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Reportage: Bruxelles-Tanger sur bitume
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15 juillet 2004 19:00
[www.levif.be]

REPORTAGE - Bruxelles-Tanger sur bitume

Un voyage exténuant, parfois périlleux : chaque année, des dizaines de milliers de Marocains de Belgique n'ont d'autre choix que de prendre la route en car pour pouvoir passer leurs vacances au Maroc

Planche à repasser, sèche-linge en plastique, sacs synthétiques à motifs écossais et valises tenues fermées par des sangles de fortune... Sur le trottoir de l'avenue Fonsny, près de la gare du Midi, à Bruxelles, les paquets s'entassent autour d'une trentaine de voyageurs. Seul manque le moyen de transport. Avec une heure de retard, le car de la compagnie CTM arrive d'Anvers. En moins de quinze minutes, le volumineux tas de bagages rejoint sa soute. Sans présenter leur ticket, sans le moindre contrôle d'ailleurs, les passagers embarquent.

Mercredi, à 13 h 15, le voyage vers Tanger commence. L'un des trois chauffeurs lance quelques indications en arabe sur le trajet avant de mettre un disque de musique orientale dans l'autoradio. On fait connaissance avec ses voisins de travée. Aux environs de Mons, premier bouchon : la circulation est ralentie par un car en panne. A la frontière française, le bus croise une partie de la caravane du Tour de France qui va rejoindre le départ à Liège. Abdel, 19 ans, en route pour passer deux mois chez ses grands-parents à Casablanca, tripote nerveusement son paquet de cigarettes en prévision de la première halte. Elle doit avoir lieu juste après Paris.

16 h 30, les avions décollant de l'aéroport Charles de Gaulle à Roissy annoncent que la capitale française est en vue. Bientôt la pause salutaire. Fort calmes jusque-là, les jeunes enfants s'impatientent. Il leur faudra pourtant encore attendre : la traversée de Paris prendra plus de deux heures. Alors que l'autocar progresse péniblement dans les embouteillages, les conversations sont moins feutrées. Dans les flots de paroles, l'expression moderne « heure de pointe » - probablement intraduisible en arabe -, revient souvent. Saïd, arrivé en Europe en 1956 à l'âge de 20 ans, se penche pour une confidence : « Ils ne sont vraiment pas malins ces chauffeurs. En partant à cette heure-là, ils pouvaient calculer qu'ils arriveraient en plein dans les bouchons ! » Bravant l'interdiction de fumer, Abdel quitte sa place pour s'asseoir au fond du car et griller une cigarette. La première bouffée à peine avalée, il se fait vertement rabrouer par un ancien. Le ton monte. Ambiance !

Cinq heures et demie après avoir quitté Bruxelles, soit vers 18 h 45, l'engin s'extirpe du périphérique parisien et s'arrête, enfin, sur une aire de repos. Avec l'absence de WC dans le véhicule, tout le monde se précipite vers les toilettes du restoroute avant d'envahir le magasin. Une vingtaine de minutes plus tard, retour vers les portes fermées du car. Les trois chauffeurs s'affairent autour d'une cabine téléphonique. L'un d'eux revient vers le groupe avec une pièce mécanique dans la main. Une partie du changement de vitesse n'a pas résisté aux premiers kilomètres. En attendant une solution, les hommes fument, les femmes discutent et les enfants se défoulent à même les pots d'échappement des voitures des premiers estivants. Les chauffeurs, eux, sortent du fil de fer d'une boîte à outils pour tenter une réparation de fortune. Abdel enrage. « Ils sont vraiment pourris ces autocaristes marocains ! Seul l'argent les intéresse ! Les passagers, ils s'en foutent ! Ne dis pas que tu es journaliste, sinon ils ne te laissent plus remonter dans le car... » Pendant que les chauffeurs font des allers-retours entre la boîte de vitesses et la cabine téléphonique, les passagers plus âgés s'allongent sur le bitume. Dans son maxi-cosi, une petite fille qui commence à trouver le temps long le fait savoir haut et fort. « J'espère que vous soulignerez les conditions dans lesquelles on nous fait voyager », s'indigne Latifa. Si elle a choisi l'autocar, explique-t-elle, ce n'est pas pour une question financière, mais parce qu'elle a peur de prendre l'avion. « Pour un aller-retour Bruxelles-Casa je paie 330 euros. J'économise seulement 130 euros par rapport à l'avion. »

Finalement, vers 22 h 30, un autre car arrive de Paris. Une soute plus petite oblige cependant les chauffeurs à jouer les compresseurs pour transborder la totalité des bagages. A l'intérieur, c'est malheureusement le même constat : la diminution du nombre de places augmente la promiscuité. L'heure tardive a eu raison des plus petits. Les adultes discutent encore un peu. Progressivement, les conversations s'éteignent, la torpeur envahit l'habitacle. On essaie alors de trouver une position confortable qui ne perturbera pas trop le voisin. Depuis le changement de véhicule, la radio est branchée sur Europe 1. Un flash info annonce que le car aperçu près de Mons a été arrêté par les autorités pour défaut d'autorisation. Le nôtre n'a pas été contrôlé.

Difficile de trouver le sommeil sur un siège d'autocar. Si ce ne sont pas les cahots de la route qui vous secouent, c'est le voisin qui joue involontairement des coudes dans vos côtes. Najla, tout juste 12 ans, a résolu le problème en s'allongeant dans la travée à même le sol. Là au moins, elle peut déplier ses jambes. Son petit frère Yassine s'est endormi sur les genoux de sa maman. A chaque secousse, sa tête roule, il manque de tomber. L'équilibre est précaire, mais il tient. Les membres s'engourdissent. Les flashs lumineux des réverbères de l'autoroute jouent les stroboscopes. Dort-on ?

5 h 20. Nouvel arrêt. Court. Juste de quoi se dégourdir les jambes et faire le plein. Après s'être rapidement rafraîchis, deux hommes en profitent pour faire la prière entre les voitures. Où est-on ? Vu l'allure de la station-service, en France, assurément. Le bitume encore tiède du soleil de la journée rejette son odeur de départ en vacances. Avec l'aube, le sommeil se fait pressant. De retour dans le car, on évite de parler à son voisin de peur qu'il ne reprenne l'histoire de sa vie commencée en début de nuit.

A travers les paupières, on le sent en attente : il guette les premières paroles. Dans la mesure du possible, on lui tourne le dos. Saïd se rabat alors sur sa radio portable. Les heures suivantes seront bercées par le crachotis de ses recherches sur les ondes. A 8 heures, l'infâme boîte à musique se fixe sur un chant traditionnel du Pays basque : bienvenue en Espagne.

Pendant qu'il fonce en direction de Bilbao, le car se réveille. Malgré la courte nuit, les gens sont souriants. Les bribes de sommeil glanées durant la nuit semblent avoir été suffisantes pour refaire le plein d'énergie. Au fur et à mesure que la matinée avance, cette impression disparaît. A 11 h 30, la « pause-pipi » se transforme en morne rituel. Dans l'odeur d'urine, on tente un brin de toilette aux pissotières du restoroute. Servi dans un gobelet en plastique mou, le café n'arrive pas à réveiller les papilles d'une langue devenue pâteuse. C'est sans aucun entrain que les voyageurs regagnent leur place dans le tortillard. Le front perlé de sueur, le petit Yassine arpente l'allée centrale à la recherche d'un divertissement. L'heure refuse d'avancer. Plombée par le soleil, l'interminable plaine de Castille ne doit pas être étrangère à ce ralentissement du temps. Obsédé par sa moyenne, le chauffeur fait sauter une halte. Pas vraiment tendre avec ses concitoyens, Saïd fulmine : « La prochaine fois, je prends un car hollandais ou français... Plus un car marocain. Ils traitent vraiment les gens comme des moutons ! » Pas de doute, la capacité limitée des vessies joue sur les humeurs.

Madrid pointe à la fenêtre. Sans la voir, on traverse la capitale espagnole. L'excitation du départ a fait place à une grande lassitude, la curiosité a abandonné le bus durant la nuit. Vers 15 h 30, une vague hacienda flanquée de pompes à essence décrépies accueille des voyageurs hagards. Dans la chaleur écrasante, on cherche vainement un peu d'air. Sur la route en contrebas, les poids lourds défilent dans un infernal boucan. On s'encourage en se disant que c'est probablement le dernier arrêt avant le bateau. Vite, se plonger dans un livre pour retrouver un univers un peu plus accueillant.

Alors que l'Andalousie nous ouvre ses portes, l'estomac de Yassine ne supporte pas les derniers lacets montagneux. Heureusement, il ne vomit que de l'eau mâtinée d'un snack chocolaté. Soulagé, il s'endort. Bienheureux gamin ! Un homme qui ne supporte plus le bruit de la radio de Saïd lui demande sèchement de diminuer le volume. Avec les chansons arabes diffusées par les haut-parleurs du car, la cacophonie est, il est vrai, particulièrement pénible. Le vieux râle, mais s'exécute, en n'oubliant pas d'égratigner une énième fois ses concitoyens. Aux environs de Malaga, une côte particulièrement raide provoque la surchauffe du moteur. Durant ce nouvel arrêt forcé, les chauffeurs annoncent qu'on n'arrivera plus à temps pour le dernier bateau. Deuxième nuit dans cette boîte roulante, maintenant lourde d'odeurs corporelles. L'heure tardive n'a pas encore réussi à rafraîchir l'atmosphère. On sue abondamment.

Au port d'Algésiras, à 7 heures du matin, ce sont des voyageurs poisseux, fripés et somnolents qui embarquent sur le bateau pour Tanger. Après le passage de la douane espagnole, on est prié de remplir une fiche signalétique pour la police marocaine. Alors que l'on espérait regarder s'éloigner les côtes espagnoles, on est bloqué à l'intérieur du navire dans l'interminable file de la douane marocaine. Le tampon apposé sur le passeport, on finit par rejoindre le pont. Dans le lointain brumeux, l'Europe s'éloi-gne. Après le confinement, l'air du large est jouissif : il décape les odeurs. Les mines autour des bastingages sont ravies. « Papa, il est grand le bateau ?» interroge une fillette. « Comme le Titanic», lui répond sa soeur alors que se profilent les côtes d'Afrique.

Les trois heures de traversée filent comme le vent vif de la ligne de partage entre la mer Méditerranée et l'océan Atlantique. A 10 h 40, le Boughaz accoste dans le port de Tanger. Deux heures de formalités douanières plus tard, soit presque quarante-huit heures après avoir quitté Bruxelles, on franchit, enfin, les grilles de la zone portuaire de Tanger. En guise d'au-revoir, Abdel, qui continue son voyage en car vers Casablanca, agite une mini-bombe lacrymogène. « C'est ça que tu dois emporter la prochaine fois que tu viens en vacances ici », ironise-t-il en contemplant les Tangérois se ruant sur les rares touristes européens. On verra... Dans l'immédiat, on plonge dans un « petit taxi bleu » à la recherche d'une douche réparatrice.

Vincent Genot
9 juillet 2004

[b][u]Sidi Moulay Charif Al Teleboutik BATATA, Tél: (999).12.34.56.78.90[/u][/b][i]** TOUTE RESSEMBLANCE AVEC DES PERSONNES EXISTANTES OU AYANT EXISTE NE SERAIT QUE PURE COÏNCIDENCE.** [/i]
 
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