Menu

Le retour de Nass El Ghiwane dans les bacs

Groupe mythique des années 70 et depuis, gens de l’errance et du hâl, Nass El Ghiwane rompent enfin le silence. La légende démise sort un nouvel album, «Nehla Shama», dans la pure tradition ghiwania, sans concession… et sur le chemin d’un nouveau firmament.

Premier groupe «pop» marocain, initiateur de la «Protest Song marocaine», légende pour des générations entières, «les Rolling stones de l’Afrique», selon Martin Scorsese… Pendant plus de 30 années d’existence (depuis leur formation en 1970) ils n’ont pas manqué de nominations élogieuses comme de tentatives désespérées de définir un son qui mit la musique marocaine en transe. Adulés par des millions de fans puis boudés pour des albums comme «Haoud Naânaâ», sorti en 2001, Nass El Ghiwane reviennent avec un dernier opus, «Nehla Shama». Du vrai, du pur Ghiwane !… Entre malice, ironie et cynisme, nos gens du hâl font du verbe une arme douce et tranchante pour les démons d’une société sclérosée par ses vilaines fêlures. Des poésies mises en chanson où les mots, ceux du terroir, à la fois limpides et occultes, souples et cinglants, insurgés puis cajoleurs, n’ont d’égal que la note musicale qui les accompagne. Et dans ce duel d’excellence, il n’y a ni vainqueur ni vaincu, juste la douce mélancolie d’un temps où, sans idéologie partisane, entre allusion et dénonciation, ils écoutaient les murmures des âmes qui leur parlaient d’injustice, d’inégalités, de courage comme d’amour et d’amitié. Puis les Ghiwane les chantaient, ou c’est ce que l’on voulait bien entendre… Les enfants du monde ont perdu des leurs, mais n’ont rien perdu d’eux-mêmes. «Nehla Shama» sera dans les bacs début octobre et on peu dire enfin que Nass El Ghiwane sont de retour. En fait, ils ne sont jamais partis.
ImageDans la cacophonie actuelle, bruyante et éclatée, de la musique marocaine, Nass El Ghiwane tirent leur épingle d’un pathétique karaoké et se posent définitivement comme des maîtres. Le dernier opus «est d’abord l’œuvre de la relève», admet Omar Essayed, le gardien du temple. «Nehla Shama est le travail de Rachid et Hamid Batma accompagnés de Chifa Abdelkrim. Nous y avons participé, moi et Allal Yâala, mais c’est à eux que revient le mérite». Onze chansons composent l’opus à venir et «Nehla Shama» en est le single phare. La chanson est une qassida écrite par Hadj Thami El Mdeghri et traduite en français en 1930 déjà par Mohammed El Fassi. C’est en 1985 qu’ils en entendent parler pour la première fois et c’est feu Hassan II qui leur racontera son histoire. L’histoire de la reine des abeilles qui s’en va trouver le sultan pour lui dire les mensonges dont l’entourent ses ministres et la véritable souffrance d’un peuple. Rachid Batma retrouvera ce vieil écrit chez un simple soudeur de Hay Mohammadi, féru de melhoun, et le projet d’album prend forme. Dix autres textes seront empruntés à d’anciens écrivains, parmi eux le disparu lâarbi Batma, comme à de nouveaux poètes. Et la composition finie, c’est Platinium musique, auteur du coffret collector de Nass El Ghiwane sorti en 2004, qui ouvre ses studios à l’enregistrement de l’opus. Un album éclectique au vu des différents thèmes abordés où la force des mots répond à l’ampleur des moyens et de la qualité technique mises à la disposition du son. Sous la coupe de «la Zaouia Batmaouia», comme dit Omar Essayed, entre gnaoui et melhoun, l’inimitable cachet rythmique des Ghiwane persiste et signe. Pour cet album, Nass El Giwane ont su revenir à ce qui les a créés du moins musicalement. Début 70, face aux crooners gominés moyen-orientaux, aux voix lyriques et aux répertoires classiques, quatre marginaux se sont amusés à un mélange des genres locaux, sans fioritures ni emprunts, et ont simplement recréé une musique du peuple. C’est ce qu’ils savent faire le mieux.

L’HISTOIRE D’UN MYTHE
Dans les années 60, cinq jeunes de Hay Mohemmadi rejoignent la 1ère troupe de théâtre de Tayeb Seddiki. Leurs noms : Omar Essayad, Larbi Batma, Abderrahman Kirouj dit Paca, Boujemiî et Allal Yaâla. Le Maroc vit alors une situation politico-sociale au bord de la rupture et parallèlement aux mouvements d’opposition estudiantins et politiques, naît une contestation artistique. Nass El Ghiwane en sera promu le leader. Essayed, Batma,Boujemiî, Yaâla ou Paca, tous sont issus de milieux modestes et n’ont connu ni les bancs de l’école (ou si peu) ni ceux de l’université. Leurs origines et plus encore le ton original et singulier qu’ils impriment à leur expression artistique en font le réceptacle de tous les espoirs tus. Un soir de juin 1971 au théâtre Mohammed V, le public rbati est venu écouter l’Orchestre National. Cinq jeunes aux allures hippies débarquent sur scène pour assurer la 1ère partie de la soirée. Ils chanteront «El Sinya», «Ya banil Insan». Standing-ovation et les applaudimètres explosent. Le public refuse même d’écouter l’Orchestre pour lequel il s’est déplacé. La légende Nass El Ghiwane est née ! Le Maroc découvre un style musical sans pareil dont il connaît les résonances mais qu’il a oublié de reconnaître. Une musique populaire, élue par le peuple qui ne tarde pas à en faire sa voix sacrée ouvrant ainsi le chemin aux formations qui suivront : Jil Jilala ou Lemchaheb. Musicalement, El Ghiwane bravent les tabous et rétablissent des instruments comme le sentir ou jerra et les rythmes ruraux niés du répertoire classico-romantique régnant. «Les New Derviches», comme ils se sont nommés d’abord, chantent comme ils parlent et parlent comme on vit. Beaucoup lisent entre les lignes de leurs chansons la révolte qu’ils ne peuvent exprimer. Pour d’autres, la contestation ghiwania n’est qu’une fable nourrie par la frustration des années de plomb, son silence imposé et l’espérance d’une foule qui n’entendait que ce qu’elle osait oser entendre. Eux-mêmes n’ont jamais adhéré au caractère engagé qu’on voulait prêter à leur musique. «Nos chansons n’ont jamais été partisanes. La politique est temporelle. C’est : je te mentirai jusqu’à te convaincre avant de passer à un autre mensonge. Nous chantions les témoignages, les blessures et les rêves d’une société, des choses qui sont intemporelles», se défend encore Essayad. Qu’à cela ne tienne, Nass El Ghiwane déchaîne les foules et s’élève au rang de mythe au destin fabuleux. Un destin bientôt frappé par la mort de Boujemiî en 1974 puis par la maladie de Batma. Nass El Ghiwane vivront de belles années encore sur leur premiers succès mais c’est le début d’un lent déclin, largement consommé par le départ de Paca en 1993. Le mythe Ghiwane n’est plus suffisant pour porter le groupe et les derniers enregistrements ont un goût de réchauffé, tant au niveau artistique que technique. Les albums «May Doum Hal» et «Haoud Naânaâ» ne sont plus alors que des actes de résistance, comme un vieux testament. Nass El Ghiwane déchaîne toujours les foules mais sur des scènes de moins en moins prestigieuses. Pourtant, leurs titres restent encore incontournables, ceux d’il y a 20 ans. Et, pari tenu, les quelques-uns attendus n’auront rien à leur envier. Avec «Nehla Shama», Nass El Ghiwane ont réappris à être le regard et la voix de tous. Rendez-vous pris, fin octobre, pour le lancement de leur tournée à Casablanca…

S’ils ne furent ni des idéologues ni des partisans et surtout pas des moralistes, ils furent, pour les bonnes raisons ou les mauvaises, des libérateurs de conscience. Les gens du Hâl nous ont offert l’errance aux confins de nos imaginaires. Ils ont secoué des corps et fait chanter des âmes. Boujemiî est décédé, Batma l’a suivi et Paca attend la délivrance, mais Yaâla et Essayed ne sont pas restés seuls. Les frères Batma et Chifa les ont rejoints et Nass El Ghiwane n’est pas mort. La Halqa est là et la place publique est sa scène. Parce qu’un mythe ne meurt jamais...

Oumama Draoui
Source: Le Journal Hebdomadaire

Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com