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Fatéma Hal : festins à la nuit tombée

Ah, la harira ! Plus qu'une soupe, "une soupe divine", écrit Fatéma Hal. Un souvenir d'enfance, chaud et doux, un sésame vers le monde adulte. C'est un bol d'harira qu'on offre dès le soleil couché pendant le ramadan. Trente minutes de préparation, deux heures de cuisson, et un plaisir infini. Cette recette, et bien d'autres encore, Fatéma Hal les tient de sa mère, Mansouria. Dans son nouveau livre, Ramadan, la cuisine du partage, qu'elle a cosigné avec le photographe Erick Bonnier, elle rend hommage à ces plats qui nourrissent les nuits du jeûne, réunissent famille, amis, voisins, pour des réjouissances qui donnent de l'islam, dit-elle, "l'image d'une religion bienveillante".

Fatéma Hal est née à Oujda, au Maroc. A 18 ans, elle part pour la France, afin de se marier avec l'homme que sa famille lui a choisi. Cinq ans et trois enfants plus tard, elle suit des cours de littérature arabe et d'ethnologie à Paris-VIII, divorce, rejoint Yvette Roudy au ministère des droits de la femme, tout en s'occupant de mômes dans les quartiers.

Ensuite, avec trois francs six sous, elle ouvre un restaurant, la Mansouria, rue Faidherbe, dans le 11e arrondissement de Paris. Sa mère est aux fourneaux. Depuis, l'établissement s'est agrandi. Il passe pour être l'une des plus grandes tables marocaines de la capitale. Fatéma Hal publie aussi des ouvrages sur les recettes de son pays, comme Les Saveurs et les gestes (Stock, 1995), Le Grand Livre de la cuisine marocaine (Hachette, 2005), Le Livre du couscous (Hachette pratique).

Avec Ramadan, la cuisine du partage, elle revient aux sources de son histoire, à l'éveil de ses goûts, à son premier jeûne : elle avait 7 ans. Elle se souvient du marché d'Oujda, des "pyramides de poivre, de cumin, de gingembre, de curcuma et d'anis dont l'odeur me rendait folle". Elle se souvient du beau caftan que lui prêta une voisine, de ses boucles d'oreille, et de son portrait chez un photographe : "J'affirme sans honte que je me damnerais pour retrouver ce cliché, même s'il était déchiré en mille morceaux !" Elle fut, ce soir-là, "la petite reine du ramadan". C'est à elle qu'on tendit en premier la datte et le verre de lait, aliments rituels de la rupture du jeûne. A elle encore qu'on donna le premier bol d'harira.

Cette belle remontée du temps se double du témoignage d'Erick Bonnier. Ce photographe a une passion pour les pays arabes, comme une seconde peau. Pour Ramadan, la cuisine du partage, il a été invité à partager les repas de son ami Ahed, "dit Ben", qui vit avec sa femme au Kremlin-Bicêtre, en périphérie de Paris, mais qui a toujours de la famille à Fès : des deux côtés, c'est la même fête joyeuse, les mêmes saveurs, les mêmes prières.

Pendant le mois du ramadan, (cette année, il a commencé le jeudi 13 septembre), les nuits sont rythmées de trois repas : Al-Foutour, dès la tombée du soleil, qui se compose principalement de soupes, dont la harira est la vedette ; Al-Ichâa, le dîner, beaucoup plus copieux ; et, après quelques heures de sommeil, Al-Souhour, les dernières collations avant le lever du jour.

Pour chacun de ces instants, l'ouvrage de Fatéma Hal propose une batterie de recettes, des plus simples, comme les oeufs durs à la cannelle, aux plus sophistiquées, comme le tajine de confitures de tomates et d'asperges. Il court dans ces pages des odeurs magiques de thym, de menthe, de coriandre, de fleur d'oranger. Et aussi le plaisir de pétrir la semoule, cette semoule qui sera cuite trois fois, pour qu'elle devienne légère. Alors seulement, il sera possible de réaliser "un couscous voilé à la rose et au loup de mer", ou "un couscous d'agneau aux oignons confits".

Et puis il y a les délices des desserts, dont Fatéma Hal constate, sans trop de regrets, que la tradition de les faire à la maison s'est un peu perdue. Elle explique quand même l'art de confectionner sablés aux dattes, baklava aux noix, cornes de gazelle, bracelets de la mariée ou biscuits aux amandes...

Ramadan, la cuisine du partage peut aussi se lire et se regarder "juste pour le plaisir des yeux", comme disent les marchands des médinas pour inviter les passants à visiter leur boutique.

RAMADAN, LA CUISINE DU PARTAGE de Fatéma Hal. Photographies d'Erick Bonnier. Ed. Agnès Viénot, 172 p., 19 € .

Bruno Caussé
Source: Le Monde

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