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Villepin, pour la petite histoire
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2 juin 2005 22:35
Certains jours plus que d’autres, la politique ressemble à un théâtre d’ombres. C’était le cas lundi et mardi, lendemains de « séisme électoral ». Ces images de limousines allant et venant dans la cour d’honneur de l’Élysée, ou attaquant le palais présidentiel par son entrée sud pour tromper la vigilance des photographes, paraissaient terriblement déconnectées de la réalité. Et que dire de cette lancinante interrogation : « MAM » ou « Sarko » ? « Sarko » ou Villepin ? On guettait un Premier ministre, comme on scrute le ciel du Vatican un jour d’élection papale. C’est finalement Villepin, mais c’est peu dire que l’événement paraît anecdotique. Car la vérité est à l’évidence ailleurs. Insaisissable, même par le zoom le plus puissant. Une vérité politique et sociale qui hantait ces images vides. Un changement de Premier ministre se tramait, dont on savait déjà qu’il ne serait pas à la hauteur de la situation. Cette vaine gesticulation politique ressemblait tout au plus à un mauvais passe-temps. La vedette n’était ni Raffarin, ni même Villepin. C’était le peuple. Ou, pour le dire d’une façon moins ronflante, l’électeur. Car l’essentiel était évidemment dans la leçon du scrutin de dimanche, et dans la consternante incapacité de ses « victimes » à en saisir l’importance. Il y avait dans ce décalage entre le « non » massif au référendum européen et l’actualité d’un remaniement ministériel brouillon comme un symbole. Les élites vaincues vaquaient à leurs occupations. Des éditorialistes déconfits enrageaient après ces électeurs qu’ils couvraient de leur rancune : « désarroi national », « épidémie de populisme », « xénophobie »... (bas morceaux tirés de l’éditorial de Serge July, dans Libé), mais nulle interrogation en profondeur, ni remise en cause.

Et pourtant, aux yeux d’un démocrate moyen, la leçon de ce dimanche 29 mai est politiquement et sociologiquement limpide. Il devrait être, par-delà les divergences de sensibilité, un sujet de satisfaction sur au moins un point : 70 % de nos concitoyens se sont rendus aux urnes. Les Français ont massivement réinvesti le champ politique. Et il y a évidemment une grande cohérence entre cette mobilisation populaire et le rejet d’un texte européen qui, précisément, visait à réduire la part du choix politique autour d’un axe libéral. Dans le fond comme dans la forme, les électeurs ont manifesté leur refus d’être dessaisis. Leur insurrection est totalement, pleinement, exclusivement démocratique, tant par l’ampleur de la participation que par le contenu du message délivré. De cela au moins, on aurait dû unanimement se féliciter. Tout au contraire, beaucoup de nos démocrates auraient visiblement préféré qu’il n’y eût jamais de référendum, comme en Allemagne, ou que l’on s’abstienne à 60 %, comme en Espagne. Et que l’on continue comme avant, c’est-à-dire de préférence sans le peuple. Des démocrates de gauche auraient pu, par-delà les différences de sensibilité, se réjouir du retour des thèmes sociaux. Ce qui fait toute la différence avec le premier tour de l’élection présidentielle d’avril 2002. Mais non. Rancune et ressentiment.

C’est évidemment à gauche que gît le problème. Nous ne voulons pas minimiser le talent de M. de Villepin, ni nous désintéresser de l’aimable cohabitation à laquelle il est convié avec Sarkozy (qui revient au ministère de l’Intérieur !), mais là n’est peut-être pas le principal problème. Sa nomination a au moins le mérite de nous épargner dans l’immédiat une épreuve de force sociale avec l’ultralibéral président de l’UMP (l’arrivée de celui-ci à Matignon, quarante-huit heures après un vote massivement antilibéral, aurait eu des allures de provocation). Mais quoi qu’il en soit, et même si les différences sont beaucoup plus que des nuances, la droite fera sa politique. Elle a certes subi, dimanche, une cinglante défaite. Mais, elle peut se consoler en se disant que son électorat lui a plutôt été fidèle. Les états-majors ont été suivis dans leur consigne de vote. La droite a fait de la droite. Et du point de vue d’un citoyen de gauche, il n’y a guère à s’en étonner.

La situation est beaucoup plus complexe de l’autre côté de l’échiquier politique. Les dirigeants du PS et des Verts ont fait campagne contre leur électorat. Ils ont affronté brutalement ce qui devrait être leur base sociale. Et ils ont été battus. Et, comble de la difficulté, les électeurs de gauche ne se sont nullement égarés, ni n’ont déserté les urnes. Ni n’ont vendu leur âme, en dépit de ce que des commentateurs bien intentionnés (voir plus haut) s’efforcent de nous faire croire. Avec la victoire du « non », une autre offre politique est apparue en gestation à gauche. Cela ne fait qu’aggraver le problème central du parti socialiste. On a coutume de dire que l’état-major de la rue de Solferino n’a rien compris au 21 avril. Va-t-il comprendre ce qui s’est passé dimanche ? Formulons la question autrement : peut-il le comprendre ? C’est parfois son propre statut social qu’il faut accepter de remettre en cause. Des certitudes très profondes qu’il convient de bouleverser. M. de Villepin, lui, est un homme heureux. Son électorat lui demande d’être lui-même.
La liberté des autres étend la mienne à l'infini.
 
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