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Grande distribution au Maroc : Le pot de terre contre le pot de fer

Depuis 2000, la grande distribution se développe à une vitesse vertigineuse dans l'ensemble du royaume. Un phénomène inquiétant pour les petits commerçants, qui en appellent aux autorités.

«Plusieurs petits commerces mettent la clef sous la porte à Casablanca avec l'implantation, à un rythme effréné, des grandes surfaces. Si le phénomène s'étend dans les grandes villes du pays, ce sera une catastrophe nationale. » Ali Karoum, président de l'Alliance nationale démocratique pour le commerce et les services, tient à tirer la sonnette d'alarme. Après les États-Unis et l'Europe, le Maroc est confronté à la modernisation de son système de distribution : supermarchés, hypermarchés et centrales d'achat poussent comme des champignons à Casablanca, la grande métropole économique du pays, et à Rabat, la capitale. Et aussi, phénomène plus récent, dans les villes secondaires (Kénitra, Khourigba) ou au pouvoir d'achat plus limité (Fès, Tanger). Cette évolution inévitable avec la mondialisation n'est pas sans danger pour la société marocaine, qui compte environ 5 millions de petits commerçants.

En fait, les grandes surfaces - apparues au royaume en 1991 - connaissent un développement sans précédent depuis 2000. On compte actuellement plus de deux cents magasins dont la superficie dépasse 300 m2 et dix-sept hypermarchés, dont six cash & carry(*). « La grande distribution représente moins de 10 % du commerce de détail au Maroc, mais sa croissance est rapide et la couverture des zones urbaines s'amplifie », indique une étude de la Mission économique de l'ambassade de France au Maroc publiée en avril 2004. Ces grandes et moyennes surfaces, qui disposent de centrales d'achat, proposent des prix très attractifs sur les produits agroalimentaires et les conserves, particulièrement pour les marchandises importées. Dans le domaine du frais, notamment des fruits et légumes, les petits commerçants, qui ont des charges réduites, restent compétitifs. Mais pour combien de temps ? En s'approvisionnant directement et en grande quantité chez le producteur, la grande distribution « double » les intermédiaires et impose ses prix. Par ailleurs, les grandes surfaces réalisent de nombreux gains sur les conditions de paiement des fournisseurs (à quatre-vingt-dix jours) et demandent un pas-de-porte aux sociétés qui veulent être présentes sur leurs linéaires (entre 120 000 et 150 000 dirhams par an, entre 11 000 et 13 500 euros).

Une étude réalisée en 2004 sous l'égide du ministère de l'Industrie, du Commerce et des Télécommunications, révèle l'attrait croissant des consommateurs marocains pour les grandes surfaces. Celui-ci repose notamment sur l'affichage des prix des produits, le plus grand choix proposé et la propreté des locaux. Mais aussi sur des considérations plus inattendues : « Aller au supermarché constitue une sortie pour les citadins, surtout le week-end », explique une ménagère casablancaise. Le groupe Cofarma, qui a réalisé une enquête dans ses hypermarchés, estime que le panier moyen du consommateur est de 18 euros. Environ 50 % de ses clients ont des revenus inférieurs à 950 euros par mois.

Avec l'offensive des grandes surfaces, le mécontentement des petits commerçants est de plus en plus en palpable. Ces derniers demandent une évolution des lois pour empêcher l'implantation des grandes et moyennes surfaces au coeur des villes. Les autorités ont entrepris une réflexion... mais ne sont pas encore passées aux actes. Pour l'Alliance nationale démocratique pour le commerce et les services, il est urgent que les petits commerçants se regroupent pour obtenir de meilleurs tarifs auprès des producteurs et se professionnalisent pour proposer des produits plus sains aux consommateurs, notamment en respectant la chaîne du froid. Ce qui n'est pas toujours facile. « Les sujets les plus âgés ne veulent pas changer leurs pratiques », déplore Ali Karoum. Pourtant, c'est la seule solution pour faire face à la concurrence des grandes surfaces, au renforcement des conditions sanitaires et à l'évolution des modes de transport et de production des marchandises.

Du côté des petits commerçants, on se tourne vers l'État pour accomplir cette nécessaire modernisation de leurs activités. Les autorités ont tout intérêt à conserver le tissu traditionnel des petits épiciers dans les villes, ces derniers jouant un rôle important au niveau social. Le petit commerce est adapté aux ménages les plus démunis, qui achètent au jour le jour et en faibles quantités : un quart de litre de lait, 250 grammes de sucre ou même 1 dirham de riz.

Il existe, par ailleurs, des relations personnelles très fortes entre les épiciers et leurs clients. « Les petits commerçants ne peuvent pas disparaître. Ne serait-ce que parce qu'ils accordent tous les mois des crédits marchandises à leurs clients », précise Ali Karoum. Et puis, les petites épiceries ont l'avantage d'être ouvertes à tout moment de la journée, et même de la nuit pour certaines, contrairement aux grandes surfaces.


* Libre-service géré par un grossiste à destination des détaillants.

Pascal Airault
Source : Jeune Afrique - L'Intelligent

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