Menu
Connexion Yabiladies Ramadan Radio Forum News
Monsieur Cela (Recueil de poèmes Entrelacs)
A
30 juillet 2009 11:56
Ce poème est extrait de mon recueil de poèmes "Entrelacs".
Je lui laisse le soin de transmettre à mes compatriotes un personnage parmi tant d'autres que souvent nous vénérons quand ils viennent chez nous, pendant que chez eux, dans le silence complice, lâche, effroyablement souriant, glacialement poli, indifféremment intéressé et cyniquement avenant, se perpètrent les crimes les plus éhontés.

Monsieur Cela
Toute ressemblance avec
une personne réelle n’est pas fortuite.
Cet individu existe bel
et bien et a ruiné des vies.


Toute ressemblance avec une personne réelle n’est pas fortuite. Cet individu existe bel et bien et a ruiné des vies.


Cela décortiquait homards, crabes, crevettes et gambas, buvait le foie gras sur une nappe brodée de fleurs aplaties, traversée par un surtout vert d’inquiétude, se donnant un style et un air, mâchait l’actualité en fin connaisseur et trouvait à ses sarcasmes une réelle poésie.
Les huîtres, cette année, avaient souffert des marées noires et seules les belons du Nord y avaient échappé mais Son Eminence incolore, que le kir peinait à griser, Son Excellence Cela, mangerait tout de même, contre vents et marées, des plates propres et fraîches. Il les avait déjà commandées. Cela était prévenant.
Cela savait vivre, ce qui n’était pas donné.
Cela buvait le vin raffiné et les sirops les plus délicats.
Mais Cela militait aussi. Contre ces marées noires, pour l’écologie, la pisciculture et l’ostréiculture, pour ses homards et ses crabes roses pur porc, pour l’humanité.
Cela était féministe, écologiste mais jamais, absolument jamais raciste.
Cela portait sur le monde un regard paternel qui avait tout compris.
Cela s’en émouvait, cela versait même quelques larmes qui exhalaient le parfum d’un Macon ou d’un Sauvignon, c’est selon. Plate, Creuse ou Belon, c’est selon. La différence se jouait au citron.
Oui, quand le monde tanguait à Ouagadougou, c’est toute la table de Cela qui tanguait et inversement. C’est sûrement inversement.
Cela se gavait de dinde et de chapons en caquetant comme une oie sur un monde qu’à chaque minute il dépouillait, appauvrissait, transformait en actualités tragiques qu’il livrait à son écran dernier cri, pour le bon plaisir de ses tendances sadiques, ses instincts carnassiers et ses pulsions scatologiques et homicides, pour ses dimanches mérités.
Cela n’était pas raciste. Cela présidait même à des associations avec Marion pour remédier à cela.
Cela rêvait de paix et de solidarité.
Cela fricotait avec les despotes du monde entier auxquels il trouvait un charisme particulier, un peuple à genoux, un pays ruiné, des fortunes détournées, en somme un air de rien qui les faisait distingués, et surtout un français raffiné. Cela n’aimait pas la vulgarité.
Et Cela parlait des enfants du monde, de leur avenir, de leur vie.
Et puis ces femmes violentées !
Cela réprouvait la violence, l’inceste, la dictature et la pauvreté.
Cela connaissait la psychologie. Et partant, Cela était digne d’enfanter, enfin juste ce qu’il fallait, et d’élever et de soumettre. Le chien de Cela en était une preuve probante, accablante et aboyante.
Alors Cela se servait et, en détenteur de la vérité absolue, Cela rectifiait, corrigeait, fourrageait sur terre en domaine conquis et acquis.
Et Cela s’indignait devant ces enfants exploités.
Cela avait certes des tapis d’Orient mais des tapis ni volés ni volants, des tapis certifiés faits main d’homme libre et consentant, bien rémunéré.
Cela n’avait jamais fait ni ne referait le Triangle d’Or, il avait déjà embarqué dans ses pantoufles au large de son canapé, Cela battait pavillon au Mont d’Or et dans l’ouest lyonnais ; Cela naviguait dans son salon.
Cela ne rallumerait plus aucun feu.
Pas d’autodafé ni de crémation : Cela avait un four et une cheminée, il avait un chapon à rôtir ou à griller.
Point de supplice de la roue ni de Saint Barthélemy : Cela avait le crabe et le homard à écarteler, vider et, maintenant, Cela s’attaquait à la sole.
Cela avait séparé la chair parfumée de l’arête centrale, l’Eglise de l’Etat, déduit ses frais des impôts, calculé la T.V.A.
Cela s’offusquait de l’indifférence des autres, Cela se révoltait, rotait, votait, cela pensait.
Ah, Soixante huîtres, pardon ! Il voulait dire soixante-huit et les pavés !
Cela était sans aucun doute un être humain complet, entier, parfait.
Cela était la synthèse de Diderot, Voltaire et Rousseau.
Cela ne confondait pas Berlusconi et Mussolini, ni la France Libre et celle de Vichy, rien à voir !
Cela en était sûr.
A
30 juillet 2009 12:01
Cela maîtrisait l’histoire, et un peu la Géographie. Cela avait un sens des démarquages et des frontières, Cela pouvait même retracer la ligne Maginot. Cela avait de l’imagination et déjà un verre dans le nez. Malgré tout, Cela ne mélangeait rien. Dans un saladier, les bigorneaux, dans une assiette les couteaux, et les huîtres dans leur cageot, en attendant le saumon, le rire complice de Marion, le corsage d’Agathe, le décolleté plongeon de Judith et la dernière blague de Toto. Cela ne saurait tarder, le kir et le vin blanc coulaient à flots. Cela n’allait pas aux toilettes, Cela ne se souillait pas, Cela aurait été un ange si on n’avait pas tué Dieu, un garde suisse si on n’avait pas écourté le Roy, un bon patriote si Londres n’avait pas appelé Paris, un Seigneur régnant sur ses domaines dans les plaines de l’Oranais, la brousse sénégalaise ou les rizières indochinoises si Paris n’avait pas été libéré un peu tôt. Il se ferait chevalier, il aimait Lancelot. Que de gueux, de vilains, de serfs, toute cette chair ! Cela aimait la bonne chère et appréciait toute forme de chair. Mais Cela avait horreur de la chaire professorale, elle le décodait, le pénétrait, y lisait une absence de quelqu’un, la présence d’un cadavre et le sifflet d’un sot.
Cela n’était pas con.
Cela était trop bon pour être con.
Mais Cela troquerait bien Sa Seigneurie, Son Excellence, Sa Sainteté, Sa Majesté, Son Eminence, et même Sa Bonté pour Sa Connerie s’il pouvait un jour briguer la mairie de son quartier.
Sa Connerie changerait le pays.
Cela ferait alors des propositions à Louise, en tout bien tout honneur évidemment, puis le temps passant, le temps usant, Marion resterait une amie, si Louise le voulait évidemment. Sinon, Cela persisterait, persiflerait, userait de ses pions, jusqu’à ce qu’elle dise oui, car elle finirait par dire oui. Naturellement. Les femmes comme mademoiselle Louise commencent toujours par dire non.
Mais en attendant cela avait toujours plus d’une flèche dans son arc, plus d’une veste dans sa garde-robe, plus d’une papillote dans son Noël et des milliers de naufragés dans ses banlieues.
Il avait l’épingle du moment pour tirer son bigorneau récalcitrant, enfin, il avait de quoi tirer son épingle du bigorneau à chaque tournant !
Et puis le champagne se mariait mal avec le foie gras, où aviez-vous la tête Marion ?
Du Sauternes, voyons !
C’est un crime contre l’humanité, pardon ! Cela s’était trompé, il voulait dire un crime de lèse-majesté.
Ce Sauvignon joue de ces tours ! Tout le monde trouvait cela amusant, exigeant en matière de goût et pédant. Quelle belle expression !
Cela avait de l’esprit et du goût, Cela était une lumière.
Cela avait réussi sa vie, de lâchetés en traîtrises, il avait un peu trop râpé sa langue de toutes ces mains léchées pour avoir encore du goût mais cela ne se dit pas, ne se pense pas, quand Noël avait rassemblé tout cela.
Cela savait se courber, ployer, gravir ces échelons de petit formatorillon bête et méchant, aux lunettes chevauchant le bout du nez pour faire intelligent, à chargé de mission au torse bombé puis à directeur à qui maintenant on ne léchait pas que le blouson.
Tous ces nègres venus s’intégrer, s’insérer, se faire toucher par sa grâce et sa crasse grasse, étaient ses enfants. Ils ne pouvaient que mieux tomber, Cela n’était pas raciste, Cela était la larme de Hugo, le verbe du père Voltaire et l’index de l’intraitable Zola, Cela.
Et puis, Cela leur apprenait à rire, à pleurer, à sentir et à toucher, à se nettoyer à se contenter du peu et à ne pas péter plus haut que leur cul quand on n’était qu’immigré, rapatrié ou Rmiste, toxicomane ou tout simplement paumé. L’égalité des chances c’était Cela.
Cela leur apprenait tellement de choses et Cela était un être comblé.
Cela, Cela n’avait de cesse de le leur rappeler.
Lui qui n’était soldat en Indochine que devant Agathe, Judith et Marion, sinon, peintre, infirmier ou marmiton en Kabylie.
Cela était même résistant.
Cela souffrait, peinait dans sa mission.
Dieu que c’est dur d’être intelligent et forcément Cela !
Cela fantasmait sur les unes, Cela fantasmait sur les uns, après tout on n’est que des humains, cela échappait à Marion.
Dieu qu’ils devaient le voir beau !
Et Cela comptait les stagiaires en ronds et en subventions. Moins de pauvres et nous coulons ! Alors faisons quelque chose, voyons !
Cela connaissait filières et filons, la femme du député Paul, la maîtresse du secrétaire Pierre et puis, bien sûr, Marion, qu’on avait introduite à la direction de certains fonds, qu’il avait séduite, épousée civilement.
Amoureux ? Oui, sûrement.
Puis il y a ceux que nous arrosons, saupoudrons, menaçons, écrasons, qui ne diront pas non.
Attention, cela faisait cela pour la formation et l’insertion. Pour le développement. Cet argent se perdrait s’il tombait entre d’autres mains, cet argent de son ciel à sa terre serait dirigé de mains propres à mains propres. (à suivre)
A
30 juillet 2009 12:02
Cela était intègre, Cela était propre. Protégé par toutes ces mains jadis léchées, ces bottes bien cirées, Cela n’avait malgré tout jamais la grosse tête, Cela. Cela savait encore rester humble et servir, jusqu’au meurtre, quand celui-ci était sans cadavre évident, sans mort attestée, sans bruit ni sang. Il le faisait avec le zèle d’un Croisé devant un Sarrazin, la rectitude d’un soldat devant un indigène, le respect d’un mangonneau à une citadelle. Il ne faut pas péter plus haut qu’un Cela. Cela préférait le steak tartare au steak saignant et Marion avait bien raison de lui en avoir concocté un ce Noël-là. Mon Cela est un brin charognard ! expliquait l’espiègle Marion, toujours rigolote comme une anecdote dans une papillote ! Pas de grosses bouchées, pas d’étouffe Musulman ! rétorquait-il. Ah, la boutade, le fin mot de la question, il n’y a que Cela pour lâcher une telle perle !
Cela vivait fondu dans la meute, Cela était le premier à hurler et à courir et le dernier à se battre. En 46 il était résistant. Mais on n’y comprenait rien au début à cette guerre, Cela se comprend ! Cela savait ses limites et on ne le lui en voulait pas.
Cela prenait un gâteau aux fraises avec Judith et un sorbet avec Agathe, Cela savait faire plaisir et bien le répartir. Cela chanterait bien une chanson, mais il faudrait l’y pousser, l’en supplier, Judith et Agathe s’en chargeraient, c’était prévu, Cela avait tout prévu. Cela se fatiguait trop, depuis les commandes, en passant par les courses et les cadeaux, et bien entendu le sapin, un épicéa pour le parfum et tant pis pour les épines, jusqu’à la soirée qu’il voulait un gala où il serait le candélabre qui illuminerait les autres. Versailles fêterait ainsi sa Barry, sa Maintenon, devant Cela en Louis avec la présence de quelques mâles en retrait qui se contenteraient d’un Le Nostre, d’un Guillotin, d’un Necker ou d’un fou du Roy, selon la cour selon le Roy, selon Cela. Avec leur consentement bien sûr, car Cela était démocrate.
Cela avait des bâillements d’hippopotame et des regards qui s’absentaient un peu trop dans le décolleté d’Agathe et accompagnaient le fessier de Judith à chaque déplacement, mais sa main rassurait évidemment celle de Marion. Cela raconterait la dernière avant d’aller au lit, pour cela un petit Bourbon. Elle aurait de l’esprit, elle aurait du piment, ferait rire tout le monde, ferait rire Agathe et Judith, et Cela en profiterait pour se tordre de rire, toucher dans la foulée les seins tant convoités, pincer au passage l’imprenable fessier. Et dans son lit, le souvenir frais de cette chair rendrait moins fade le corps de Marion. Après tout, Cela n’était qu’un enfant et Cela aimait Noël comme tous les enfants. Les Noëls de cela étaient toujours poétiques. C’était cela Cela.
 
Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com
Facebook