La formation de son premier gouvernement en apporte la démonstration spectaculaire : Nicolas Sarkozy est bien décidé à rompre, en tout, avec son prédécesseur. Méfiant, Jacques Chirac ne s’appuyait que sur ses proches, ses fidèles, son « clan ». Sûr de lui, le nouveau président de la République a choisi la démarche exactement inverse, sans craindre de bousculer les habitudes et les frontières politiques. Il voulait un gouvernement resserré et compact : le pari est presque tenu avec – autour de François Fillon – quinze ministres de plein exercice, auxquels il a tout de même fallu, dès à présent, ajouter quatre secrétaires d’Etat et un haut-commissaire pour résoudre l’équation trop complexe des compétences, des ambitions et des fidélités. Il avait annoncé un gouvernement paritaire. Nous y sommes, ou presque, avec sept femmes ministres, y compris à l’intérieur ou à la justice. Lionel Jospin avait ouvert la voie en 1997 ; il est significatif que la droite, aujourd’hui, parachève cette évolution. Il voulait enfin une équipe qui incarne rénovation et réforme. L’émergence d’une nouvelle génération est indéniable, symbolisée par la nouvelle garde des sceaux, Rachida Dati, ou par la quasi-disparition des énarques (deux seulement). Quant à la volonté de repenser l’organisation de l’Etat, elle n’a pas été jusqu’au bout du « big bang » annoncé pendant la campagne, mais elle a néanmoins permis plusieurs « fusions », la création d’un grand ministère de l’écologie et le découpage en deux de la « forteresse » du ministère des finances, dont il faudra soigneusement vérifier la mise en oeuvre dans les prochains jours. Mais, au-delà de ces caractéristiques, le gouvernement Fillon est d’abord une redoutable machine de guerre politique, à moins d’un mois des élections législatives. Loin de se contenter de rallier Hervé Morin, hier lieutenant de François Bayrou, il a séduit quatre personnalités de gauche : Bernard Kouchner (french doctor plébiscité par les sondages), Jean-Pierre Jouyet (ami personnel du couple Hollande-Royal), Martin Hirsch (le conseiller d’Etat des pauvres) et Eric Besson, à qui est donc versé le denier de Judas. François Bayrou prônait un grand rassemblement. Nicolas Sarkozy l’esquisse. Les socialistes enragent devant ces débauchages « lamentables ». Ils n’en sont pas moins déstabilisés par cette offensive : que certains, dans leurs rangs, aient préféré changer de camp dit assez à quel point ils ont intériorisé la défaite. Ayant séduit les uns, le chef de l’Etat entend, à l’évidence, réduire les autres. Nul doute en effet qu’il va s’employer désormais à pousser cette dynamique à son avantage pour tenter d’obtenir la majorité la plus large au Parlement. Il lui restera, alors, à passer aux actes. Ce sera une autre paire de manches.