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Le Maroc connait une pénurie des compétences

L’embellie que connaît l’économie marocaine se heurte plus que jamais à la crise de la main-d’œuvre qualifiée et, plus globalement, des compétences. La difficulté à recruter touche quasiment tous les secteurs et encore plus, ceux qui enregistrent une forte croissance: tourisme, textile, BTP, centres d’appel, nouvelles technologies, etc. Dans le BTP, ce sont les professionnels de Tanger qui avaient lancé le cri d’alarme, le manque de techniciens bac +2 menaçant les chantiers d’infrastructure dans la région.

La crise de compétences sera au cœur du débat au Forum GRH au Maroc qui ouvre ce matin à Casablanca, événement organisé par la société MRH. Plusieurs dirigeants et spécialistes des ressources humaines sont attendus à ce rendez-vous. Tous les experts interrogés sont unanimes: cette «tension» est due au décalage entre l’offre éducative et les besoins des entreprises, mais aussi, le manque de flexibilité du système d’enseignement. Résultat, le nombre des diplômés au chômage n’a jamais été aussi élevé et la plupart des cas, les jeunes sont contraints à accepter du travail en dessous de leur niveau de formation. Les centres d’appel, par exemple, recrutent aujourd’hui massivement au niveau bac +4.

Malgré des poches de réussite, la formation professionnelle ne trouve pas non plus grâce auprès des DRH. Que lui reproche-t-on? Pas assez complète et rigoureuse. Le tourisme, avec des taux de croissance à deux chiffres, est sans doute l’activité où la situation est la plus critique. Trouver des serveurs ou des chefs de cuisine qualifiés relève presque du «miracle». A cela s’ajoute l’appel d’air provenant de l’Espagne qui a conclu des accords d’immigration de main-d’œuvre avec le Maroc. Ce sont, surtout, des salariés expérimentés qui prennent le large, profitant des meilleures conditions que leur proposent les Espagnols. Les entreprises marocaines, dans l’hôtellerie en particulier, sont sur la défensive faute de pouvoir améliorer leur attractivité.

Des besoins en formation sont gigantesques au regard des investissements dans le secteur. Sur le terrain, le dispositif, malgré des efforts, a du mal à suivre. Azzelarab Kettani, président de la Fédération nationale des restaurateurs (FNR) et président de la commission formation de la Fédération hôtelière confirme: «les formateurs n’ont pas de vécu professionnel et le programme est à des années lumière de la réalité dans l’entreprise touristique; beaucoup d’enseignants n’ont jamais mis les pieds dans un hôtel et ne connaissent quasiment rien du métier». A la décharge de ces établissements de formation, le manque d’implication des professionnels si prompts à critiquer leurs défaillances. Dans un domaine où la règle est la formation par alternance, les jeunes éprouvent le plus grand mal à trouver des entreprises d’accueil.
Une part importante des salariés dans le tourisme actuellement possède soit un niveau bac, soit juste en dessous, révèle le président de la FNR. Souvent, ils y arrivent non pas parce que le secteur est très attractif, mais parce qu’il représente une «roue de secours». En réalité, la majorité des entreprises touristiques doivent aussi balayer devant leurs portes en améliorant leur attractivité sociale.
«Le système dans lequel on se retrouve actuellement est une impasse: on forme les gens en ayant peur qu’ils aillent voir le concurrent; si on ne les forme pas, ils ne sont pas opérationnels et nous perdons en productivité», observe Azzelarab Kettani. Bref, c’est le serpent qui se mord la queue. Il faut compter entre 6 et 8 mois pour une formation crédible dans le domaine touristique. Même constat pour les centres d’appel. Jerôme Mouthon, directeur général de Sysnek France et Cerdis Maroc, spécialisées dans le télémarketing et webmarketing, déclare recevoir régulièrement des personnes sorties de l’enseignement général qui s’imaginent intégrer son entreprise «simplement parce qu’ils parlent français». Or, c’est bien plus compliqué que cela: non seulement il faut parler correctement français mais aussi, être motivé. De la motivation, il en faut, il est vrai, dans une activité aux horaires contraignants et pas toujours bien rémunérés.

La fourchette des salaires oscille entre 3.500 à 4.500 dirhams mensuels pour un opérateur avec expérience. Néanmoins, la mauvaise réputation des centres d’appel est imputable aux conditions de travail et un stress permanent. Les plus performants mettent, généralement, à disposition de leurs salariés un système de compensation sociale: des primes à la semaine ou au moins selon les performances réalisées par le téléopérateur, un cadre de travail agréable avec des salles aménagées pour les fumeurs, et puis surtout, la déclaration totale du nombre d’employés à la CNSS (ce n’est pas forcément un acquis partout).

Le turn-over relativement élevé, en moyenne 10% par mois, dans les centres d’appel est l’une des équations que doivent résoudre les DRH des entreprises dans ce secteur. Face à la crise du personnel qualifié, les employeurs se «piquent» de bons éléments sans état d’âme. A la longue, cela finit par déstabiliser toute l’organisation.
Les journaux débordent d’annonces de recrutement des milliers de télé-opérateurs chaque semaine. L’une des conséquences de cette «pénurie» des compétences est la pression sur les salaires. Ce qui, à terme, pourrait menacer la compétitivité-prix de la destination, un de ses arguments de vente auprès des investisseurs dans les centres d’appel.

Face aux difficultés d’adaptation des jeunes, les entreprises ont intégré la formation dans leur «package recrutement». C’est un investissement supplémentaire qui peut atteindre des sommes importantes et repousser dans certains cas, le seuil de rentabilité d’un projet. Ce n’est pas un hasard si les régimes conventionnels intègrent la prise en charge partielle de la formation (au métier) des salariés.

Le textile habillement qui remonte de manière spectaculaire après une traversée du désert affronte une pénurie d’une rare intensité. Non seulement il lui manque des ouvriers qualifiés et des techniciens, mais également, et c’est peut-être là le fait nouveau, des managers. S’il est abusif de mettre tout le monde dans le même panier, le textile traîne une mauvaise image (largement méritée) à cause des conditions sociales d’un autre âge. Pour bien des gens, travailler dans le textile aujourd’hui est synonyme d’exploitation. Cela signifie donc faible attractivité et difficulté à attirer des talents sur le marché.

Conséquence de la montée sur la chaîne de valeur, le secteur souffre par ailleurs d’un manque de spécialistes-métiers de niche comme les stylistes de tissu et des maintenanciers dans la confection pour l’ameublement.

Plus globalement, il en sera fini du recours à une main-d’œuvre analphabète et corvéable à merci du fait même de l’évolution de cette industrie et de la montée en gamme (voir plan Emergence). Pas possible non plus de compter sur le «travail au noir» pour améliorer la compétitivité-coût. La sous-traitance à façon telle qu’elle a été pratiquée pendant des décennies est condamnée à disparaître, la compétitivité se jouant d’abord sur la qualité et la productivité des ressources humaines.

Levier des compléments de salaire
Face à la rareté des talents, les entreprises rivalisent en ingéniosité pour améliorer leur attractivité sociale. Elles sont prêtes à payer pour les compétences par l’instauration d’indemnités compensatoires telles que les primes ou la mutuelle, explique Mohamed Benouarrek, DRH de Novartis. Sur certains profils, type ingénieurs notamment, la roue a vraiment tourné, concède un DRH d’un opérateur télécoms lors d’un débat organisé par le groupe Diorh. Il y a quelques années, révèle-t-il, les lauréats de l’INPT (Institut national des postes et télécommunications) défilaient chez Maroc Telecom. «Aujourd’hui, ils sont devenus introuvables»!

Dans ce contexte de crise généralisée, les DRH se rejoignent sur un point: «il faut mettre le paquet» sans tomber dans le piège de l’inflation des salaires». Mettre le paquet c’est aussi savoir optimiser les périphéries du salaire par exemple. Selon une enquête du cabinet Diorh, les entreprises activent ce levier. Les compléments de salaire les plus courants sont: la voiture de fonction qui s’étend de plus en plus à l’encadrement moyen, la carte carburant qui vient en remplacement des indemnités kilométriques, les prêts pour aide sociale, les stock-options notamment dans les filiales des firmes américaines, la prise en charge des formations diplômantes, un outil utilisé aussi pour fidéliser les cadres.

Les mécanismes de l’Anapec
L’Anapec est le principal dispositif public d’intermédiation sur le marché de l’emploi. Mais l’essentiel des transactions lui échappe, l’Agence étant concentrée sur les chômeurs en grande difficulté, conformément à l’esprit de son cahier des charges. Pour leur recrutement, de plus en plus de sociétés, notamment dans les centres d’appel et l’hôtellerie, recourent à la base des données de l’Anapec grâce au programme Idmaj (insertion-emploi) et ses avantages. Le contrat insertion Idmaj concède aux entreprises une exonération de cotisations sociales et de l’impôt sur le revenu pendant 24 mois sur le salaire. Seules conditions: les candidats doivent avoir un bac ou diplômés de l’enseignement supérieur ou professionnel, et inscrits dans la base de données de l’Anapec depuis au moins six mois. Cet outil a connu un large succès auprès des PME et des secteurs à forte intensité d’utilisation de main-d’œuvre directe.

La formation contractualisée pour l’emploi est le deuxième outil de partenariat avec les entreprises. Sur la base d’une promesse ferme d’embauche, l’Agence conclue avec l’entreprise un accord de formation-reconversion des demandeurs d’emploi. Les bénéficiaires doivent avoir au moins un bac, être inscrits dans la base de données de l’agence et, être sélectionnés par l’employeur. Les entreprises contribuent pour 40 dirhams par heure et par participant avec un plafond de 10.000 dirhams par an.

Les jeunes firmes opérant dans les métiers d’émergence (nouvelles technologies, automobile, agro-industrie, offshoring) verseront 24.000 DH pour une formation de la même durée. Il est prévu de former 6.400 diplômés d’ici fin 2009.

Selon les professionnels du recrutement, seuls 15 à 20% du recrutement des cadres transitent par les cabinets privés. Le reste se fait par des réseaux informels (recommandation, entre autres).

Recrutement: CV en béton exigé!
Le cabinet Invest RH a réalisé une enquête sur les nouvelles tendances du recrutement au Maroc. Ses conclusions seront présentées ce matin au Forum GRH à Casablanca. Les entreprises ont durci la sélection tandis que l’acte de recrutement se professionnalise. Par ailleurs, la mobilité des cadres s’accentue. Khadija Boughaba, directrice générale d’Invest RH, analyse ces résultats.

Les entreprises envisagent-elles de nouvelles manières de recruter? C’est la question essentielle que se posent les cabinets de recrutement au Maroc. Actuellement, les entreprises demandent des profils très pointus et systématiquement de l’expérience pour des fonctions de manager. «Le problème de cette sursélection contribue à la difficulté d’insertion des jeunes diplômés qui sont eux-mêmes, déjà mal préparés à affronter les obstacles de la vie professionnelle», commente Khadija Boughaba, directrice générale d’Invest RH.
En effet, selon l’enquête, «les candidats sont désemparés face aux exigences des employeurs; ils lancent un cri de désespoir car malgré leur formation, ils ont de plus en plus de mal à trouver un emploi. Sans expérience sur le CV, point de chance de décrocher un «job». Une exigence logique en raison de l’environnement concurrentiel et ses contraintes de performances qui pèsent sur les entreprises.

La conséquence immédiate est l’agrandissement du fossé entre l’offre et la demande sur le marché du travail. Une des réponses à ce phénomène est la professionnalisation des cursus universitaires. Des programmes de formation plus adaptés aux besoins du marché sont introduits dans les Facultés qui multiplient par ailleurs des partenariats avec les entreprises. Certaines ont adopté des formules de formation avec stages obligatoires en entreprises, seul moyen d’augmenter l’employabilité et les chances d’insertion de leurs lauréats.

Deuxième grande conclusion de l’enquête d’Invest RH: les candidats interrogés (3.000) souhaiteraient que les entreprises fassent du recrutement un acte de management stratégique à part entière et des relations professionnelles et personnalisées. Dans les faits, on est loin du compte.

L’adoption de nouveaux outils de recherche et de communication par Internet ont généré de nouvelles attentes chez les candidats en termes de délai de traitement et de retour d’information. Cette prise de conscience passe par une professionnalisation de l’acte de recrutement tant en entreprise qu’aux niveaux des intermédiaires.

«Nous assistons aujourd’hui à un bouleversement des rapports candidats-entreprises», observe la DG d’Invest RH. Ceci est le fruit de plusieurs facteurs dont la redynamisation du marché du travail par la création massive d’emplois dans certains secteurs tels que le BTP ou l’offshoring. Les profils disposant d’une expertise rare et recherchée augmentent les «enchères». Il ressort enfin que les cadres deviennent de plus en plus infidèles. Fait nouveau, le changement d’employeur n’est plus seulement motivé par des considérations matérielles. Autant que le salaire, les avantages sociaux, la formation continue et le style de management pratiqué dans l’entreprise sont facteurs attractifs pour une entreprise et font partie de son «marketing RH». Ces éléments constituent à l’évidence des piliers de fidélisation.

Cette évolution-là, les dirigeants, et certains «despotes» parmi eux, devraient y prêter le maximum d’attention s’ils ne veulent pas voir partir leurs meilleurs éléments à la concurrence.

Vanessa Pellegrin
Source: L'Economiste

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