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Problèmes dans les coulisses des télés marocaines

Les rapports des chaînes de télévision avec les producteurs sont loin d’être au beau fixe. Les vieilles habitudes sont toujours de mise. Plongée dans un univers plein de zones d’ombres.

Ce jeune producteur n’oubliera jamais le jour où il a été approché par un conseiller de Fayçal Laâraïchi, patron du pôle audiovisuel public, pour concocter un programme mensuel de 52 minutes s’adressant aux jeunes. Sachant qu’une telle opportunité ne se présente pas tous les jours, il s’est alors mis rapidement au boulot. S’inspirant des émissions télé-réalité, le concept proposé a séduit le PDG de la SNRT (Société nationale de radiodiffusion et de télévision). L’homme fort de l’audiovisuel public a donné ses instructions pour enclencher la machine de la production. La première émission fut ainsi réalisée, mais pour des raisons inexpliquées, elle n’a jamais été diffusée sur la première chaîne. Cette production dort toujours dans les tiroirs du service de la programmation. Si ce jeune producteur s’en est sorti financièrement indemne de cette expérience, il en garde un souvenir amer. Même son de cloche auprès des managers d’une filiale d’un grand groupe de communication qui a proposé une émission de divertissement clé en main pour la TVM, financée à 100% par un annonceur. A leur grande surprise, la chaîne a mis des mois avant de rendre son verdict. Résultat : le programme ne fut pas accepté et la TVM n’a pas pris la peine de justifier sa décision.

Pas d’appels d’offres
Deux exemples parmi tant d’autres qui renseignent sur l’amateurisme qui prévaut encore dans la gestion de la production par les chaînes nationales. Un amateurisme qui, selon certains producteurs préférant garder l’anonymat pour ne pas s’attirer les foudres des responsables de la SNRT et de 2M, freine le développement d’une véritable industrie audiovisuelle nationale. Et ce n’est pas la libéralisation du paysage qui changera la donne. Du moins à court et moyen termes.

Alors que l’on assiste à la création de nouvelles chaînes publiques, les maisons de production ne sont pas sollicitées via des appels d’offres pour alimenter les grilles de programmation comme cela est d’usage dans d’autres pays, relève-t-on dans la profession. Seuls les opérateurs bien établis et ayant de bonnes entrées dans les états-majors des chaînes ont droit à une partie du gâteau. Le principe de l’égalité des chances est loin d’être respecté. Ce qui pose un véritable problème pour les nouveaux entrants qui ne savent pas à quel saint se vouer dans la mesure où les télés publiques ne communiquent pas sur leurs besoins en matière de programmation. Faut-il souligner ici qu’à l’exception de la période du ramadan, les deux principales chaînes (TVM et 2M) ne raisonnent plus en termes de grilles.

«Depuis la transformation de la RTM en société anonyme, j’ai proposé plusieurs concepts d’émissions et jusque-là je n’ai eu aucun feedback. Je ne serais pas étonné qu’une de mes idées soit exploitée sous une forme différente. Dans ce cas de figure, je n’aurais aucun recours», s’insurge un producteur. Cet aveu démontre à quel point le risque de non-respect de la propriété intellectuelle est source de méfiance entre les producteurs et les diffuseurs. Et pourtant, les émissions originales, on n’en voit pas tous les jours sur nos écrans. Pour éviter toute mésentente avec leurs clients, des maisons de production ont trouvé l’astuce. Au lieu de proposer de nouveaux concepts, elles préfèrent répondre aux “commandes” souvent passées par des responsables influents. Ce qui fait dire à un observateur avisé du paysage de l’audiovisuel que tant que le critère de la créativité n’est pas pris en compte, les chaînes passeront toujours à côté des bons programmes. Preuve en est la médiocrité des productions nationales diffusées lors du mois de ramadan, particulièrement sur la deuxième chaîne. Notre interlocuteur estime que le temps est venu pour les chaînes généralistes de se concentrer sur le cœur de leur métier, à savoir la diffusion, l’information et la commercialisation de leurs espaces publicitaires. S’agissant de la fiction et des programmes de divertissement, seule la sous-traitance s’avère payante. Encore faut-il que les maisons de production soient à la hauteur. Dans ce registre, il y a lieu de noter qu’à l’exception d’une dizaine de sociétés structurées, les télés ont davantage affaire à des producteurs exécutifs. Ce qui pousse les chaînes à privilégier la coproduction, une formule chère à Fayçal Laâraïchi, mais qui n’arrange en rien les affaires des nouveaux entrants.

Explications : supposons qu’un nouveau concept d’émission parvienne à satisfaire les besoins des services de la production et de la programmation, il faudra s’armer de patience pour que le contrat liant son auteur (producteur) et la chaîne soit signé dans des délais raisonnables.

C’est à la tête du client !
La TVM bat des records dans ce domaine. Il existe plusieurs types de contrats. Tout dépend de la tête du client. Si un producteur est recommandé par l’un des proches du boss, il a toutes les chances de bénéficier de plusieurs conditions avantageuses, notamment en ce qui concerne le cachet et les moyens matériels mis à sa disposition. Les choses se compliquent avec le démarrage de la production. Les producteurs autorisés à tourner dans les studios de Aïn-Chok à Casablanca en savent quelque chose. S’offrir les meilleurs plateaux et les bonnes équipes techniques relève du parcours du combattant. Ce qui pousse certains producteurs à des pratiques peu orthodoxes pour que leur programme voie le jour dans les plus brefs délais. Ainsi, entre la signature du contrat, le passage au tournage et à la diffusion, la procédure peut prendre des mois. Quant au paiement, c’est une autre paire de manches. Dans certains cas, la SNRT exige qu’une partie du cachet (allant jusqu’à 60%) soit couverte par le sponsoring. La partie est donc loin d’être gagnée pour des jeunes producteurs. Idem pour les vieux routiers du secteur dont plusieurs ne mâchent pas leurs mots lorsqu’il s’agit d’aborder la stratégie de production de la SNRT et de 2M. Ils demandent tout simplement le respect des engagements inscrits dans les cahiers des charges des deux entités publiques. “Pour l’heure, il n’existe aucun signe encourageant en matière d’externalisation de la production”, atteste le patron d’une grande maison de production. Notons que pour 2M, cette externalisation porte sur 30% de la programmation, alors que pour la SNRT, elle est limitée à 25%. Un fort potentiel pour relancer le secteur de la production audiovisuelle toujours dominé par les mêmes et où les nouveaux ont beaucoup de mal à s’installer de manière durable.

Mohamed Douyeb
Source: Le Journal Hebdomadaire

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