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Exportations : faut-il dévaluer le dirham pour remonter la pente ?

Y-a-t-il un effet change dans la dégringolade du commerce extérieur ? Plus simplement, la valeur du dirham joue-t-elle, peu ou prou, dans la faiblesse des exportations ? La réponse, clairement, dépend du « camp » dans lequel l’on se trouve.

Dans les milieux officiels, même si on ne le dit pas trop haut, on admet que le dirham est aujourd’hui surévalué par rapport à certaines monnaies et que, de ce fait, les filières exportatrices vers les pays de ces monnaies, sont quelque peu pénalisées. C’est le cas par exemple des agrumes dont plus de 40 % des exportations sont absorbés par le marché russe. Un exportateur confirme que «le rouble a baissé d’environ 30 %», renchérissant ainsi le produit marocain. Mais, ajoute-t-il, «sur ce marché, ce n’est pas le seul problème : les banques russes sont en difficulté, elles ont pratiquement arrêté de financer les opérateurs russes».

Autre difficulté pour les exportateurs marocains : le marché anglais. La livre sterling ayant baissé de plus 20%, les opérateurs du textile et cuir sont «en train de perdre du chiffre d’affaires et des parts de marché», selon un membre de l’Association marocaine des exportateurs (ASMEX). Mais la baisse de la livre sterling, soit dit en passant, ne pénalise pas que les industries du textile et du cuir, elle atteint aussi le tourisme, en renchérissant la destination Maroc, indiquent des professionnels de ce secteur.Tout cela, les officiels ne le nient pas. Mais, disent-ils en substance, le problème est plus compliqué qu’il n’en a l’air. «On peut agir sur le dirham pour augmenter les parts de marché des exportateurs ou, au moins, sauvegarder celles déjà acquises. Mais quid des importations ?». C’est en effet «la peur» de renchérir les importations, au moment où de grands chantiers sont lancés, qui est constamment avancée lorsque la question de la parité du dirham est posée. A cela, on pourrait bien sûr, et de manière partielle, opposer le fait que le cours des matières premières au niveau mondial est en baisse et que la facture d’importations ne sera pas substantiellement affectée comme en 2007 et 2008, mais il reste le problème des biens d’équipements, ou encore des intrants industriels. En outre, «dévaluer aujourd’hui le dirham, puisque c’est de cela qu’il s’agit, reviendrait à remettre en place, sous une autre forme, les droits de douane, alors que nous sommes en train de les démanteler dans le cadre des accords de libre-échange signés», explique un haut fonctionnaire ministériel. Celui-ci nuance cependant cette explication en indiquant qu’une appréciation des importations par l’effet d’une dévaluation pourrait toutefois présenter un certain avantage en protégeant les produits locaux contre la concurrence asiatique par exemple. Mais il n’est pas sûr, ce faisant, que la production nationale gagnerait en qualité et donc en compétitivité, sachant que celle-ci est surtout favorisée par la concurrence et non par la protection.

Quid des importations et de la dette extérieure ?
Autre préoccupation des pouvoirs publics : la dette extérieure. Une dépréciation de la valeur du dirham, évidemment, rehausserait de facto le service de la dette. Selon les projections de la direction du trésor et des finances extérieurs, le service de la dette extérieure publique (principal et intérêts) s’élèvera à 15,2 milliards de DH en 2009, mais baisserait ensuite graduellement pour atteindre 11,3 en 2015.

Cela dit, il faut bien le reconnaître, même les exportateurs ne revendiquent plus ouvertement une dévaluation stricto sensu du dirham. «Il faut regarder le tableau dans son ensemble et pas seulement les exportations ou plus précisément une partie des exportations», estime un responsable au sein de l’Asmex. Celui-ci précise néanmoins que pour les exportateurs, ce qui mériterait d’être entrepris en ce domaine, et cela avait été réclamé en 2007, c’est de «tenir compte de nos concurrents» par une reconfiguration du panier de devises servant à la détermination de la valeur du dirham. Comme, par exemple, introduire certaines monnaies dans ce fameux panier, constitué aujourd’hui de l’euro pour 80% et du dollar pour 20%.
La question, on s’en doute bien, est très sensible. Il n’empêche que les responsables du dossier, selon certaines sources, examinent le sujet sous tous ses aspects, «mais sans plus», tient-on à préciser.
En fait, ce dont il s’agirait, c’est surtout d’envisager la mise en place d’une certaine flexibilité du taux de change. Mais là, ce ne serait pas vraiment nouveau. Il faut rappeler, en effet, que les autorités marocaines avaient annoncé, avant l’arrivée de l’actuel gouvernement, leur intention de basculer, progressivement, vers un régime de change flexible. C’était même prévu pour... 2009 ! Ce n’était évidemment pas un engagement, mais plutôt une perspective. Mais il ne faut pas se méprendre : même dans l’hypothèse où cette perspective se réalisait, le Maroc n’irait pas vers un régime de flottement pur de sa monnaie. Tout au plus, s’agirait-il d’une certaine souplesse à introduire dans le régime de change sachant que le change flexible comporte toute une palette de positions dans lesquelles chaque pays choisit de se situer.

Lors de sa visite au Maroc l’été dernier, le nouveau directeur général du FMI, Dominique Strauss-Kahn, on s’en souvient, avait clairement appelé les responsables marocains à aller vers un régime de change «plus flexible». Et le chemin qui y mène selon le FMI, c’est la libéralisation du compte capital. Il faut rappeler à ce titre que des mesures ont été introduites dans ce sens, il n’y a pas si longtemps, comme, par exemple, la possibilité donnée au secteur financier, jusqu’à un certain niveau, de faire des placements à l’étranger ; si bien que la libéralisation du compte capital dont parlait le FMI est aujourd’hui assez avancée.

Le compte capital, déjà très largement libéralisé
La Banque mondiale, dans son rapport de novembre 2007 sur Les conditions propices à une croissance plus rapide et équitable (voir La Vie éco du 18 janvier 2008), avait, elle, adopté une position plutôt mitigée sur la question. Après avoir noté que «dans la situation actuelle, il est difficile de prédire si un régime de change plus souple amplifierait l’appréciation ou la dépréciation du dirham», l’institution de Bretton Woods estime que «dans l’idéal (...) il faudrait une politique de change volontariste pour rétablir la compétitivité et faire face aux chocs externes, comme la perte potentielle de parts du marché du textile en Europe ou la détérioration des termes de l’échange (...)». Mais une politique volontariste, n’est-ce pas une dévaluation pure et simple ? L’économiste Lahcen Achy (voir interview en page suivante) ne dit pas autre chose. Pour lui, une dévaluation, et «audacieuse», du dirham dans la conjoncture actuelle pourrait être salutaire pour les exportations, compte tenu de l’appréciation du dirham par rapport aux concurrents du Maroc. Mais il précise bien qu’il s’agit d’une opération de court terme, qui ne viendrait se substituer ni aux réformes structurelles (comme le plan Emergence en faveur de l’industrie) ni à une nécessaire évolution vers un régime de change flexible. C’est plutôt rare une opinion aussi clairement exprimée, mais c’est la chance des universitaires d’avoir cette possibilité de nommer les choses par le nom. Car, si les personnes en responsabilité, publique comme privée d’ailleurs, sont nombreuses à partager ce point de vue, elles le font de manière officieuse. «Après tout, une manipulation du taux de change de façon temporaire, pour donner de l’oxygène aux exportations, c’est tout à fait jouable», confie un opérateur.

Mais, c’est une évidence, la variable monétaire n’est pas tout, elle pourrait même n’être d’aucun secours pour le secteur exportateur si la production nationale ne se développait pas, à la fois en qualité et en quantité. Il faut bien voir que, dans certains cas, c’est l’offre qui fait défaut et non pas les marchés. Alors, faut-il dévaluer le dirham ou non ? Au vu de la conjoncture actuelle, la question mérite d’être sérieusement examinée.

Salah Agueniou
Source: La Vie Eco

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