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laissez moi vous raconter une histoire
O
28 mars 2004 13:02
Depuis quelques temps j'ai commence a ecrire et je suis curieux d'avoir votre avis sur mes premiers essais...

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Je suis né, j’ai vécu et j’ai grandi dans un pays où il y a quatre saisons. Dans mon pays, l’automne voit les feuilles tomber des arbres et les soirées se rafraîchissent. L’hivers, il pleut dans les plaines et il neige dans la montagne. Le froid s’installe sans trop faire de dégâts. Lorsque le printemps arrive, les journées se réchauffent. Les orangers fleurissent et les parfums des fleurs de mon enfance emplissent les narines des passants : Jasmin et Mimosa distillent leurs encens. L’été, il fait chaud. Le soleil reste clément : Il dore la peau sans la brûler. C’est la période de l’année où les fruits sont sucrés et les femmes enjouées.

Les soirées d’été, la chaleur s’installe dans les maisons et l’air reste frais dehors. Les gens sortent marcher dans la rue, les hommes s’installent dans les cafés et jouent aux cartes. Les femmes se mettent dans les terrasses des maisons et prennent l’air frais.

Dans mon pays, le pain a un goût de pain. La tomate, un goût de tomate et la pastèque fond dans la bouche en laissant un parfum sucré chatouiller les papilles gustatives.

Le peuple de ce pays est spontané et généreux. Du sud au nord, de la cote à l’intérieur, des montagnes aux plaines, les gens vous accueillent toujours avec un large sourire et un verre de thé.

Dans mon pays, les gens savent prendre le temps. On prend le temps de rendre visite à la famille. On prend le temps d’apprécier un bon repas. On prend le temps de jouer avec les enfants et on prend le temps de faire une partie de carte avec les grands-parents.

Lorsque les grands évènements arrivent, une fébrilité s’installe dans la population. A quelques semaines du mois sacré de Ramadan, les gens remplissent les marchés aux épices. Amandes, noix, farine et miel sont les denrées les plus recherchées. Les femmes prennent leur temps pour trouver le bon produit et négocient des heures durant, autant pour avoir la satisfaction de la négociation que pour obtenir un bon prix. Grands-mères, mères, tantes, sœurs et cousines bloquent les accès des cuisines. La maîtresse de maison règne sur un royaume fait de passoires, casseroles, et autres tamis. Il n’y a pas de mots pour décrire l’activité dans ce royaume strictement féminin.

Le pays était composé, dans la campagne du moins, d’une multitude de tribus. Tribus de nomades arabes ou tribus de paysans berbères. Ces petites communautés étaient disséminées un peu partout dans le pays et se réunissaient en certaines occasions bien spécifiques dans l’année.

J’ai encore dans les oreilles la voix cassée de mon grand-père qui me racontait les histoires de son époque. Il était, comme je le suis maintenant, nostalgique du temps de sa jeunesse où tout paraissait si simple. A chaque fois que quelqu’un dans la maison faisait une remarque sur un événement spécifique, il laissait échapper un léger grognement et lâchait une remarque par rapport à la différence entre ce qu’il appelait son époque, par opposition à la notre. Pour le taquiner, je lui disais ‘Qu’avait-elle de si intéressant votre génération, votre époque ?’

Le vieil homme n’était pas dupe. Je crois même qu’il se prêtait, avec un plaisir malin, à mon petit jeu de taquinerie. Il adorait raconter des histoires et aimait le son de sa propre voix. Pour ma part, j’étais une audience parfaite. Je buvais les mots qui sortaient de sa bouche et mon jeune esprit de l’époque me permettait de visualiser, avec une facilité qui me déconcerte aujourd’hui, les différents paysages et personnages qui peuplaient ses histoires.
L
28 mars 2004 13:08
Omardxb

Je t'ai lu,c'est trés joli.....continues comme ça smiling smiley

Ne te décourage surtout pas .

J'espère que tu donneras des suites ... smiling smiley

See you.

L
28 mars 2004 13:10
....Ce pays ,c'est le Maroc,je suppose... ?(

Comme je ne suis pas du bled...excuses-moi de te le demander grinning smiley

O
28 mars 2004 13:11
Oui oui, c'est bien notre cher Maroc

-------------------------------------------------------------------------------------La maison familiale était dans notre famille depuis au mois cinq ou six générations. C’était une vielle demeure toujours en bon état dans la vielle ville de Fès. La porte principale était une simple porte en bois en castré dans un mur donnant sur une ruelle qui était souvent impraticable en hivers. Si la porte d’entrée ne payait pas de mine, beaucoup diraient qu’elle cachait un véritable joyaux. Pour accéder à la maison, il fallait traverser un petit potager dans lequel ma grand-mère faisait pousser des tomates, des oranges, du jasmin, des amandes et même de la menthe !

Après avoir traversé le potager, on arrivait dans la maison en soi qui n’avait, pour ainsi dire pas de porte. Il y en avait bien une, mais je ne me rappelle pas l’avoir déjà vue fermée. En fait, cette entrée donnait sur un petit couloir qui ne dépassait pas les deux mètres de longueur. Ce vestibule donnait sur le patio de la maison au milieu duquel trônait une fontaine entourée d’arbres plusieurs fois centenaires. Autour de ce patio, il y avait des pièces de dimensions égales qui étaient un peu l’espace de vivre. L’une de ces pièces faisait office de grenier et se trouvait en dessous de la cuisine qui se trouvait à l’étage. Une particularité étrange de ces deux pièces, le grenier et la cuisine, était l’espèce de trou circulaire au milieu. En fait, en dessous du grenier, l’un de mes aïeux avait creusé un puis qui sert encore aujourd’hui à ma famille pour arroser le potager, laver le parterre et autres tâche domestique dans ce genre. Mes cousins et moi serions en train de jouer dans le patio et nous entendrions ma grand-mère appeler l’un de nous. Le système était ingénieux pour l’époque : la personne dans la cuisine appelle quelqu’un à l’étage inférieur et lui demandera d’aller dans le grenier et mettre quelque chose dans le sceau : de l’huile, de la farine ou quelque chose dans le genre. Au plafond de la cuisine, juste au dessus du trou, il y avait une espèce de poulie qui permettait à l’aide d’une corde et d’un sceau de remonter de l’eau du puis ou des denrées de la cuisine.

Les autres pièces autour du patio, à l’exception de la salle des eaux et de la mosquée, étaient des espèces de salons où on écoutait la radio, où on mangeait ou qu’importe. Durant les mois chauds de l’été, la température dépassait aisément les 40 degrés. On dormait tous, soit dans le patio, soit dans ces grandes chambres où un courant d’air venait rafraîchir nos nuits. Les chambres du haut étaient celles qu’on utilisait le moins. Il y avait bien une salle de bains à l’étage qui était bien plus spacieuse que celle du bas, mais je dois dire que pour une raison qui m’est inconnue, elle était souvent boudée. Deux des pièces du haut étaient la chasse gardée du maître des lieux, mon grand-père. L’une d’elle contenait un vieux secrétaire et les murs de la pièce étaient tapissés de livres. Il y avait aussi une radio qui était constamment branchée sur la radio du caire. Les après-midi d’été, avant la prière du Maghreb, mon grand-père aimait se retirer dans cette pièce et y écoutait la diva Oum Keltoum. La seconde pièce était adjacente à la première et était en fait la chambre à coucher de mon aïeul.

C’est avec une réelle nostalgie que je regarde aujourd’hui cette maison dans laquelle les moments de bonheur paraissaient interminables. C’était l’époque de l’innocence, de l’enfance où il nous suffisait d’un rien pour être heureux.

Il y avait une chambre à l’étage qui nous terrifiait. Nous étions bagarreurs, insolents et très agités comme enfants, mais il suffisait que mon grand-père mentionne cette chambre pour que nous calmions nos ardeurs immédiatement. L’un de mes cousins, que je détestais à l’époque, était le gardien de cette chambre. Il était le plus âgé d’entre nous et avait décroché, à la veille de cet été, sa ‘chahada’ qui était en fait le Certificat d’Etudes Primaires. Mon grand-père lui avait donné pour mission de garder toujours prêt un stock de branches d’olivier. Mon cousin Ali allait donc tous les matins dans le potager pour couper quelques branches des oliviers de ma grand-mère. Il était très minutieux dans son travail. Il choisissait ses branches en fonction de leurs longueur, mais aussi de leur souplesse. Il lui fallait trouver des branches qui étaient à la fois souples et robustes. Il fallait qu’elles durent aussi longtemps que possible.
s
28 mars 2004 13:13
c'est trés beau ce que tu a écris mais tu m'a rendue tres mélancolique et surtout trés nostalgique, merci de m'avoire rappelés mon enfance.

siryne
O
28 mars 2004 13:32
la suite... demain...
m
28 mars 2004 14:43
tbarkala alik si omar
je me retrouve dans ton histoire

« La nuit a des oreilles et le jour a des yeux »
O
29 mars 2004 07:40
Une fois par semaine, Ali, qui était avec mon grand-père le seul à avoir les clés de la chambre, entreposait son chargement dans la chambre et la nettoyait un peu. Lorsque l’un de nous faisait une bêtise, il ne fallait surtout pas que ça arrive aux oreilles du vieil homme. Dans sa jeunesse, il a été bûcheron à un moment et pour son âge il avait une musculature impressionnante.

Une fois, je m’étais fait prendre par Ali en train de voler de la confiture dans le grenier pendant l’heure de la sieste. Le petit galopin qu’il était a pris un malin plaisir à aller chuchoter dans l’oreille du Haj le vol, ô combien scandaleux, que je venais de commettre.

En sortant de la pièce, après m’être rassasié de confitures, je me retrouve nez à nez avec mon grand père qui a tout de suite reconnu le coupable que j’étais dans mes yeux. Sans s’énerver, très lentement, ses yeux sont passés sur mon visage, puis ma chemise et puis vers la gauche et de plus en plus haut pour se fixer sur la porte de la chambre maudite. Je savais ce que cela signifiait et je savais aussi qu’il était absolument inutile que j’essaie de m’enfuir. Un sentiment de résignation mélangé à une colère sourde m’a pris avec une telle force que j’en ai eu mal à la tête. Comment a-t-il su ?

Je me posais la question encore lorsque je suis arrivé et que j’ai trouvé Ali sur le pas de la porte de cette maudite chambre avec un stock tout frais de branches d’olivier. Et là, du haut de mes huit ans, j’ai compris. J’ai su qu’il était impossible à Ali d’aller cueillir toutes ces branches au cours des cinq dernières minutes. Cela ne pouvait signifier qu’une chose : c’est lui qui a prévenu mon grand-père. Tout à coup, mon mal de tête a disparu et mes idées sont devenues très claires… Je n’avais plus peur, ni de mon grand-père, ni de la punition qui allait me tomber dessus aussi sur que la nuit venait relever le jour. Par contre, j’avais en moi une rage, une colère, si forte que tout me paraissait futile. La haine que j’ai ressentie à ce moment précis pour mon cousin Ali était sans limite. Le bougre avait le culot de me faire un sourire hypocrite comme pour dire ‘je suis désolé pour ce qui t’arrive’.

Docilement, je suis rentré dans la pièce sombre, je me suis allongé par terre, j’ai enlevé mes chaussures et me suis en roulé la corde autour des chevilles. J’attendais tout en ruminant ma vengeance. Au bout de quelques minutes, une large silhouette se dessinait dans la pénombre. Mon grand-père se tenait sur le pas de la porte à contre jour. Avec le soleil derrière lui, je n’étais pas en mesure de distinguer ses traits. Tout ce que je voyais c’était la forme d’un homme grand et musclé qui avait de la peine à récupérer son souffle.

Au bout de quelques secondes, il est lentement entré dans la pièce et il a refermé la porte. A ma grande surprise, au lieu de venir vers moi, il m’a tourné le dos et a été farfouiller dans un coin de la chambre pour prendre un tabouret sur lequel il s’est assis… Il a commencé a bourrer lentement sa pipe – rien que d’en parler, j’ai encore l’odeur de ce tabac parfumé qui vient me chatouiller les narines. Lentement, il a tourné la tête vers le tas de branches que Ali avait préalablement déposé dans un coin et il en a pris une. De ses deux mains, il a commencé à la plier et a la tordre. Lentement d’abord, puis avec de plus en plus de vigueur. Au bout d’un moment il s’est arrêté pour faire son constat : C’est une belle branche !
- Est ce que tu as peur ? me demanda-t-il d’une voix qui m’a surprise tellement elle était douce et dénuée de reproche
- Franchement ? Pas vraiment.
- Ah bon ! Tu sais pourtant que tu vas être sévèrement puni. Pourquoi l’as tu fais ?
- C’était plus fort que moi.
- Est-ce que ça valait la peine de prendre le risque ?
- Oui.
- J’admire ton courage, cependant il te suffisait de demander. Normalement, le tarif pour ce type de bêtise est de….
- Trois branches… je sais.

Une branche, dans le jargon de la maison, voulait dire que mon grand-père devait battre l’insolent avec la branche jusqu’à ce que celle-ci casse. Ali se faisait un point d’honneur pour choisir des branches qui mettaient tellement de temps à casser que le bras de mon grand-père fatiguait à force de frapper.

Mon grand-père me regarde avec surprise et me dit ‘tu es courageux pour un garçon de ton âge, tu sais’
- …
- Exceptionnellement, je vais réviser la punition à deux branches au lieu de trois, à condition que tu ne dises rien à personne
- D’accord.
- Va me chercher la vieille peau de mouton là bas.

Je m’exécute

- Enroule-toi dedans.
- Pourquoi ?
- Fais ce que je te dis et n’aies pas peur.
- Je n’ai pas peur
- Très bien

Après m’être enroulé dans la vieille peau de mouton, mon grand-père à commencé à me frapper avec la branche. La douleur était presque inexistante grâce à cette peau protectrice. Au bout d’une demi-heure, la deuxième branche a fini par casser.

- Très bien. Maintenant je veux que tu me promesses trois choses.
- Oui ?
- Premièrement, ce qui s’est passé ici doit rester un secret entre toi et moi.
- D’accord.
- Deuxièmement, si tu veux une friandise, viens me la demander. Si tu es sage, je ne te refuserais rien.
- Promis.
- Troisièmement, tu feras semblant d’avoir du mal à marcher et à t’asseoir correctement pendant deux jours.
- C’est tout ?
- Oui

A ce moment je pousse un sourire de soulagement.

- Pourquoi ce soupir ? Tu t’en es bien sorti espèce de petit voleur !
- J’avais peur que tu me fasses promettre de ne pas chercher à me venger

Il est parti d’un fou rire…. ‘ Tu comptais te venger de moi ?

- Non, grand-père. Tu n’as fait que ton devoir.
- De qui alors ?
- De Ali. C’est lui qui a été te rapporter ma bêtise. Il avait peut être raison, mais il avait tout de même tort.
- Mon fils, la vengeance n’est jamais une solution, mais je comprends ce que tu dis. Un homme doit savoir parfois prendre des décisions dont les conséquences peuvent être dures, mais c’est nécessaire dans la vie d’un homme. Déguerpis maintenant.

C’était pour moi la toute première fois de ma vie où j’ai eu une conversation d’égal à égal, ou presque, avec un adulte. Mon respect, mon admiration et mon amour pour le vieil homme s’étaient décuplés ce jour là. Du haut de mes huit ans, j’avais du mal à comprendre le sens caché de sa dernière remarque. Aujourd’hui, lorsque j’y repense, j’entrevois la sagesse de ses mots. Il me donnait une espèce de feu vert pour ma vengeance. J’avais admis avoir fait une faute et j’acceptais d’en subir les conséquences. Quant à mon cousin Ali, il n’avait aucun mérite. Il avait trahi la confiance de son cousin, en l’occurrence moi, et a sauté sur l’occasion pour d’une part m’écraser et d’autre part asseoir son influence sur mon grand-père qui lui n’était pas dupe.
 
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