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Eyal Sivan : «Au Maroc, les contacts sont formidables»

Eyal Sivan est un cinéaste, producteur et essayiste israélien né à Haïfa il y a quarante ans. En 1990, il a reçu le Prix de Rome du ministère français de la Culture et a résidé un an à la Villa Medicis, à Rome. Cette semaine, il participait aux rencontres intellectuelles de Fès qui se sont terminées hier. Esquisse d'un bilan.

LE FIGARO. – Le dernier de vos dix longs-métrages s'appelle Route 181. Qu'est-ce que cela veut dire ?
Eyal SIVAN.
– Il s'agit d'un road-movie, de fragments d'un voyage le long de la frontière virtuelle votée par la Résolution 181 des Nations Unies pour séparer Juifs et Arabes de Palestine. Il a été coréalisé par le fondateur du cinéma indépendant palestinien Michel Khleifi. Nous avons voyagé sur un trait d'union qui est devenu un trait de division.

Etes-vous un pacifiste ?
Plutôt un anticolonial. Il faut décoloniser la société israélienne. Or ce comportement, racine de tous les problèmes, est à la base de notre culture. Il faut donc agir par la pédagogie et la culture.

Est-ce ce que vous êtes venu dire aux Rencontres ?
Oui. Il ne s'agit pas seulement de constater les faits, de les dénoncer. Ce n'est pas un vaccin suffisant contre les crimes et la violence. Il faut aussi se poser la question du pourquoi. Même si c'est une question difficile, voire douloureuse. En Israël, il faut que les intellectuels et les artistes se réveillent. Ils ont un rôle à jouer contre l'idéologie d'Etat.

Quel a été l'accueil à Fès ?
Très positif. Tout le monde souhaite un rapprochement israélo-palestinien. Mais il ne faut pas s'arrêter à ce consensus. Il faut que l'on se pose la question de ce qui empêche ce souhait de se réaliser. De ce point de vue, les Rencontres manquent encore de confrontation.

Et de manière générale ?
Moi qui viens pour la première fois au Maroc, je trouve les contacts formidables. Je me trouvais l'autre jour dans la médina et un jeune m'a interpellé en hébreu. Je lui ai demandé comment il possédait cette langue. Il m'a répondu qu'il l'avait apprise car elle se lisait comme la sienne de droite à gauche. Il trouvait cela intéressant.

Avez-vous visité le mellah de Fès ?
Non, mais il faudrait en faire un film. En Israël, la pensée dominante a fait en sorte d'occulter la force des relations qui ont uni pendant des siècles et unissent encore, ici, juifs et musulmans. Israël ne veut pas se souvenir, cela contredit son épopée officielle faite uniquement de souffrance. Cela va jusqu'aux manuels scolaires qui nient ce grand pan de notre histoire commune. En 1991, j'ai même sorti un film sur l'instrumentalisation de la mémoire dans le système éducatif israélien.

N'y a-t-il aucun espoir de corriger cette erreur ?
Si, mais le chemin est long. A l'Institut académique, où j'enseigne les arts visuels et l'étude des cultures, à quelques kilomètres au nord de la bande de Gaza, quelques étudiants affirment haut et clair être des juifs arabes. Mais c'est nouveau, c'est la troisième génération. Eux savent qu'il n'y a pas de contradiction entre judaïsme et islam comme il y en a entre judaïsme et chrétienté. C'est quand même le Coran qui dit que les juifs sont appelés peuple du Livre.

Source : Le Figaro

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