, l’accroissement mondial des transferts permet de nouveaux positionnements sur le marché à l’instar de Money Express (voir www.money-express.com). Depuis sa création en 2002, cette filiale du groupe sénégalais Chaka a développé un logiciel de transfert d’argent rapide pour les Caisses d’épargne de la zone de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). D’un premier partenariat avec la Caisse d’épargne de Côte d’Ivoire, d’autres rapprochements se sont tissés par la suite avec les établissements similaires des autres pays membres de l’Union, des instituts de microfinance agréés en Afrique ou encore des banques de l’habitat. Un accord avec la filiale américaine de la Banque de l’habitat du Sénégal (BHS) permet les transferts avec les États-Unis. « Nous avons des accords avec des sociétés européennes et américaines qui utilisent notre réseau pour le paiement de leurs opérations vers l’Afrique. Et vice versa. Des sociétés comme Ria Envia, Money Exchange, Travelex TMT, Chequepoint et Xpress Money à Abu Dhabi sont nos partenaires », explique Malick Seck, le directeur du développement de Money Express. Atout de la formule ? « Les commissions n’excèdent pas 5 % du montant du transfert, et nous encourageons la collecte d’épargne des diasporas puisque nous donnons la possibilité de déposer les fonds sur un compte bancaire. » Money Express enregistre plus de 40 000 transactions par mois à travers le monde, une tendance qui est amenée à se renforcer.

Parce que les TFTM suscitent le plus grand intérêt des bailleurs de fonds, ces derniers tentent à leur tour de faire pression pour ramener les taxations à des prix très concurrentiels. « Nous voulons à la fois réduire le coût de ces transferts en favorisant la concurrence entre banques et créer un compte épargne développement qui permettra de défiscaliser les fonds consacrés au secteur productif », expliquait Brigitte Girardin, la ministre française déléguée à la Coopération, au Développement et à la Francophonie en juillet dernier. Déjà, le Conseil mondial des coopératives de crédit facture à ses membres 10 dollars de frais pour des virements d’une valeur maximale de 1 000 dollars dans une quarantaine de pays. Suivant cette tendance, le Fonds international pour le développement agricole (Fida) a récemment lancé un programme commun avec le Fonds multilatéral d’investissement de la Banque interaméricaine de développement afin d’aider les caisses de crédit ou les institutions de financement des régions rurales pauvres d’Amérique latine et des Caraïbes. Des programmes qui devraient pouvoir s’étendre à l’Afrique.

Source: Jeune Afrique

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