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3 juillet 2011 10:26
Exercices d’espérance
Par Gilles Bernheim
Grand rabin de france


Le Printemps arabe, la disparition de Ben Laden, les discours du Président Obama,
ouvriront-ils la porte à une ère nouvelle et à des espoirs de paix et de sécurité au Proche
Orient? Nul ne le sait. Ce temps m’inspire aujourd’hui de livrer quelques réflexions et
espérances.
• A mes amis des pays arabes: Israël est un pays imparfait, né d’un rêve nécessaire.
Certains parmi vous refusent Israël parce qu’ils poursuivent un rêve contraire: l’unité arabe
contre l’humiliation coloniale. Ce thème de la colonisation moderne comme événement inouï,
comme une sorte de viol et de coup d’arrêt à une histoire millénaire, veut ignorer la nature
même de cette histoire antérieure, comme probablement de toute histoire. Ainsi, s’il y a
aujourd’hui des Arabes en Afrique du Nord, c’est parce que des Arabes l’ont colonisée à
partir du VIIe siècle. Et les premiers «colonisateurs» non arabes du Proche-Orient n’ont pas
été des Européens, mais d’autres musulmans – les Turcs seldjuks d’abord, avec bien peu de
douceur, les Turcs ottomans ensuite.
Je ne veux minimiser ni les erreurs, même bien intentionnées, ni les crimes véritables
de l’impérialisme occidental, ni la spécificité de certains des traumatismes qu’ils ont pu
causer, mais il me semble que vous gagneriez à sortir de la mystification qui présente vos
peuples sans aucune responsabilité dans leur propre histoire, comme ayant uniquement subi ce
que d’autres – les Occidentaux – leur auraient imposé. Le Printemps arabe vous donne de
nouvelles raisons d’être fiers.
• A mes amis et concitoyens d’Europe, dire que notre difficulté à désamorcer les
manipulations anti-occidentales m’interpelle. Les pavés de nos grandes villes, habitués aux
manifestations anti-israéliennes, restent désespérément silencieux pendant les massacres en
Libye et en Syrie. J’ai aujourd’hui le sentiment très amer de deux poids et deux mesures dans
la morale, la solidarité et les Droits de l’Homme, selon qu’il s’agit ou non d’Israël.
De façon plus générale, l’inquiétude, le relativisme et le pessimisme prévalent en
Europe. Nos sociétés auraient-elles perdu toute vision et toute ambition? Elles sont perçues
comme riches, puissantes, mais vides de valeurs. Les solidarités tendent à s’y réduire à des
dispositions administratives. Si chaque individu est libre – c’est l’un de nos principes
fondateurs – cette liberté est trop souvent exercée au profit du plus grand conformisme:
consommer, se faire plaisir.
Il est temps pour nos sociétés européennes de retrouver fierté et confiance, solidarité et
espoir. Le Printemps arabe peut nous aider dans cette démarche parce qu’à l’instar de la chute
du mur de Berlin, il ouvre une délicate transition où l’Europe unie peut se mobiliser pour la
construction de sociétés plus libres et plus ouvertes. Mes propos sont loin d’être idéalistes car
c’est l’Europe entière qui devra porter le fardeau si la transition est une impasse.
• A mes amis israéliens: certains d’entre vous, résolument pacifistes, cultivent la
culpabilité d’avoir pris des terres aux Palestiniens. D’autres voient en ces terres la patrie de
nos aïeux et font valoir que les retraits du Liban, puis de Gaza ont seulement abouti à des
pluies de missiles ou de roquettes tirées depuis ces territoires sur les villes d’Israël.
Si j’ai souvent dit ma sympathie pour toutes les victimes, israéliennes et
palestiniennes, j’observe que des dirigeants palestiniens – hier l’OLP, aujourd’hui le Hamas –
ont commis bien des erreurs, nourri bien des chimères, valorisé le jusqu’au-boutisme et la
violence. Un Etat palestinien aurait pu exister dès 1947 à la suite du vote de la résolution 181
par les Nations Unies, si les Palestiniens et l’ensemble des Etats arabes n’avaient pas choisi de
s’y opposer par la guerre. Le Printemps est contagieux: un sondage indiquait en mars 2011
que 67% des habitants de Gaza souhaitaient des manifestations contre le Hamas, à l’instar de
ce qui se passait dans les autres pays arabes.
Tenants du Grand Israël, je comprends votre douleur face à la perspective de devoir
peut-être renoncer à certaines terres, pourtant promises au peuple juif dans la Bible. J’ai
toutefois envie d’ajouter deux choses. Israël étant l’Etat-nation du peuple juif et les Juifs
enseignant la morale depuis des siècles, Israël n’a par conséquent d’autre option que de se
conformer à la morale. Ce raisonnement éminemment valide présuppose néanmoins que l’Etat
d’Israël et son caractère juif soient acceptés par tous, avec sincérité et sans ambiguïté, parce
qu’il est moral que le peuple juif ait son Etat.
• Aux jeunes générations arabes qui sont aux avant-postes des révolutions: je ne vous
connais pas, mais j’admire votre courage. Vous avez accompli l’impensable, pourtant le plus
dur est devant vous. Les transitions sont longues et souvent troublées parce qu’il faut changer
tous les référentiels. Vous avez la chance de vivre dans des pays très jeunes où vos
générations sont ou seront bientôt majoritaires. C’est une opportunité pour faire peau neuve et
pour regarder autrement l’Europe ou Israël.
Qu’est-ce que le sionisme si vous faites fi des propagandes qui vous entourent depuis
votre naissance? C’est un humanisme qui offre à tous les peuples des raisons de croire en euxmêmes.
Le sionisme atteste, par l’exemple, qu’aucune oppression n’est irrémédiable,
qu’aucun désert n’est stérile à jamais et que l’espoir est toujours justifié. Il est une région de
l’esprit autant que de l’espace: idée de l’Homme et de ses droits, patiemment bâtie en Orient
au moment même où, dans ces tragiques années 1930 et 40, elle s’effondrait en Occident. Et il
demeure, dans sa part la moins périssable, profondément fidèle aux paroles de Herzl: «Nous
ne demandons à personne à quelle race il appartient, il nous suffit qu’il soit un Homme».
• Enfin, je veux terminer par un message à mes frères dans toutes les religions. Dans
ce temps où les statu quo s’effondrent et les lignes bougent, les religions ont un rôle à jouer,
quelle que soit la foi de chacun. Ici en Europe, là-bas, de l’autre côté de la Méditerranée, elles
sont un vivier où nos sociétés peuvent puiser de quoi retrouver confiance et fraternité,
redonner du sens à leurs valeurs. L’exemple qui m’est le plus naturel est celui du judaïsme,
premier des monothéismes et fondateur d’une certaine idée de l’universalisme: car dire que
Dieu est un, n’est-ce pas une façon de dire qu’il est le Dieu de tous? Et la filiation est évidente
entre les dix Commandements et les droits de l’Homme.
J’ai la conviction que si elles s’en donnent la peine, les religions peuvent contribuer à
régénérer notre identité à tous, qui se reconnaît certes dans le moment historique des Lumières
et de la formulation des droits de l’Homme, mais qui n’est pas le privilège de l’Occident,
comme les révolutions arabes l’attestent avec force.
C’est cette identité porteuse d’espoir qui, plus sûrement que les armes et la
technologie, pourra faire barrage à l’inquiétude, au fondamentalisme et à la barbarie. Identité
d’êtres humains rationnels et moralement responsables, humanité de l’homme à laquelle il
faut d’abord s’efforcer mais qu’il faut aussi appeler comme la pluie de la vie par nos prières
 
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