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Qu'est-ce qui fait courir Jamel Debbouze ?

Il est devenu l'un des acteurs les plus populaires de France, mais ne veut pas rester confiné au comique de situation qui a fait son succès. 2005 devrait voir s'affirmer un autre Debbouze, plus politique.

On pouvait se douter que les chiffres allaient être impressionnants, mais pas à ce point. Ce ne sont pas moins de 500 000 exemplaires du DVD du spectacle 100 % Debbouze qui ont été vendus à ce jour. Après une mise en place d'un million d'unités en novembre 2004, le coffret fait mieux que Harry Potter, se plaçant deuxième derrière Les Choristes, à égalité avec La trilogie Star Wars, dans le palmarès des meilleures ventes de DVD en France pour l'année 2004. Et, les 30 et 31 décembre, 4 000 personnes ont applaudi le comédien au Zénith de Paris, épilogue d'une tournée de 230 spectacles à travers l'Hexagone.

Jamel Debbouze est devenu l'un des acteurs les plus populaires de France. Son seul nom suffit pour faire d'un scénario ordinaire un film à succès. À 30 ans, il est passé sans « effets spéciaux » du RMI (revenu minimum d'insertion) à l'ISF, l'impôt de solidarité sur la fortune. Cette année, il sera à l'affiche d'Indigènes de l'Algérien Rachid Bouchareb, le réalisateur inspiré de Little Senegal, en tournage depuis le 17 janvier et jusqu'au 31 mai à Marrakech au Maroc, avec le must des acteurs franco-maghrébins du moment (Samy Naceri, Sami Bouajila, Roschdy Zem).

Le film projette le comédien dans un registre grave, loin du comique de situation qui a fait sa fortune. Indigènes rappelle le rôle des soldats maghrébins et subsahariens qui se battaient en première ligne en Italie, en 1944-1945, dans l'armée du général Juin. « J'espère enfin faire comprendre à mon petit frère qu'il est ici chez lui », explique-t-il, ravi de « rendre hommage à ces oubliés qui n'ont pas eu droit à la descente des Champs-Élysées après la victoire ».

Pour travailler son rôle, « lui donner force et vérité », le comédien est allé rencontrer à Marrakech de vieux tirailleurs, de « braves gens qui touchent 300 euros par mois et parlent encore de la France comme de la mère patrie ». Il en est revenu avec un enthousiasme décuplé pour « ce film qui pose de vraies questions ». Tant pis donc pour ceux qui s'obstinent à penser que « Jamel, c'est bien pour faire marrer et pas pour des rôles sérieux ».

En quelques années, le « petit trublion » du PAF (paysage audiovisuel français) est devenu, pour la presse, l'« acteur le mieux payé de France », ce qui l'irrite au plus haut point. Depuis qu'en 2002 le quotidien Le Figaro a divulgué le montant de son cachet - 2,12 millions d'euros - pour le film Astérix et Obélix : mission Cléopâtre, supérieur à celui de Gérard Depardieu et Jean Reno, le comédien franco-marocain a le sentiment de devoir justifier sans cesse ses revenus. Labélisé « bankable » (prononcer « bankébeul »), l'acteur ne compte plus les sollicitations. « Toutes les comédies m'ont été proposées, mais aucun scénario ne m'a fait kiffer. Je veux des trucs dont mes enfants seront fiers. » Indigènes rend hommage à « ceux grâce à qui je vote aujourd'hui », en référence aux tirailleurs africains, à la fois fer de lance et chair à canon de l'armée française au cours des deux guerres.

On a écrit qu'il avait désormais la grosse tête. Alors qu'il a à peine lu le scénario, la presse prétend qu'il exige 3,5 millions d'euros pour la prochaine comédie du cinéaste Francis Weber. Avec en filigrane cette étrange impression qu'il n'est pas « tout à fait normal en France qu'un "Rebeu" - ou un Camerounais, d'ailleurs - fasse autant de pognon. Pourquoi ne demande-t-on pas la même chose à Vincent Cassel ? » Combien va-t-il gagner pour Indigènes ? Jamel répond : « Le tarif syndical, 400 euros par jour, mais personne n'en parle, ce n'est pas intéressant. »

Notoriété aidant, l'acteur se donne les moyens de ses envies, car il peut, luxe suprême, choisir ses projets. Et « s'ils ne (lui) conviennent pas, en écrire ». Voire, au besoin, casser sa tirelire. Comme pour ce projet de studio de cinéma au Maroc qu'il espère enfin construire en 2005. Avec son nouvel associé et ami, le producteur Luc Besson, il rêve de donner vie à cette idée née pendant le tournage de Mission Cléopâtre à Ouarzazate. « Je me suis aperçu qu'il y avait des techniciens compétents sur place. Or la plupart des productions étrangères arrivent (ici) comme des colons, sans rien déléguer. Le Maroc, ce n'est pas que des babouches et des loukoums. »

Parlez-lui de double culture, il revendique volontiers la France et le Maroc, mais aussi la galère et l'aisance. « La misère, je la connais. Même si, aujourd'hui, je suis de l'autre côté. » Dans la grande maison qu'il vient de s'offrir à Marrakech, Jamel assume son nouveau statut de privilégié, mais n'oublie pas d'où il vient. Et s'il lui en prenait l'envie, sa famille, jamais loin, le lui rappellerait.

Rien ne prédestinait, pourtant, l'aîné des enfants Debbouze à cette success story aussi imprévisible qu'exceptionnelle. « Je suis un Rebeu d'1,65 m, à peu près 55 kg, avec un bras dans la poche. Normalement, avec ça, j'étais bon pour coller des timbres. » Il naît à Paris en juin 1975. Trois ans après, sa famille part s'installer au Maroc. Retour en France en 1979. Après quelques mois à Barbès - « Nous étions quinze dans un deux-pièces » -, il emménage avec les siens à Trappes, dans les Yvelines. C'est là qu'il fera le difficile apprentissage de la condition de jeune de banlieue. À 14 ans, c'est le drame. Son bras droit est happé par un train. Au lieu de larmoyer sur son sort, il découvre le plaisir des planches. L'école l'oublie vite, mais pas la scène. La Ligue d'improvisation du Centre théâtral de Trappes le sortira de sa cité pour l'installer au Théâtre Trévise à Paris. L'effet Jamel fera le reste.

Lucide, Jamel a su s'échapper du rôle d'ambassadeur des banlieues dans lequel on voulait l'enfermer pour toucher un public plus large. À ses célèbres gimmicks « bonjour Mesdames et Mesdames », il a ajouté des formules à la Coluche : « Quand on n'a aucune chance, il faut la saisir », ou encore « l'ascenseur social est resté bloqué au sous-sol, et ça pue la pisse ». Jamel a changé. Mutation qui trouve en partie sa source en avril 2002, avec la qualification de Jean-Marie Le Pen pour le second tour de la présidentielle française : « J'ai vu ma mère pleurer devant la télé. Elle murmurait : "C'est fini, c'est fini", comme si on devait immédiatement rentrer au pays ! »

Jamel a sans doute changé, mais sûrement moins que l'atmosphère qu'il dépeint. « Les Arabes n'ont pas la cote en ce moment », s'alarme-t-il. Ne se contentant plus de jouer les boute-en-train de service, il éditorialise, déjeune à la table de Mohammed VI, roi du Maroc, et se fait courtiser par Nicolas Sarkozy, candidat à un dîner avec le célèbre comédien. Par opposition à la génération de ses parents qui « courbaient l'échine », Jamel se revendique de celle des « pas d'accord ». En 2005 devrait donc s'affirmer l'autre Debbouze, plus politique, « la gauche caviar, y en a marre », celui qui veut être « influent pour mieux défendre les mecs de quartiers ».

ALEX SIEWE
Source : Jeune Afrique - L'Intelligent

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