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Interview avec l'humoriste Mohamed el Khyari

Mohamed Khyari, l'une des figures emblématiques de l'humour au Maroc, vient de terminer une tournée en Europe. A cette occasion, l'humoriste nous a accordé une interview dans laquelle il met l'accent sur le statut de l'artiste au Maroc, les embûches qui entravent la production artistique. Le piratage, la participation des talents marocains dans les festivals font aussi partie des sujets évoqués. Propos.

Parlez-nous de votre dernier show ?
En effet, c'est un CD qui évoque les divers maux qui rongent la société marocaine. «Kam nahnou kantmahnou» a été présenté au Megarama à Casablanca, dans le cadre de l'action organisée par l'association des «Bonnes oeuvres du coeur», en faveur des enfants cardiaques. Les recettes de ce spectacle leur ont été dédiées. Ce travail a réalisé un franc succès auprès du public. Malheureusement, il a été piraté. Neuf millions d'exemplaires sont vendus dans le marché noir. Toutefois, mes efforts n'étaient pas peine perdue. Une banque a acheté 250 000 exemplaires de la 2ème version de ce show dans le cadre de sa campagne publicitaire.

Quel est votre sentiment vis-à-vis de cet acte de piratage ?
Bien que je condamne le piratage, je crois que cet acte est inévitable. Le chômage et la pauvreté sont les principales causes. De mon côté, je préfère que mon oeuvre soit piratée et qu'elle soit profitable aux jeunes en situation difficile, plutôt que de les abandonner et les pousser au désespoir. Livrés à eux-mêmes, ils sont capables du pire. Il n'y qu'à se rappeler les événements du 16 mai. Moi j'offre mon oeuvre à Derb Ghallef et aux chômeurs en quête de travail.

Quelle est votre appréciation sur ce CD ?
Cette oeuvre est un fait marquant dans ma carrière artistique. Les Marocains avaient l'habitude de voir un Khyari paysan qui parle un français incorrect. Dans ce nouveau show, ils découvriront l'autre facette de Khyari. Celle d'un humoriste engagé et résolu à mettre le doigt sur les inquiétudes des citoyens et à les partager avec eux.

Vous venez de terminer votre tournée en France. Que tirez-vous de cette expérience ?
C'était une belle expérience. J ai fait des spectacles dans plusieurs villes en Belgique et en France. C'était très réussi. J'ai fait également le constat que pour mesurer le succès, l'humoriste ne doit plus partager la scène avec d'autres humoristes dans la même soirée. Car il est difficile, dans ces conditions, de savoir si le public est venu pour m'applaudir moi ou l'autre.

Après un parcours assez long et riche, quel bilan en faites-vous ?
Je suis l'un des plus heureux. Néanmoins, j'estime que mes droits et ceux des autres artistes de ma trempe sont bafoués. Auparavant en 1991, le défunt Hassan II nous a octroyé 1% des recettes des communes urbaines, soit environ un milliard et demie chaque année. Malheureusement, nous n'avons jamais rien reçu. Les artistes meurent l'un après l'autre sans que les responsables et le ministère de tutelle daignent accorder à nos problèmes l'intérêt qu'ils méritent.

Croyez-vous que l'environnement culturel au Maroc favorise l'épanouissement de l'humoriste? Et à votre avis, qu'est-ce qui lui manque ?
L'humoriste marocain produit dans le stress et la douleur. La situation financière de cette catégorie y est pour beaucoup. L'humoriste ne perçoit pas de salaire et n'a aucun revenu régulier. Il vit dans la précarité.
Mais bien que les conditions ne soient pas favorables et que la situation des artistes est déplorable, nous aimons ce que nous faisons. Et en dépit des difficultés, nous essayons d'offrir au public le meilleur de nous-mêmes. Heureusement, cette année nous bénéficions de l'assurance maladie obligatoire.
Toutefois, qui va nous indemniser les 25 ans de travail? Qui va nous rendre les artistes qui sont morts dans la pauvreté ? Seul SM Mohammed VI les prend en charge en cas de maladie.
Pourquoi ne pas réactiver la grille de salaire proposée au temps du défunt Hassan II. Trois cachets étaient prévus selon l'expérience et la stature de l'artiste. S'ajoute à cette situation, l'exclusion des artistes des manifestations culturelles. J'aurais aimé qu'on m'invite à l'émission «Hiwar» pour débattre de ce sujet et pour interpeller les responsables sur les budgets consacrés aux manifestations culturelles dans lesquelles nos artistes n'ont pas leur place.
A titre d'exemple, je cite le festival Mawazine : Rythmes du monde. J'estime que l'humour est aussi l'un des rythmes qui mérite d'avoir sa place dans cet évènement.
Pourquoi on fait toujours appel aux mêmes figures artistiques comme Lotfi Bouchenak, Sabah Fakhri, et Saber Roubaï ? Idem pour le festival des musiques sacrées à Fès. C'est toujours les mêmes figures qui sont présents : Sabah Fakhri, Kadem Saher. Les organisateurs offrent, à titre symbolique, la clé de la ville aux dits artistes et verrouillent les portes à ces propres artistes J'interpelle les ministères de la culture, des finances et du tourisme sur cette question.

A votre avis, les subventions accordées par l'Etat aux oeuvres artistiques sont ­elles suffisantes ?
Pas du tout. A mon avis il vaut mieux faire profiter les groupes amateurs de cette aide. Un travail professionnel nécessite plus que 14 millions, soit le plafond de la subvention. Au temps de «Masrah el hay» qui n'est plus, un montant de 8 millions était consacré uniquement au décor. Par contre, les affaires publicitaires nécessitaient un budget de 12 millions. De même qu'une somme d'argent importante est consacrée aux costumes et aux frais de la publicité pour commercialiser la pièce théâtrale.

Plusieurs manifestations consacrées au rire commencent à voir le jour, telles que le carrefour du rire à Marrakech, le festival du rire à Casablanca prévu en Mars 2007 et le festival du rire à Marrakech prévu au mois de septembre. Pourquoi avoir tant attendu pour passer à l'acte ?
C'est la mode de la saison tout simplement, comme les téléboutiques et les cybercafés qui se multiplient d'une façon effarante. D'autant plus qu'ils se sont rendus compte que le public a besoin du rire. Comme dit l'adage marocain «Trop de soucis fait rire».

Aucun festival du rire n'est organisé sous la houlette du ministère de tutelle. Qu'en pensez-vous ?
Hélas, il n'y a pas de festival officiel du rire. Il est temps que nos responsables se mettent à y réfléchir. L'humour, à l'instar des autres genres artistiques et culturels comme Aïta, a droit à son festival.

A votre avis, le public marocain sait-il apprécier l'humour ?
Bien sûr. C'est un public très sensible à l'humour. Car, il reflète ses appréhensions. Le public marocain qu'il soit ici ou ailleurs est très attentif à l'humour. En témoigne le nombre des spectateurs qui assistent à mes spectacles et qui me suivent là où je me produis. D'ailleurs, j'ai été très flatté par la réaction de certains directeurs de salles de théâtre à l'étranger. Ils m'ont appris qu'ils étaient subjugués par l'exaltation des Marocains face à mes spectacles.
C'est la preuve que les Marocains savent apprécier l'humour.

Qu'est-ce qui vous inspire dans votre travail ?
D'abord mon imagination fertile, de même que mon entourage et la société dans lesquels je puise ma matière humoristique. Je vous confie que les catastrophes, aussi, m'inspirent. Je suis comme l'avocat. Je vis des problèmes des citoyens.

L'humour a-t-il des limites et qui les fixe ?
L'humour doit respecter les constantes. Il faut noter aussi que le Maroc a enregistré une évolution remarquable en matière de liberté d'expression. Dans les années de plomb, l'humour était soumis à la censure. Aujourd'hui, l'humoriste peut même passer en direct. A condition de ne pas s'immiscer dans l intimité des citoyens, de ne pas insulter les gens et de ne pas porter atteinte à leur dignité. Il s'agit de la responsabilité de ne pas enfreindre les limites du rire.

Est-il facile de faire rire le public ?
Difficile. Sur scène, l'humoriste est devant un public hétérogène (jeunes, vieux, étudiants, employés, femmes, hommes, enfant et adultes ». Autant de catégories sociales qu'il faut satisfaire. L'humoriste doit étudier le public avant d'entamer son spectacle. C'est un philosophe et un psychologue qui doit étudier le comportement et la nature de son public avant de l'aborder, par exemple, faire marrer les handicapés ou les enfants cancéreux est une tâche ardue. A chaque public, il faut une attitude adéquate.

Soumia Yahia
Source : Al Bayane

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