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Vin et islam, le règne de l'ambivalence

Divinisé (le sang) ou diabolisé (l'ivresse), au cœur des religions toujours, le vin reste l'objet de nombreux troubles. Surtout dans les pays islamiques où littérature, poésie, dessin encensent depuis longtemps un breuvage que le Coran déconseille. Spécialiste de l'islam, l'écrivain Malek Chebel souligne précisément cette ambivalence entre l'éloge artistique du vin et son interdiction dans son dernier ouvrage, Anthologie du vin et de l'ivresse en Islam (Editions du Seuil, 23 euros).

«L'interdit de consommation demeure aussi vivace que l'est sa transgression. Lorsqu'on est issu d'une bonne famille, il est mal vu de boire du vin, même sans s'enivrer», écrit-il. En Occident, le vin soude les amitiés ou célèbre les succès. Dans les pays islamiques, son rôle est différent: «Le vin fonctionne comme un différenciateur de classes.» Malek Chebel ne voit ainsi pas d'intermédiaire entre la consommation de vin bu dans la rue et celle où le vin plus noble s'exhibe à table. «Triste ou gai, le vin ne peut être appréhendé de la même manière par l'aristocratie urbaine, où il est parfois glorifié, et par les couches sociales plus modestes, lesquelles sont souvent aussi les plus pieuses», écrit-il.

Quand on sait que Les Celliers de Meknès produisent au Maroc 27 millions de bouteilles dont 26 millions sont consommés sur place, on comprend que la population locale trouve elle-même la manière de s'arranger avec sa religion. On le fait, on le dit, avec liberté et autodérision même, mais on ne l'écrit pas. «Notre consommation de vin est cachée, explique Reda Zniber. Il est généralement inconcevable, par exemple, qu'un père de famille se serve du vin à table, devant ses enfants. Même chez nous qui produisons du vin, mon père n'en buvait pas quand j'étais plus jeune, ou que très rarement.»

Dans les bars, en revanche, de fréquentation quasi exclusivement masculine, on ne trouve pas de vin au verre. Qu'à cela ne tienne, comme ce breuvage se partage, les amis commandent une bouteille. Hors des repas donc. «Ici, le vin est bu surtout par des hommes», poursuit Reda. Musulman modéré, son père argumente sa consommation et sa production de vin, en s'appuyant notamment sur le verset 69 de la sourate 16: «Parmi les fruits, vous avez le palmier et la vigne, d'où vous retirez une boisson enivrante et une nourriture agréable. Il y a dans ceux-ci des signes pour ceux qui entendent. Pour moi, c'est clair, le vin n'est pas interdit, mais déconseillé.» M

ême dans les structures officielles, les libellés ne correspondent pas vraiment à la réalité. Il existe ainsi une association marocaine des Producteurs de raisins qui sert de syndicat à la profession. «Dans les faits, même si cela n'est pas directement stipulé, seuls les producteurs de raisins de cuve sont concernés, avec les producteurs et négociants en vins», explique Mehdi Bouchaara, le directeur adjoint des Celliers de Meknès.
D'un côté, le monde des mots et de la philosophie; d'un autre, celui des hommes et de leurs faits et gestes. Entre les deux, la conscience de chacun et, donc, la liberté.


Source: Le Figaro

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