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L'amazigh porteur de diversité culturelle au Maroc

Le Maroc a toujours été un carrefour et un lieu de brassage des cultures et des civilisations. Le fait que le Maroc ait connu à travers son histoire plusieurs colonisations et conquêtes (phénicienne, romaine, byzantine, vandale, arabe, française, espagnole) explique son multiculturalisme, son plurilinguisme et sa tolérance envers les autres cultures. D'autre part, le Maroc a fait des progrès indéniables en matière des droits de l'homme depuis l'avènement du roi Mohammed VI. Le Conseil Consultatif des Droits de l'Homme et l'Instance Equité et Réconciliation, crées en 2003, ont pour objectifs majeurs la réconciliation au sein de la société marocaine et la consolidation de la démocratie et des projets de modernisation.

Le processus de démocratisation et de modernisation au Maroc est basé sur la diversité linguistique et culturelle du pays.

En plus de l'Islam, les langues en usage font du Maroc un pays à la fois plurilingue et multiculturel.

Cette description résume la vie culturelle et intellectuelle au Maroc, profondément attaché aux valeurs de la civilisation arabo- musulmane et berbère. En effet, le Maroc est composé d'arabes et de nombreuses tribus berbères qui représentent plus du tiers de la population actuelle.

Historique

Les premiers Marocains qui ont peuplé le pays sont des populations venues du Nord et de l'Est et ce dès l'époque Néolithique. Ces populations très variées ont été appelées "berbères" par les navigateurs et les Romains. Aujourd'hui, le Maroc présente une société composite, où presque la moitié de la population parle le berbère, langue à l'intérieur de laquelle se distinguent trois sous-groupes: tarifit (Rif), tamazight (Moyen Atlas) et tachelhit (Haut, Anti-Atlas et Souss).

La plupart des historiens s'accordent désormais pour reconnaître que, les conquérants arabes du VIII è siècle ayant été peu nombreux, la très grande majorité des Marocains a du sang berbère.

Ce qui ne signifie pas nécessairement qu'ils sont berbérophones, plusieurs tribus ayant été arabisées de force très tôt, en particulier le long des côtes de l'Atlantique. De très nombreuses tribus marocaines peuplent le Maroc. Ainsi, la Province de Chefchaouen, par exemple, comprend les tribus suivantes : El Akhmas, Ghomara, Sanhaja, Ghzaoua, Bni Msara et Arhouna. Il est très difficile de chiffrer le nombre de tribus qui composent la population berbère au Maroc.

Les premiers arabes n'arrivèrent qu'à la fin du VIIe siècle. Ils apportèrent l'islam, la langue et la civilisation arabe qui était l'une des plus avancées. Arrivés du Moyen-Orient, ils s'imposèrent progressivement aux berbères.

Au XIe l'oeuvre de propagation de l'islam s'acheva grâce aux Idrissides qui sont présentés par les historiens comme les fondateurs du premier Etat musulman au Maroc et les acteurs principaux de l'arabisation du pays. Aujourd'hui, les arabes du Maroc représentent selon les estimations entre 20 et 50 % de la population, et ils sont présents à travers tout le pays.

La présence juive au Maroc est trois fois millénaire. Cependant, depuis la création de l'Etat d'Israël, des milliers de juifs marocains ont quitté leur pays natal le Maroc pour aller s'installer en Israël. D'autres sont partis vivre en France, au Canada et aux Etats-Unis d'Amérique.

D'après les recherches dans le domaine, les juifs marocains étaient protégés par presque toutes les dynasties marocaines qui se sont succédées depuis les dynasties berbères remontant à 210 avant notre ère. Il existe toujours des quartiers juifs appelés mellah dans les villes impériales du pays, notamment, Fès, Meknès, Rabat, Casablanca, Marrakech et Essaouira. Il existe également des synagogues un peu partout dans le pays où les juifs pratiquent tranquillement leur religion.

Sous toutes les dynasties marocaines, les juifs ont généralement connu une très grande liberté de culte et ce pendant des siècles. Les rois Mohammed V et Hassan II ont soutenu la communauté juive qui comprend aujourd'hui quelques 5000 personnes.

D'autre part, la colonisation française (1912-1956) a changé la donne culturelle et linguistique au Maroc comme ailleurs en Afrique du Nord. Elle a introduit le français et la culture française ou occidentale dans le sens large du mot. Elle a en quelque sorte renforcé les bases du multilinguisme et le multilinguisme déjà existant au Maroc. L'histoire coloniale française a traité de façon inégale les langues nationales, notamment l'arabe classique et le berbère qui étaient marginalisés pendant toute la période de colonisation.

En fait, l'arabe classique était enseigné en tant que langue secondaire dans seulement quelques lycées dans les villes impériales comme Fès, Rabat et Casablanca ; le berbère, lui était enseigné uniquement au lycée franco-berbère d'Azrou. Du coup, le français est devenu la langue dominante qui pèse même aujourd'hui après près d'un demi-siècle d'indépendance.

Ainsi autorités coloniales françaises et les élites au pouvoir au Maroc depuis l'indépendance ont adopté /imposé un système éducatif et culturel étrangers à la réalité des populations. Les premiers ont marginalisé les langues arabe et berbère, et les seconds ont coincé les citoyens entre des langues maternelles minorées et des langues étrangères comme le français et l'anglais qui sont restées inaccessibles à la majorité du peuple dont plus de 50% est malheureusement encore analphabète.

Les langues en contact au Maroc

Au Maroc, les locuteurs peuvent employer six langues et dialectes différents : le berbère, l'arabe marocain, l'arabe standard, l'arabe classique, le français, l'espagnol et récemment l'anglais. Ces variétés linguistiques sont utilisées pour des fins différentes et pour des besoins de communications variés. De prime à bord, nous pouvons distinguer entre langues nationales (le berbère, l'arabe marocain, l'arabe standard, l'arabe classique) et langues étrangères (le français, l'espagnol et l'anglais). Ces dernières ont été introduites par les colonisateurs français et espagnol ; cependant l'anglais a été introduit surtout par le biais de l'enseignement depuis l'indépendance.

L'Amazigh

Le terme berbère est fréquemment utilisé dans la tradition occidentale pour désigner ce que les autochtones préfèrent appeler Tamazight ou Amazigh. Les zones berbères sont discontinues en ce sens qu'il n'existe pas de vastes régions berbères car souvent des villages arabophones séparent les patelins berbères.
La langue amazighe est la plus ancienne langue au Maghreb. Pour Vycichl (1988) l'histoire écrite des berbères remonte à plus de 5000 ans au moins. Le berbère au Maroc se subdivise en trois dialectes majeurs : Tarifit, Tamazight et Tachelhit, comme nous l'avons mentionné supra.

Tarifit est parlé au nord du pays dans la chaîne du Rif en particulier dans les régions de Tanger, Tétouan, Nador, Al-Hoceima, et Aknoul. Tarifit est également pratiqué par la communauté rifaine surtout en Allemagne et en Hollande.

Tamazight est parlé au centre du pays dans la chaîne du Moyen Atlas en particulier dans les régions de Boulemane, Midelt, Errachidia, Khenifra, Azrou, Béni-Mellal, Khemisset, etc. Tamazight est fortement influencé par le contact avec l'arabe dialectal. Contrairement aux usagers des autres dialectes berbères, le groupe Tamazightophone est plus flexible en ce qui concerne l'usage d'autres langues, d'où l'influence remarquable de l'arabe sur cette variété berbère.

Tachelhit est parlé au sud du Maroc dans les chaînes du Grand Atlas et du Haut Atlas. Il est utilisé fortement dans les régions de Marrakech, Agadir, Tiznit, Ouarzazate, Essaouira, etc. Tachelhit est également parlé dans les grandes villes du Maroc telles que Casablanca, Rabat, Fès, Tanger surtout par les épiciers qui sont souvent d'origine soussie donc pratiquant Tachelhit. Il existe aussi une forte communauté soussie dans les pays d'émigration telle que la France, la Hollande et la Belgique.

L'arabe

La langue arabe a été introduite au Maroc en premier lieu au septième siècle durant la première vague des conquérants arabes, et elle s'est renforcée au IXè pendant les autres phases de conquête musulmanes puis au XIIè avec l'arrivée des tribus hilaliennes, et au quinzième siècle avec le retour massif des andalous qui s'installèrent dans les grandes villes telles que Fès, Rabat, Salé et Tétouan. L'arabisation des populations berbérophones s'accentua par conséquent.

Il existe une relation de diglossie entre les différentes variétés arabes (voir Fergusson 1972, Youssi 1983, Ennaji 1991, 1994) dans ce sens que l'arabe se subdivise en deux variétés principales dont l'une est haute (l'arabe classique) et l'autre basse (l'arabe dialectal). Mais, en fait il existe trois variétés de l'arabe car il faut y inclure l'arabe marocain.

Multiculturalisme

Le berbère et l'arabe dialectal traduisent la culture populaire, tandis que l'arabe classique, le français et l'Islam représentent la culture du savoir. Dans ce contexte multilingue et multiculturel, la légitimité de l'Etat est largement basée sue la culture écrite qui est étroitement liée au pouvoir.

Depuis l'Indépendance, le Maroc a hésité entre la modernité et le conservatisme. Dans les années 1960s, 1970s et 1980s, le Maroc avait opté pour la première tendance car il était encore sous l'influence de la culture française, mais à partir des années 90, la pendule a penché vers le conservatisme avec la montée de l'intégrisme musulman.

Durant les premières années de l'Indépendance, l'élite au pouvoir avait adopté le bilinguisme arabe-français comme option politique dans le cadre de ses efforts pour moderniser le pays. Aujourd'hui, la tension existe non seulement entre les valeurs françaises (occidentales) et les croyances arabo-musulmanes, mais également dans le contexte marocain, entre les langues et cultures berbères et arabes.

Cette situation linguistique reflète des conflits d'intérêts et des tensions idéologiques qui elles-mêmes reflètent la lutte pour le pouvoir à des niveaux différents. L'interaction entre les langues et les cultures au Maroc est caractérisée par des contrastes et paradoxes.

Cette situation sociolinguistique n'est pas statique, et l'une de ses nouvelles évolutions est l'émergence de la migration comme une dimension importante sur la scène sociolinguistique actuelle.

L'après Indépendance a connu la marginalisation des langues maternelles, notamment le berbère et l'arabe dialectal, qui étaient accompagnées par la marginalisation de la femme, à cause de l'illettrisme et de la migration massive des hommes vers les villes et vers l'Europe. Les femmes et les immigrés parlaient surtout les langues maternelles.

En outre, les revendications concernant la sauvegarde des langues et cultures nationales, qui ont émergé avec la venue des droits de l'homme à partir des années 1990, sont accompagnées de sérieuses revendications pour l'émancipation des femmes, une des conséquences des flux migratoires de familles entières en Europe.

En d'autres termes, la construction de l'Etat dans les années 1960 et 1970 avait donné la priorité à l'arabe standard, langue officielle et de religion, et au français, comme langue des affaires et de l'administration. Les deux langues sont liées aux domaines publics où les hommes ont plus de voix et de choix que les femmes.

Quand à l'arabe dialectal et au berbère, Ils étaient relégués aux domaines du foyer et de la maison, c'est-à-dire au domaine privé dans lequel les femmes sont présentes. Même aujourd'hui, l'arabe standard est plutôt une langue ‘mâle' alors que le berbère est considéré comme une langue ‘femelle' car elle est parlée par les femmes plus que par les hommes.

Ce n'est pas une coïncidence que les revendications pour les droits linguistiques sont en parallèle avec les revendications pour les droits de la femme. En outre, étant lié à l'arabe standard, la montée de l'intégrisme islamique est accompagnée par une présence timide et ‘voilée' de la femme dans l'espace public. Par ailleurs, la promotion du berbère et de la femme est accompagnée par des revendications de la laïcité et par l'émergence des femmes dans des postes de décision.

La politique du multiculturalisme favorise les échanges réciproques entre les groupes et aide les membres des différentes communautés ethnoculturelles à dialoguer et à surmonter les obstacles à leur pleine participation à tous les aspects de la société marocaine.

Cette approche contribue à l'égalité des chances et à la compréhension interculturelle, en éliminant les discriminations et en aidant les institutions à devenir plus attentives à la diversité culturelle au Maroc et en veillant à ce que tous les marocains et marocaines aient une place dans la société.

Par conséquent, aujourd'hui, les marocains s'identifient profondément aux diverses facettes de leur identité, qu'elles soient relatives à la langue ou à la culture.

MOHA Ennaji - Chercheur-enseignant universitaire (Fès)
Source : Le Matin

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