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"L'Europe a regardé beaucoup plus vers l’est que vers le sud"
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14 septembre 2005 21:19
"L'Europe a regardé beaucoup plus vers l’est que vers le sud"

Entretien exclusif avec Josep Borell, président du Parlement européen

· Borell en visite au Maroc à partir d’aujourd’hui

· «La gestion des flux migratoires ne peut pas être seulement sécuritaire»

· «Il ne faut pas que la lutte contre le terrorisme devienne de l’islamophobie»

- L’Economiste: Quels sont les objectifs principaux de votre visite au Maroc?
- Josep Borell: Ma visite s’inscrit dans le cadre de l’exercice de la présidence de l’Assemblée parlementaire euroméditerranéenne (APEM). Ce n’est pas seulement le président du Parlement européen qui visite le Maroc mais également le président de l’Apem (Josep Borell assure la présidence de l’Apem de mars 2005 à mars 2006; ndlr). Je réponds à une invitation de l’Assemblée nationale marocaine et de son président Abdelouahed Radi. Il s’agit surtout de promouvoir le rôle de l’Apem dans le Processus de Barcelone comme un aiguillon de la politique de voisinage. J’insisterai sur la nécessité de développer la coopération intermaghrébine en encouragement, notamment le Processus d’Agadir.
Je compte également souligner l’importance du respect des droits de l’homme et des libertés démocratiques dans tous les domaines, y compris dans la lutte contre le terrorisme. Je m’appliquerai surtout à rassurer le Maroc quant aux inquiétudes concernant la communauté marocaine en Europe en soulignant l’importance que porte le Parlement européen à la lutte contre la discrimination. Il ne faut pas que la lutte contre le terrorisme devienne de l’islamophobie, car ce serait la pire des choses dans la mesure où elle représenterait une grande victoire pour les terroristes.

- Quelle évaluation faites-vous du partenariat Maroc/Union européenne?
- Le bilan est positif mais sans doute n’est-il pas suffisant. C’est positif car les chiffres sont là pour nous rappeler que l’Union européenne absorbe quelque 70% des exportations marocaines et exporte quelque 63% de ses produits vers le Maroc. Nous sommes des partenaires commerciaux extrêmement importants. Nous avons des relations solides, une longue amitié dans la mesure où notre premier accord remonte à 1977. Mais, à mon avis, il faudrait faire beaucoup plus car j’ai toujours dit que le défi le plus important auquel l’Europe doit faire face c’est son rapport avec le monde musulman.

- Pourtant des observateurs économiques comme le Femise(1) ont abouti à un bilan plus que mitigé du Processus de Barcelone. Peut-on craindre que devant ces maigres résultats l’Europe soit tentée de ne plus accorder la même priorité à l’Euromed et à se tourner vers d’autres partenaires dans le cadre de l’Elargissement et de la Politique européenne de voisinage?
- Ce serait une grosse erreur parce que la Méditerranée est un ensemble. Nous les Européens nous devons reconnaître que pendant ces dix dernières années la priorité n’a pas été accordée à nos voisins de la Méditerranée. L’Europe a regardé beaucoup plus vers l’est que vers le sud. L’Europe n’a pas investi dans le Processus de Barcelone toute l’énergie politique qu’on avait promise au début des années 90.
C’est normal d’ailleurs, parce que pendant cette dernière décennie l’Europe s’est engagée dans le processus de réunification. Ce processus à qui on a accordé la priorité est maintenant en voie d’achèvement ou presque. A mon avis, c’est au contraire aujourd’hui une grande occasion pour revitaliser le Processus de Barcelone. C’est dans le nord de l’Afrique que l’Union devrait investir le plus d’efforts car c’est là où elle joue son avenir pour des raisons touchant à la démographie, à l’immigration, aux rapports culturels. Eléments auxquels se mêle, depuis ces dernières années, la menace terroriste.

- Le Maroc a toujours soutenu dans ses rapports avec l’UE que la liberté de mouvement de capitaux doit aller de pair avec la libre circulation des personnes?
- C’est un dossier très sensible. Mais la solution ne peut se résumer à ouvrir les frontières sans aucune sorte d’ordre ni de contrôle. Certes, nous avons besoin d’immigrants mais nous devons aussi être capables d’assurer leur insertion sociale. Cela nécessite que le flux d’immigration soit régulé. Il y a l’exemple très positif de l’Espagne qui a décidé de régulariser un nombre très important d’immigrants. Je pense qu’il faudrait trouver des accords pour gérer ensemble la circulation des personnes. Tout le monde ne peut pas émigrer et ceux qui seront autorisés à le faire doivent avoir l’assurance qu’ils seront bien intégrés dans la société d’accueil, ici, en Europe. C’est un travail énorme qui nécessite une nouvelle politique d’immigration en partenariat avec le pays d’origine.

- Les Etats membres de l’UE font des pressions sur certains pays Meda, comme le Maroc ou la Libye, pour organiser des centres d’accueil pour les candidats à l’émigration vers l’Europe. Que pensez-vous de ce rôle de gendarmes de l’Europe qu’on veut leur faire jouer?
- Le Parlement européen a toujours exprimé sa grave préoccupation sur ce type de mesures. La gestion des flux migratoires ne peut pas être seulement sécuritaire. Au Parlement européen nous venons d’avoir une grande discussion avec la Présidence britannique de l’UE. Nous, Parlement européen, nous pensons que si quelqu’un doit être éloigné du territoire européen, il faut s’assurer qu’il ne soit pas envoyé dans un pays où il pourrait courir des risques sérieux comme le prévoit la convention des droits de l’homme. Sur cet aspect précis, il y a peut-être une divergence de vues entre les Etats membres et le Parlement européen.
Le Maroc n’est pas seulement un pays d’émigration mais également un pays de transit de candidats à l’émigration. Cette idée d’établir des camps de regroupement de candidats à l’immigration dans la périphérie de l’Union est très critiquée par le Parlement européen.

- En tant que président en exercice de l’Apem, quel premier bilan faites-vous de ses travaux?
- C’est trop tôt pour déjà tirer un bilan. Nous avons eu notre première réunion plénière au mois de mars 2005 au Caire. Trois commissions ont été instituées et plusieurs groupes de travail dont une sur le processus de paix au Moyen-Orient qui est d’ailleurs présidée par le président de la Chambre des représentants, M. Radi. Au sein de nos travaux, nous souhaitons mettre l’accent sur le respect des droits de l’homme. Le but est de faire en sorte que le dialogue Euromed ne soit pas réservé aux seuls gouvernements et diplomates. Le temps est désormais révolu où seuls les gouvernements pouvaient passer entre eux des accords internationaux.
Aujourd’hui, les peuples ou à leurs représentants ainsi que des associations ou des organisations non gouvernementales ont leur mot à dire. Le but est donc d’associer les populations méditerranéennes au partenariat Euromed. Le Parlement européen est une de ces voies de communication qui peuvent établir des liens de peuple à peuple. Je pense que les réformes politiques ont besoin d’un accélérateur populaire. Or il est trop tôt pour présenter déjà des résultats faramineux mais je compte m’investir beaucoup lors de mon voyage au Maroc, lequel fait suite à ceux que j’ai effectués en Tunisie, Egypte, Jordanie, Israël et Palestine.
J’ai souhaité qu’à l’occasion de la célébration du 10e anniversaire du Processus de Barcelone l’assemblée extraordinaire de l’Apem se tienne en Palestine. Cela n’a pas été retenu car ni les uns ni les autres n’en ont voulu. C’est donc une idée que nous sommes maintenant en train d’abandonner. Nous cherchons donc un autre endroit.

- Estimez-vous que l’Apem a aujourd’hui mis fin au déséquilibre institutionnel qui a régné pendant dix ans au sein du partenariat Euromed en faveur des gouvernements et de leurs administrations?
- Non, les gouvernements continuent à être des acteurs privilégiés du Processus de Barcelone. La “diplomatie parlementaire” ou plus exactement le dialogue entre les peuples à travers leurs représentants est une nouveauté tout à fait récente. Il faudrait voir si nous sommes capables d’en tirer une expérience positive. Rien n’est écrit. Cela dépendra beaucoup de la manière dont nous sommes capables de développer nos rôles dans cette nouvelle dynamique.

- Le Parlement européen doit bientôt donner son avis sur le récent accord de pêche signé entre la Commission européenne et le Maroc. Pensez-vous que cet avis pourrait être influencé par la position d’un certain nombre de députés européens en ce qui concerne le problème du Sahara?
- C’est vrai que le Parlement européen a son mot à dire sur cet accord de pêche. Sans doute on va avoir un débat intéressant sur ce dossier car vous savez les parlementaires sont parfois très divisés. Ils l’ont été sur des questions comme la Constitution européenne ou à propos de l’adhésion de la Turquie.
Nous vivons tous les jours des débats politiques très intenses comme toutes les personnes qui n’arrivent pas à se mettre d’accord. Je ne peux vous dire à l’avance quel sera le résultat des débats sur cet accord de pêche. Tout ce que je peux vous dire c’est que le Parlement a le dernier mot sur ce dossier et que son accord est indispensable.
C’est vrai que la question des côtes du Sahara va être prise en considération par un certain nombre de députés européens. Mais le débat n’a pas encore eu lieu. Je me réjouis par ailleurs -en tant qu’Espagnol- qu’après cette longue période, durant laquelle les deux parties n’ont pas été capables de renouveler l’accord de pêche de 1999, celles-ci ont réussi début août à signer un nouvel accord.

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Sahara: Il faut progresser sur le plan Baker



- Les derniers développements au Sahara, notamment la libération des prisonniers marocains, sont-ils à vos yeux assez positifs pour faire avancer ce dossier?
- Je le souhaite très fort avec ces nouveaux éléments. Le Parlement européen s’est prononcé récemment sur ce dossier. Moi, en tant que président, je suis le porte-parole des positions du Parlement européen. Notre parlement a toujours encouragé et continue d’encourager toutes les parties à progresser sur la base du plan Baker qui est le seul plan reconnu au niveau international dans le cadre des Nations unies. De plus, le Parlement européen a toujours souhaité la libération de tous les prisonniers.



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Le planning de la visite



Josep Borell est en visite officielle au Maroc les 14 et 15 septembre, à l’invitation de son homologue de la Chambre des représentants, Abdelouahed Radi. Outre Radi, il doit rencontrer Driss Jettou, le chef de la diplomatie Mohamed Benaïssa ainsi que des membres des commissions des Affaires étrangères, de la Défense nationale et des Affaires islamiques de la Chambre. Jeudi, une réunion est prévue avec les chefs des différents groupes parlementaires de l’Assemblée ainsi qu’avec une série d’ONG. Une rencontre avec le Souverain reste encore à confirmer.



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De l’Espagne à l’Europe



Le socialiste Josep Borell est né le 24 avril 1947 dans un petit village des Pyrénées catalanes. A dix ans, il abandonne l’école primaire et, à partir de 16 ans, prépare le baccalauréat à la maison tout en travaillant dans la boulangerie familiale. Il est divorcé et père de deux enfants.
Cet ingénieur aéronautique de l’Universidad Politécnica de Madrid est également docteur en sciences économiques de l’Universidad Complutense de Madrid, titulaire d’un Master en économie de l’énergie de l’Institut français du pétrole (Paris), ainsi que d’un Master en mathématiques appliquées de l’Université de Stanford (Californie). Entre 1972 et 1981 il travaille comme ingénieur à la Compañía Española de Petróleos, au sein de laquelle il est élu représentant syndical. Il est notamment secrétaire général du budget au sein du premier gouvernement de F. González, secrétaire d’Etat aux Finances, deux fois ministre des Travaux publics, des Transports et de l’Environnement, député au Congrès des députés pour la circonscription de Barcelone.
Il adhère au Parti socialiste espagnol (PSOE) en 1974, à son retour des Etats-Unis où il détient plusieurs postes de responsabilité. Tout au long de sa carrière politique, Josep Borell a entretenu une relation intense avec le processus de construction de l’Union européenne et de ses institutions. Il négociera notamment et gèrera la mise en œuvre des Fonds structurels et de cohésion en tant que secrétaire d’Etat aux Finances tout d’abord, puis comme ministre des Travaux publics.
Pendant dix ans, il représente le gouvernement espagnol au sein des Conseils des ministres de l’UE: «Budget», «Transports», «Télécommunications» et «Environnement», depuis l’adhésion de l’Espagne en 1986 jusqu’à ce que le Parti socialiste espagnol quitte le gouvernement en 1996.
Il a publié plus d’une centaine d’articles sur des questions européennes, fait des conférences et donné des cours de doctorat sur la politique européenne et, récemment, il a publié un livre sur son expérience au sein de la convention.

Propos recueillis à Bruxelles par
notre correspondant permanent
Aziz BEN MARZOUQ
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(1) Forum euroméditerranéen des Instituts économiques (Réseau euroméditerranéen regroupant plus de 80 instituts économiques indépendants chargés de l’analyse économique du Processus de Barcelone).



source: www.leconomiste.com
 
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