(Un vélo au service de la lutte contre le sida) (1150)
Andrew Petkun est photographe. Militant en faveur de la lutte contre le sida, il a fait de fréquents voyages en Afrique. Il se sert du photojournalisme pour faire campagne contre l'opprobre attaché au sida. Depuis 2001, il s'est rendu quatre fois en Afrique en qualité de conférencier parrainé par le programme d'information internationale du département d'Etat. Il doit y retourner du 26 novembre au 17 décembre et visiter le Kenya, l'Erythrée et le Swaziland.
Au début de 2004, il a eu l'occasion de retourner dans un village du Kenya où il était allé trois ans plus tôt pour le compte du département d'Etat et a pu observer les changements que de simples gestes avaient encouragés.
On trouvera ci-après le texte de son récit.
(Début de l'article)
De la part du pays de M. Bush
Il y a trois ans, à l'occasion d'une visite au Kenya pour le compte du département d'Etat, j'ai rencontré un chef de village dans une région très reculée de l'ouest du pays, près du lac Victoria. Il s'appelait John Osir et était président du groupe de soutien aux malades du sida de sa communauté.
Comme des millions d'autres habitants du continent africain, qui subit d'une façon disproportionnée les ravages du VIH/sida, John était séropositif, une infection qu'il devait à la femme de son frère, dont il avait "hérité" à la mort de ce dernier du sida.
Dans bien des endroits de l'Afrique subsaharienne, hériter une épouse, en fait une famille entière - une notion bien étrangère à la pensée occidentale - est en réalité l'un des seuls moyens pratiques de protéger ceux qui restent lorsqu'un membre de la famille disparaît. C'est aussi un moyen très sûr de répandre le VIH/sida, et John Osir s'activait à faire changer cette tradition.
John paraissait la soixantaine, mais en réalité il n'avait que 45 ans à l'époque, éreinté par une vie difficile que la maladie rendait pratiquement intolérable. Mais, en dépit de sa souffrance et de sa frustration, il parlait calmement et avec fierté. "C'est du fin fond du pays de M. Bush que vous venez", avait-il remarqué, ajoutant : "Nous sommes pauvres, mais nous ne sommes pas ignorants. Tout ce que nous demandons, c'est de vivre ce qu'il nous reste de temps dans la dignité et avec un peu de confort (...) Il y en a beaucoup d'autres qui, comme vous, viennent nous voir, nous parlent avec sollicitude et mansuétude, prennent nos photos et puis s'en vont et nous ne les revoyons jamais (...)"
Après quelques instants de méditation silencieuse, il avait lâché : "Si seulement nous avions un vélo, nous pourrions aller rendre visite aux autres membres séropositifs du groupe que nous conseillons et soutenons qui habitent à la campagne."
Le dévouement et l'éloquence simple de cet homme dont la seule possession, mis à part la case de terre où il habitait et les vêtements qu'il portait, était le respect de soi, furent une leçon d'humilité pour moi. Des années auparavant, lors d'une visite antérieure en Afrique, j'avais entendu un proverbe africain affirmant que l'homme qui est véritablement riche peut porter toutes ses richesses sur son dos, mais jamais je n'avais vu la signification de ce proverbe démontrée de façon aussi émouvante.
Il doit bien y avoir quelque chose que je puisse faire personnellement, pensais-je, pour saluer les propos de John, quelque chose qui serait à la fois bénéfique temporairement et, peut-être plus important encore, à long terme, quelque chose symbolisant le respect que j'éprouvais pour cet homme. De retour à Nairobi, je donnai 100 dollars à un responsable kényen des affaires publiques à l'ambassade des Etats-Unis et lui demandai d'acheter de la nourriture pour le chef de village et son groupe. On me dit que cette somme permettrait de les nourrir pendant un mois. Je promis également de raconter l'histoire de John à qui voudrait bien l'entendre dans mon pays.
A mon retour, j'ai parlé de ma rencontre avec John Osir à des responsables du département d'Etat qui, avec d'autres employés de l'ambassade de Nairobi, ont personnellement fait une contribution pour acheter une bicyclette à John. Quelques mois plus tard, une photo est arrivée par le courrier, une photo de John se tenant à côté de son nouveau vélo, le visage rayonnant de plaisir et de gratitude.
En mars 2004, lors d'une autre visite au Kenya pour le compte du département d'Etat, j'eus l'occasion de rendre à nouveau visite à John, la première fois depuis trois ans. Tout ce que je pouvais espérer, c'était qu'il se souvînt de moi.
Lorsque j'arrivai dans son village, il n'était pas là, mais un jeune homme se dirigea vers moi, s'exclamant : "Vous êtes Andrew Petkun."
"Oui", lui répondis-je, surpris d'être reconnu.
"Il y a ici quelqu'un que j'aimerais vous présenter", dit-il, disparaissant dans une case proche et en sortant quelques instants plus tard portant un jeune garçon dans ses bras. "C'est Andrew Petkun Osir", précisa-t-il en souriant et en me tendant l'enfant. "Il a presque un an et demi ; mon père lui a donné votre nom."
Je n'avais pas encore tout à fait assimilé l'énorme surprise et l'honneur de l'instant lorsque je demandai si l'enfant, comme son père, était séropositif par le VIH. "On n'en est pas sûr", répondit son grand frère, "mais, avant que l'enfant naisse, sa mère a reçu des médicaments anti-rétroviraux que nous avons obtenus de votre pays. On espère donc qu'il est en bonne santé."
C'est à ce moment-là que John Osir arriva sur son vélo. Il s'approcha de moi, un grand sourire illuminant son visage. Sans même dire bonjour, il déclara fièrement : "C'est le vélo." On m'a dit qu'il l'utilisait pour transporter les malades jusqu'aux dispensaires locaux et pour aller jusqu'au marché acheter de la nourriture pour ceux qui étaient incapables de faire eux-mêmes leurs courses.
Etant donné que les transports en commun dans cette région de l'ouest du Kenya sont pratiquement inexistants, le vélo était devenu un moyen de transport pour les membres de la communauté et avait contribué de manière significative à l'amélioration de la qualité de leur vie.
Le vélo est plutôt déglingué maintenant. On voit qu'il a beaucoup roulé. Sa selle est déchirée et ne tient plus guère. Mais je n'aurais pas besoin de faire une collecte humanitaire pour en donner un nouveau à John. Ce dernier m'a rappelé une observation que je m'étais faite il y a trois ans : sous la peau, nous sommes tous de la même couleur.
Il n'était pas nécessaire de comprendre les complexités de la géopolitique, ni la nécessité d'enrayer la propagation du terrorisme, pour savoir qu'une chose aussi simple que le don d'une bicyclette et la reconnaissance de l'humanité de l'autre constituaient peut-être la meilleure forme d'aide étrangère que le pays de M. Bush pût offrir.