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Médecins : L'Ordre en désordre
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13 juin 2006 15:10
Pratiques illégales, problèmes de santé publique, inertie… les médecins veulent secouer leur Conseil de l'Ordre, en commençant par élire son président. Une démocratisation qui rime avec démakhzénisation.


Les révolutions aiment arborer une couleur. Celle-ci est blanche, comme la blouse des médecins qui la font, ou du moins tentent de la faire. Des médecins traditionnellement patients, disciplinés, apolitiques et armés d'un stéthoscope. Des médecins qui aujourd'hui se lassent, se rebiffent, bousculent le pouvoir établi et aimeraient bien troquer leur stéthoscope contre un bulletin de vote.


Voilà qui fait désordre. Ou plus précisément, dés-Ordre. Après une décennie de mécontentement, sept syndicats de médecins, représentant les secteurs privé, public, universitaire et militaire, sont unanimes pour dénoncer les carences démocratiques du Conseil de l'Ordre, prestigieuse institution vouée à veiller sur la dignité et la déontologie de la profession.

Paradoxe apparent, tous les membres de ce Conseil de l'Ordre, tant au niveau national que régional, sont élus. Tous, sauf un : son président suprême, nommé par le roi en vertu d'un dahir de 1984, et accessoirement inamovible tant que Sa Majesté n'en décide pas autrement. Un président que le mouvement syndical aimerait voir sortir lui aussi des urnes, en demandant la “refonte immédiate de la loi 11-94” régissant le Conseil de l'Ordre au nom de laquelle il boycotte les élections prévues en juillet prochain.

Une demande jugée “banale” par les médecins, à l'instar du Dr Abdelilah Chenfouri, président de l'Association des gynécologues privés à Casablanca, dans un contexte de “démocratisation de toutes les instances du pays”. “L'Ordre des médecins est le seul ordre professionnel au Maroc dont le président national ne soit pas élu démocratiquement”, raille le Dr Mohamed Naciri Bennani, président du Syndicat national des médecins du secteur libéral (SNMSL).

Mais ce seul changement n'a rien d'une réformette : il s'agirait, pour faire court, de démakhzéniser l'Ordre, dont le président en question s'appelle, depuis près de vingt-trois ans, My Driss Archane, médecin de l'armée et frère du policier du même nom, et dont les pouvoirs au sein de l'Ordre lui permettent, concrètement, de ne pas avoir à répondre devant ses pairs.

Foisonnement des dérives déontologiques
Il ne s'agit pas d'un problème de personne, assurent à l'unisson les membres de l'“opposition” à l'Ordre établi. “S'agit-il de pourvoir un poste à un proche du roi ?”, ou de “lui fournir un parapluie contre d'éventuelles inquiétudes politiques ?”, risque-t-on à voix basse çà et là. Mais ce que les médecins clament à voix haute, c'est la nécessité d'un Conseil démocratiquement fort et responsable, dans un contexte de crise aiguë de la santé publique au Maroc.

Certes, il y a les problèmes de manque d'effectifs conjugués à un chômage déguisé, les départs volontaires (DVD) mal calculés, le surmenage des internes, les bas salaires et l'indigence de la médecine rurale. Mais le Dr Bennani dénonce d'abord le foisonnement inquiétant et non inquiété de la pratique illégale de la médecine : “charlatanisme, vente de médicaments sans ordonnance médicale, naissance de structures hospitalières sans autorisation telles que les polycliniques de la CNSS, établissement de conventions non déontologiques par des offices publics comme l'ONCF, l'OCP ou l'ONE avec des médecins ou des établissements de soins, le développement des “ristournes” ou “commissions” entre certains médecins, établissements, laboratoires d'analyses et sociétés d'industrie pharmaceutique…”.

“Inertie” du Conseil de l'Ordre
La liste de ces doléances, qui toutes malmènent le serment d'Hippocrate, est longue. Aussi les médecins déplorent-ils la faiblesse et l'inertie du Conseil, dont les éventuelles demandes de mesures disciplinaires, notamment lorsqu'elles doivent transiter par les administrations de tutelle (ministère, université, armée), ne sont que rarement appliquées. “Nous voulons que l'Ordre ait un pouvoir réel sur les médecins quel que soit leur secteur”, explique le Dr Bennani. “Il n'y a pas de raison que ce soient toujours les libéraux qui soient sanctionnés”, glisse au passage le Dr Chenfouri, selon qui “le Conseil de l'Ordre ne s'intéresse à rien” et encourage une “politique de petits pas” dénuée de “projet de société médicale”, qu'il s'agisse des DVD, de l'Assurance maladie obligatoire (AMO) ou de la carte sanitaire, contrairement à ce qu'assure le texte Place et rôle de l'Ordre des médecins dans le système de santé, co-signé par le président My Driss Archane lui-même.

Quant aux diverses tentatives de dialogue depuis dix ans, elles ont successivement avorté au point qu’il a fallu boycotter une seconde fois les élections, après le précédent de 2001 (les membres élus de l'Ordre n'ont pas été renouvelés depuis 1996). Aujourd'hui, plus de 2500 médecins ont signé la pétition du SNMSL, après que la commission de coordination des sept syndicats a adressé en mai 2004 un mémorandum au premier ministre, resté sans réponse. Et la rencontre, samedi 27 mai dernier, avec le ministre de la Santé ne semble pas les duper. “Ils nous approuvent en façade en préconisant une solution après les élections mais ne nous prennent pas au sérieux”, estime le Dr Bennani.

La loi 11-94 a pourtant bien été réformée par l'amendement 50-03 mais les médecins n'y voient que poudre aux yeux. “En 2001, seuls les médecins privés ont appelé au boycott des élections. Il fallait donc les amadouer, d'où cette histoire de parité (50% de sièges pour le privé, 50% pour le reste). D'ailleurs, même avec 75% des sièges, ça ne changerait rien tant que le président est nommé et a tous les pouvoirs. C'est peut-être une tentative de désunir le mouvement”, suppose le Dr Bennani. “D'autant que ça ne faisait pas partie de nos revendications”, complète le Dr. Moustafa Chanaoui, coordinateur du Secrétariat national des médecins (du public) affilié à la Confédération démocratique du travail (CDT).

Pourquoi tant d'inertie ? “Certains ont intérêt à pérenniser le système”, avance le Dr Chenfouri. L'un détient treize conventions d'assurances, l'autre est propriétaire d'une clinique… “En 1996, un président régional nous avait promis qu'il allait tout faire pour changer la situation, puis rien”. Ledit président se défend : “J'ai énormément œuvré pour que le président national soit élu, à une époque où c'était plus dangereux de parler que maintenant. Vous croyez vraiment que Archane veut faire ça ? C'est un militaire, ne l'oubliez pas”. Explications, un rien évasives, de son secrétaire général Ahmed Sergi : “Ce n'est pas le problème de fond qui est en cause mais la procédure pour la faire aboutir. Certaines revendications sont légitimes, d'autres nécessitent un débat, d'autres ne sont pas nécessaires. Il serait antidémocratique de maintenir en place les conseils actuels prorogés depuis six ans. Il faut les renouveler. Je précise par ailleurs que l'Ordre est une institution démocratiquement élue et n'est en conflit avec aucun syndicat”. Mais qui le croit ? Car quand bien même les élections auraient lieu en juillet, le Conseil élu en serait-il légitime pour autant, avec moins de 5% des médecins à jour de leurs cotisations (700 DH par an) et donc habilités à voter ? Pour les syndicats, c'est bien la preuve que l'Ordre est contesté.





Les tenants de l'Ordre. “Ne pas toucher aux prérogatives du roi”

“Aucun médecin ne peut émettre décemment des revendications s'il n'est pas lui-même en conformité avec la loi”, estime le secrétaire général de l'ordre Ahmed Sergi. Et ce président régional du Conseil de s'offusquer : “Vous pensez vraiment que les médecins veulent plus de discipline ? Que si demain le président est élu, tout le monde ira voter ?” Selon lui, “les syndicats sont de connivence avec les pratiques illégales et l'Ordre ne peut rien faire contre ce pourrissement”.
“Les gens fantasment sur le Conseil de l'Ordre, poursuit-il. Ils y voient un organe exécutif. Mais il ne peut se substituer ni à la Justice ni au Parlement. Et puis, les syndicalistes n'ont jamais pratiqué l'Ordre. Or le pouvoir de vie ou de mort professionnelle sur quelqu'un est énorme, il doit être empreint de la légitimité du groupe, mais aussi de l'Etat”. Un avis partagé à la direction du CHU de Rabat, où l'on ressert l'antienne du danger d'aller trop vite, même si le conflit dure depuis dix ans : “Le changement ne doit pas être brutal, ou l'on risque de se casser la gueule. Ce bras de fer est dommageable pour l'image de sagesse du médecin, il ne faut pas flageller notre système de santé. Mais surtout, il ne faut pas toucher aux prérogatives du roi”. Comme c'est surprenant…



Tel Quel n° 228
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13 juin 2006 16:46
Merci pour cette lecture..
 
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