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Nouvelles alliances stratégiques pour le Maroc ?

Nous et les Etats-Unis : Nous n'aimons pas les Etats-Unis des agressions contre les peuples, du suivisme vis-à-vis du sionisme, du « my way of life first, et tant pis pour les autres », des QG plus ou moins secrets qui prétendent manipuler l'univers et, par-dessus tout, de l'illusion d'une supériorité radicale, définitive, de son élite, qui en ferait des mutants.
Mais, d'abord, nous le déclarons aux Etats-Unis, qui nous en donnent abondamment l'occasion.

Ensuite, nous ne confondons pas ces Etats-Unis avec « l'Américain moyen. » Ce personnage, une fois n'est pas coutume, existe en chair et en os, et il ne partage pas les lubies de l'élite de son pays, même s'il est patriote et s'il lui arrive d‘admirer les prouesses militaires, technologiques ou simplement verbales de ses « boys. » Malgré les apparences, il n'a pas oublié que ce sont des famines, des lock-out, l'oppression politique et religieuse, qui ont amené ses pères dans les contrées où il vit maintenant.

Quelque part, sa conscience est torturée par le fait que des nations magnifiques peuplaient ces contrées avant ses pères. Il n'aspire qu'à vivre une vie décente, et il croit qu'à force de travail tout un chacun peut s'offrir la même vie décente. Ce personnage, nous n'avons rien contre lui. Nous pouvons dialoguer avec lui, peut-être découvrir ensemble que nos conceptions de la vie décente, de la
« bonne vie », ne sont pas si fondamentalement différentes.

Même à un niveau plus restreint et plus spécifique, au niveau des relations politiques ou économiques que l'on peut avoir avec les milieux US concernés, il faut bien admettre que l'on rencontre une qualité qui n'est pas la plus saillante, ni en Europe, ni surtout chez nous, et qui est la transparence. Il peut arriver à des Américains de mentir, ou de déformer la vérité, ou d'omettre de la dire toute, et dernièrement ils nous en ont donné des preuves irréfutables. Il n'en reste pas moins qu'en règle générale ils jouent franc jeu et vous désignent même l'information, ou les moyens, qu'ils préfèrent garder par devers eux-mêmes. A vous d'être plus intelligent, plus méthodique.

Les Marocains qui ont participé à la négociation des Accords de Libre Echange avec les Etats-Unis peuvent témoigner de cette qualité américaine, peut-être anglo-saxonne. Il faut espérer qu'elle survive à la nouvelle propension au mensonge d'une certaine élite américaine.
Mais c'est évidemment au niveau des échanges commerciaux principalement que l'ouverture sur les Etats-Unis s'impose à nous.

Elle s'est déjà imposée à nous et tant mieux. Certains n'entrevoient que les effets dévastateurs de cette ouverture sur nombre de secteurs de notre économie, et sur ces effets dévastateurs ils ne se trompent pas : toute entreprise qui n'arrivera pas à produire à des coûts et avec une qualité concurrentiels disparaîtra; toute entreprise commerciale qui n'arrivera pas à faire des économies d'échelle disparaîtra également, à terme. Mais, outre que ce sort était annoncé de longue date, et que l'Etat a fait plus que le nécessaire pour qu'au moins une certaine catégorie d'entreprises y échappe, l'ouverture vers les Etats-Unis ne présente pas que des perspectives sombres.

Elle offre aussi des opportunités inédites et de longue durée à l'économie marocaine, que ce soit dans le domaine de l'agriculture, de l'industrie ou des services. Aux Marocains, en effet, de montrer leur intelligence, leur capacité de méthode. Souvent, quand ils y sont obligés, ils « sortent » ce qu'ils ont de meilleur.

Nous et la Chine : Quant à la Chine, avouons tout de suite que nous l'aimons. Voilà une nation qui est la seule parmi toutes les nations à avoir jamais construit une immense muraille le long d'une partie de ses frontières. Ce faisant elle se protégeait des attaques d'autres nations mais elle s'interdisait aussi d'attaquer d'autres nations. Et en effet jamais de son histoire la Chine n'a agressé une autre nation. Elle s'abstient même, depuis plus de cinquante ans, de l'usage de la force pour récupérer l'île de Taiwan, et on se tromperait à penser que c'est uniquement pour des raisons tenant au rapport de forces : c'est aussi par préférence culturelle pour les moyens pacifiques de lutte, par confiance dans les vertus de la patience.

S'agissant du Tibet, est-on sûr qu'il s'agit d'une nation séparée ? Est-on sûr que la revendication d'indépendance y est endogène ? Que le statut d'autonomie dont elle jouit n'est pas plus qu'équitable ?
Voilà également une nation qui hier n'éveillait dans les esprits que des images de misère, de famine et d'anarchie et qui aujourd'hui est en passe de devenir la première puissance mondiale en termes de PIB. On dit que c'est à force de surexploitation des travailleurs. C'est bien entendu faux. Le travailleur Chinois n'est certes pas payé aux barèmes français ou allemands, mais il ne crève pas de faim comme on voudrait le faire croire, ne serait-ce que parce que le coût de la vie lui aussi est bas en Chine. Les services sociaux y sont en outre largement supportés par l'Etat. Les écarts de revenu n'y sont pas immenses.

Le pays est engagé dans la guerre du développement et les travailleurs le savent et adhérent. Ce sont là quelques « secrets » du miracle chinois. Les autres s'appellent : savoir-faire, capacité d'apprentissage, organisation, ingéniosité (dans le recyclage des matières premières par exemple). Et bien entendu aussi : économies d'échelle, agressivité commerciale, etc.

En tout état de cause, ce que tout un chacun doit méditer, et particulièrement en Occident, c'est la grande leçon d'humilité que la Chine est en train d'inculquer à ce dernier. Plus que le Japon, plus que la Corée du Sud, plus que Taiwan—parce que ces derniers étaient épaulés pour ne pas dire plus par les Etats-Unis, alors que la Chine agit seule, en toute indépendance—le pays de Confucius est en train de démontrer que la prédilection de l'Orient pour le métaphysique, qui s'est malheureusement doublée d'un certain mépris pour le « physique », le mondain, le terrestre, au point de supporter l'oppression et la dégradation des conditions de vie des gens, que cette prédilection en est en effet une et non une incapacité « congénitale » à mobiliser des ressources intellectuelles pour maîtriser l'environnement et le soumettre à des objectifs terrestres. Et que si l'Orient décide de
« damer le pion » à l'Occident, il peut le faire. Leçon d'humilité à l'Occident. Leçon de fierté à l'Orient.

Pourvu seulement que l'Orient garde son « âme. » Et que l'Occident acquière de l'âme. C'est là un des enjeux fondamentaux de la tâche de médiation évoquée plus haut, pour la conduite de laquelle l'Europe aurait pu être d'un grand secours.
Maintenant il est vrai que dans l'immédiat la Chine nous cause bien des soucis. Mais soyons honnêtes : qu'avons-nous fait pour éviter le cas ? Bien entendu nous souffrons, par rapport à la Chine, et nous ne sommes pas les seuls, d'un handicap majeur : nous ne pouvons pas faire les mêmes économies d'échelle qu'elle. Mais ceci mis à part, quels efforts avons-nous faits pour améliorer la productivité de nos entreprises et la qualité de nos produits ? Avons-nous investi suffisamment dans la technologie et les ressources humaines ? Nous feignons d'endosser les griefs européens contre la Chine, mais payons-nous nos travailleurs mieux que les Chinois, pour un coût de la vie supérieur ? Nos patrons ont-ils la même austérité que les patrons Chinois?
Trêve de faux-fuyants, et au lieu de déblatérer contre la Chine, mettons-nous plutôt à son école, et regardons-la pour ce qu'elle est : non seulement un concurrent mais un partenaire formidable, avec lequel les perspectives de coopération sont pratiquement illimitées.

Evidemment c'est une gageure que de s'ouvrir en même temps à la Chine et aux Etats-Unis. Mais emporter un rôle de médiateur au sens le plus noble du terme est à ce prix. Toute inclinaison trop marquée de notre pays vers l'un ou l'autre de ces pôles en ferait un pion et non plus un médiateur.
Deux autres grandes régions du monde attendent nos prospections, nos propositions, nos initiatives : l'Amérique Latine et la Russie.

Parce que latine, l'Amérique Latine est culturellement un prolongement de l'Europe du Sud, de l'Espagne et du Portugal en particulier bien entendu, d'où l'importance énorme de ces voisins pour nous, si seulement l'Europe leur permettait de maintenir des relations privilégiées avec nous.
Etant un prolongement culturel de l'Europe du Sud, l'Amérique Latine fait de fait partie du monde méditerranéen. C'est donc un peu dans nos eaux que nous nagerions si nous nous déployions dans ces contrées.
En outre, politiquement comme économiquement, l'Amérique Latine est en quelque sorte notre « lièvre », c'est du moins ainsi que nous devrions la regarder.

Ni trop près de nous, ni trop en avance, elle nous indique les chemins à suivre, les ornières à éviter. Nous devrions la traiter comme un frère à peine plus âgé que nous.
Quant à la Russie, cet immense pays de grands rêves et de grandes déconvenues, nous devrions éviter de la regarder comme un pays défait et voué, comme le veulent des clichés faciles, à subir la loi des mafias et à exporter des putains. Elle en a vu d'autres et s'en est toujours tirée.
Au carrefour de l'Europe, de la Chine et du monde musulman, bien fou serait celui qui l'ignorerait.

Ce sont là les grandes directions dans lesquelles doit se répartir l'effort culturel, économique et politique d'un Maroc ambitieux, d'un Maroc qui en effet n'a pas froid aux yeux et ne manque pas de culot. Bien entendu s'engager dans ces directions n'implique pas de se détacher ni de la Méditerranée, ni de l'Afrique, ni du monde arabo musulman, ni du Maghreb. Au contraire ces régions représentent autant de dimensions de notre personnalité même.

Nous ne pouvons pas les évacuer. Mais elles sont actuellement mal en point et nous disposons de quelque « autonomie de vol.» Il s'agit d'utiliser cette autonomie de vol, en espérant non seulement qu'avant qu'elle ne s'épuise les dimensions actuellement malades de notre personnalité se seront rétablies mais que son utilisation même aura un effet d'entraînement, de rétablissement, sur ces dimensions. Nous ne désespérons même pas de l'Europe. Nous nous contenterons du siège du co-pilote dès qu'elle voudra bien redevenir égale à elle-même.

Note : Ces réflexions ont été inspirées à l'auteur par les débats des deux sessions du forum organisé par le Haut Commissariat au Plan sur «L'Environnement Stratégique et Economique du Maroc » en Avril 2005, ainsi que par la campagne mondiale contre la Chine.
L'article a été rédigé avant que les résultats du référendum français sur le projet de Constitution Européenne soient connus. A.H.

Ahmed Herzenni
Sociologue, militant des droits humains
et ancien prisonnier d'opinion.

Source : Le Matin

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