Il est 5h00. Bientôt le soleil poindra à l'horizon. Tout mon petit monde est encore endormi. Après une nuit agitée de terribles cauchemars, je me lève, les yeux encore embués de sommeil, le cœur empli d'angoisse. Je passe à la salle de bain, j'enfile ma robe pour accomplir la prière de l'aube. J'aime cet instant où règne le silence. Sur mon tapis, je pose une couverture pliée en guise de coussin de méditation. Je m'y installe, en demi-lotus. J'inspire profondément ce moment de solitude salutaire. J'expire les émotions désagréables de la nuit. Je suis le rythme de ma respiration, un peu plus rapide qu’à mon habitude. Je laisse mes pensées me traverser, je les observe comme on regarde les nuages se déplacer dans le ciel. Je laisse venir les émotions afin qu'elles puissent s'exprimer, espérant qu'elles me laissent en paix pour la journée à venir. Mais c’est une boule d'angoisse qui se forme dans mon cœur. Je voudrais lâcher prise et la laisser s'en aller, comme une petite bulle de savon s’envole vers le ciel. Mais quelque chose en moi résiste. Et, peu à peu, les images de mon cauchemar me reviennent et m'assaillent. Je me retrouve alors malgré moi dans un désert aride et brûlant. L’air est sec et dense, la lumière est étrange, comme si un film rouge ou orange couvrait ma vue. Au loin s’étend une chaîne de hautes montagnes pourpres. Un terrible orage gronde là-haut. Je vois des éclairs gigantesques fendre le ciel de part en part, j’entend le grondement de la pluie et les vrombissements du tonnerre. Au-dessus de ma tête tournoie un immense rapace dont les ailes déployées semblent remplir le ciel. Ses cris stridents me glacent le sang. Et puis il y a ce regard. Ce regard sans visage, ce regard que je ressens sans le voir distinctement, que je ne parviens pas à localiser parce qu’il est partout à la fois. Ce regard qui transperce mon âme, fait voler en éclat toutes mes barrières émotionnelles, me met à nu, sans ménagement. Tout mon corps est à présent secoué de sanglots incontrôlables, des gouttes de sueur froide roulent le long de mon dos. Je ne peux en supporter plus, il faut que je revienne à moi, à la réalité. J'ouvre les yeux, je respire profondément, j'essaie de me recentrer. Je tremble encore. Que m'arrive t'il ? Je passe en revue le salon où je me trouve. La pièce est encore dans l'ombre, mais je distingue parfaitement les formes rassurantes des meubles. Le canapé d'angle en cuir bleu canard, la couverture crochetée de mes mains pliée en quatre sur l’accoudoir, la petite table en fer forgé orientale, le bureau face à la fenêtre, les quelques cadres accrochés au mur, la bibliothèque surchargée. Ma respiration se calme peu à peu. J'aperçois les premiers rayons de l'aube dans qui perce à travers les rideaux. Mais la boule d'angoisse enserre toujours mon cœur. C'est alors que je la vois. Là, dans l’ombre, une femme, adulte mais de la taille d’un enfant, vêtue d'un cardigan et d'une jupe droite, ses cheveux chatains, raides, descendant sur ses épaules. Et ses yeux, son regard perçant, impassible, menaçant, qui me fixent, un drôle de rictus accroché à ses lèvres. Mon cœur bondit dans ma poitrine, je suffoque. Je n'ose faire un mouvement. Je veux crier, mais il m’est impossible d’émettre le moindre son. Soudain, une main se pose sur mon épaule. J'entend une voix grave prononcer mon nom. Antigone ! Antigone ! Cette fois, le cri s’échappe. J'ouvre les yeux, il est 5h00.
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