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L'eau. conflit de demain.
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14 août 2006 19:55
Un long article (certes) mais qui peut donner un chemin de reflexion supplementaire à ceux que les problemes du moyen orient interessent. L'eau, peut etre plus que le pétrole, sera à terme le probleme de l'humanité en entier et de cette region en particulier.


Source:
André Dulait et François Thual
Centre de réflexion et d'étude sur les problèmes internationaux (CRESPI)
Juin 2000

[www.hcci.gouv.fr]



Depuis quelques années, le problème de l'eau occupe une place de plus en plus importante sur le devant de la scène du Moyen-Orient. Cette préoccupation croissante est censée répondre à deux problèmes majeurs partagés par l'ensemble des pays de cette région : une croissance démographique galopante et une insuffisance en terres cultivables pour assurer l'alimentation de cette population pour cause d'aridité. La problématique de l'eau recouvre deux caractéristiques :

- premièrement, un climat aride et désertique quasi généralisé qui fait de l'eau une ressource rare et prisée ;

- deuxièmement, une délimitation récente et conflictuelle des frontières entre les Etats.

L'ensemble de ces paramètres rend l'étude du problème de l'eau dans cette partie du monde complexe et sensible. Il y a actuellement trois conflits majeurs concernant le partage des eaux :

- dans le bassin nilotique cela concerne l'Egypte, le Soudan et l'Ethiopie ;

- en Mésopotamie, les protagonistes sont la Turquie, la Syrie et l'Irak ;

- dans le bassin du Jourdain, tous les Etats sont concernés : Israël, le Liban, la Syrie, la Jordanie et l'Autorité palestinienne.

La situation de la péninsule arabique est en revanche tout autre, puisque la déficience d'eau est palliée par des moyens techniques financés grâce à la manne pétrolière, ce qui pose des problèmes environnementaux.

Pourtant, cette situation conflictuelle qui paraît insoluble en l'état pourrait être le prétexte d'une concertation et d'une coopération entre ces Etats. En tant que bien global régional, cela pourrait faire naître une nouvelle coopération régionale, à l'instar de la CECA des années 50.


I) La vallée de la discorde



L'utilisation des eaux du Nil par l'Ethiopie, le Soudan et l'Egypte est devenue, en raison de l'explosion démographique et de l'urbanisation croissante, une question de survie pour ces sociétés. Le complexe de "downstair" (complexe de l'aval) est souvent, de façon plus ou moins légitime, à l'origine des nombreuses discordes opposant ces Etats sur ce sujet. La peur de voir réduire le volume d'eau du Nil, à cause de l'utilisation massive par les pays en amont du fleuve, est généralisée à l'ensemble des Etats du bassin nilotique. C'est pourquoi, les conflits hydrauliques de cette région font apparaître deux types d'acteurs :

- d'une part les pays "à la source" des deux Nils : pour le Nil Blanc cela concerne six pays d'Afrique centrale (Ouganda ; Tanzanie ; Kenya ; Congo-ex Zaïre ; Rwanda et Burundi), pour le Nil Bleu l'Ethiopie et l'Erythrée.

- d'autre part les pays en aval sur le fleuve : le Soudan et l'Egypte.

Un chiffre pour illustrer cette situation : l'Ethiopie est le principal pourvoyeur d'eau du Nil avec 86% d'eau du fleuve en provenance de ce pays alors qu'elle n'en utilise que 0,3%.
Cette situation déséquilibrée et le besoin vital de l'eau pour des pays comme le Soudan et l'Egypte font aisément comprendre l'inquiétude de ces derniers depuis qu'ils ont connaissance des projets hydrauliques de grande envergure programmés par l'Ethiopie. Cela se traduirait pour eux par une baisse importante du volume d'eau nilotique utilisable.

De nombreux désaccords entre les pays pour la gestion de l'eau viennent en partie de l'imprécis de son statut juridique. Si le Nil n'a pas le statut de fleuve international alors les pays riverains sont tenus de pratiquer une coopération en matière de partage des eaux. En revanche si le Nil devenait un fleuve international, la doctrine et la pratique laisseraient chacun des riverains libres de faire ce qu'il veut . Cette question est compliquée par le fait qu'il n'existe pas, contrairement à l'Europe, d'instance susceptible de trancher ce problème au niveau régional ou international. Par exemple, l'Egypte et le Soudan s'accordent pour considérer le Nil comme un fleuve non international. Ils ont donc conclu un accord bilatéral pour le partage des eaux en 1959, accord que refuse de reconnaître l'Ethiopie, forte de sa position de "pays source".

Dans ce contexte, tout projet de nouvelles irrigations ou de constructions de barrages, qui, à terme, modifierait le débit du Nil pour les pays riverains, peut-être ressenti comme une menace vitale par ces derniers.

Le tracé des frontières des pays de cette région, élaboré par les Anglais dans la première moitié du XXème siècle, prenait en considération le facteur hydraulique. Or, ces frontières traduisent d'autres réalités conflictuelles que celle du partage des eaux. C'est pourquoi, chaque projet remettant en question le partage des eaux du Nil devient un instrument au service de la géopolitique arabo-africaine déchirant deux parties : d'un côté les "pays sources" africains (à savoir l'Ethiopie, l'Erythrée et les six pays d'Afrique centrale) de l'autre les pays arabes en amont Egypte et Soudan (ce dernier étant lui-même partagé entre au sud une population africaine et au nord une population arabe). C'est ainsi qu'au problème hydraulique se greffe le problème éthnico-religieux ou du moins, est-il devenu un instrument de pression et un prétexte à conflit.

L'ensemble des pays du bassin nilotique connaît la même inquiétude, les mêmes ambitions et la même menace : avoir de l'eau, la garder pour soi et éviter que les autres ne la prennent. Ce schéma simpliste engendre pourtant des tensions dramatiques se greffant sur des conflits géopolitiques déjà anciens : la Vallée du Nil est bien la Vallée de la discorde.


II) La Mésopotamie



Considérée sous l'aspect géopolitique et hydrologique, la Mésopotamie regroupe deux pays, l'Irak et la Syrie. La caractéristique du bassin mésopotamien réside en l'origine non arabe de ses eaux fluviales qui prennent leur source dans les montagnes turques et iraniennes.

La Turquie est un pays très riche en eau et, à cet égard, il semble bien que l'objectif final d'Ankara soit de contraindre ses voisins arabes à une dépendance hydraulique, inaugurant ainsi dans cette région un nouveau type de pouvoir géopolitique : le pouvoir de l'eau. De son côté, l'Iran joue un rôle de moindre importance, puisque son "pouvoir hydraulique" concerne uniquement l'Irak, constituant toutefois un des pôles le plus conflictuel de la région.

L'Irak se considère comme une victime de ses voisins qui pompent son eau, réduisent sa capacité hydrologique et surtout aggravent les problèmes de qualité de l'eau à consommer en raison de l'augmentation de la salinisation. Ses boucs émissaires sont la Syrie qui a construit des barrages en amont sur le Tigre et sur l'Euphrate, ainsi que la Turquie et ses immenses projets de mise en valeur de l'Anatolie Orientale.

La question du Tigre et de l'Euphrate est sur fond de droit international concernant le statut de ces deux fleuves. La discorde porte sur deux points : le statut international ou non des fleuves (qui oppose la Turquie d'une part à la Syrie et l'Irak d'autre part) et l'unité ou la dissociation du Tigre et de l'Euphrate (l'Irak et la Syrie s'affrontent sur cette distinction qui implique les prérogatives des pays sur chaque fleuve).

La situation géographique de l'Irak lui donne une position d'ultra vulnérabilité puisqu'il est encerclé par des pays (Turquie, Syrie, Iran) capables de lui couper son approvisionnement en eau. C'est ainsi que la question de l'eau est dans la politique extérieure de Bagdad au coeur de tensions incessantes. L'unique point, sur lequel Bagdad peut voir en la Turquie un allié, est la question kurde, et en particulier en ce qui concerne une politique des ressources en eau écartant une possible autonomie hydraulique d'un susceptible Kurdistan libre.

Si la Syrie se considère comme "victime" de la dépendance imposée par les Turcs, elle ne demeure pas moins "rétentrice" d'eau vis-à-vis de l'Irak. En effet, bien que la majorité des cours qui traversent la Syrie prennent leur source en Turquie et soient donc susceptibles d'être contrôlés par Ankara, Damas a aménagé le cours supérieur de l'Euphrate en créant avec le barrage Taqba une importante retenue d'eau préjudiciable à l'Irak. Cependant ces aménagements devraient permettre à la Syrie d'atteindre la suffisance alimentaire. Le grand problème de l'eau aujourd'hui pour la Syrie n'est pas seulement celui de son aménagement agricole mais surtout celui de la fourniture aux grandes villes et en particulier Damas. Par sa position géographique, la Syrie se retrouve également impliquée dans le conflit concernant l'eau du bassin du Jourdain. Cependant, pour la Syrie la question du Golan n'est pas directement liée à l'approvisionnement, mais elle est plus fondamentalement une question géopolitique qui s'alimente du nationalisme syrien plus que des projets hydrologiques.

Aussi bien pour la Turquie et la Syrie, que pour l'ensemble des pays du bassin du Jourdain, la question de l'eau est un exemple direct de l'instrumentalisation des facteurs géographiques au service de préoccupations géopolitiques.


III) La pénurie irréversible du Proche-Orient


Il faut remonter au début du siècle (avec le partage de l'empire ottoman) pour bien saisir la complexité et la sensibilité du problème des frontières et corollairement de celui de l'eau dans cette partie du monde. En 1948, la question des eaux du Jourdain et de ses affluents allait devenir la question centrale après l'échec du plan de partage de la Palestine par l'ONU, la création de l'Etat d'Israël et la guerre qui a suivi. La situation est d'autant plus conflictuelle que le capital eau des Etats de cette région est très inégal. Si le Liban peut être considéré comme un pays "heureux" en matière de richesse hydraulique, la situation de la Jordanie est (à proprement parler) dramatique. Pays totalement enclavé, elle est condamnée à une dépendance hydraulique vis-à-vis d'Israël, les autres possibilités d'approvisionnement en eau (Turquie, Arabie Saoudite) étant beaucoup trop coûteuses.

Au même titre que la question de l'eau était fondamentale dans le projet sioniste, la politique "d'impérialisme" hydrologique menée par les Israélites est au coeur des relations extérieures de l'Etat Hébreux, aussi bien diplomatiques que belligérantes. L'échec du plan de partage de la Palestine prévu par les britanniques et l'ONU, en 1947, s'explique en partie par l'attribution à Israël d'une zone très pauvre en eau (l'intégralité du bassin du Jourdain étant sous contrôle palestinien). Pour apprécier à sa juste valeur l'importance accordée par Israël à la question de l'eau dans la politique extérieure, il est intéressant de relever qu'avant la guerre de 1967, 77% du Bassin du Jourdain étaient contrôlés par les pays arabes voisins, alors qu'après avoir occupé la Cisjordanie, Israël contrôlait la rive ouest, et pratiquement les sources du Jourdain, ainsi que le triangle de Yarrmouk ; l'occupation du Sinaï pouvant aussi se révéler prometteuse en ressources d'eau souterraine.

Bref, à la suite de la guerre des 6 jours, 40% de l'eau d'Israël viennent de territoires occupés et l'eau est déclarée par l'Etat d'Israël "ressource stratégique sous contrôle militaire". Certes, il serait réducteur de ramener la politique étrangère israélienne à la seule question de l'eau, mais il est indéniable que l'eau est un enjeu de politique intérieure et un instrument de la politique extérieure.

Comme dans tout conflit où une partie a le dessus sur l'autre, si l'eau est un instrument de puissance pour Israël, elle est principalement pour les Palestiniens un facteur d'impuissance. C'est ainsi que le morcellement du territoire de l'autorité palestinienne (prévu par le traité d'Oslo) pose la question de la viabilité d'un futur Etat palestinien, tant dans la réalité celui-ci serait dépendant hydrologiquement et énergiquement dépendant d'Israël.

L'eau est bien au coeur du projet israélien depuis toujours et fait l'objet d'une guerre secrète entre les Palestiniens, les Libanais, les Syriens et les Israéliens.


IV) La péninsule arabique


Le fait marquant des pays de la péninsule arabique par rapport à la question de l'eau est l'absence de tensions géopolitiques dues à des conflits fluviaux en raison même de la configuration géographique. Cependant, le climat désertique et l'explosion démographique de cette région (en 50 ans, la population a quintuplé) donne au problème de l'eau une résonance toute particulière. La situation des pays de cette région (Arabie Saoudite, Oman, Qatar, Bahreïn, Emirats Arabes Uni, Koweït et Yemen) est assez uniforme et la gestion de l'eau est assez similaire. Les techniques pour se procurer de l'eau sont de quatre sortes : le dessalement, l'eau en surface (mais qui est confrontée à l'évaporation), le recyclage des eaux usées et l'utilisation des nappes phréatiques. Néanmoins, ces techniques ne sont pas sans conséquences.

Premièrement, elles sont excessivement coûteuses, ce qui a pour effet d'accroître le caractère spéculatif de l'eau et donne une position privilégiée, donc de puissance, aux pays pouvant s'offrir cet or bleu.

Deuxièmement, l'utilisation des aquifères fossiles à laquelle s'adonnent de manière abondante certains pays (comme l'Arabie Saoudite) a des conséquences sur la stabilité géologique des sols des espaces souterrains. Si la plupart de ces conséquences sont encore inconnues, on sait néanmoins que l'eau fossile ne se renouvelle pas et qu'elle est facteur d'une salinisation importante des sols et donc d'une réduction des sols cultivables.

Dans cette région, si l'eau a été un facteur économique considérable de transformation de ces sociétés, elle n'a pas été (à la différence d'autres parties du monde arabe du Moyen-Orient) un facteur d'augmentation de tensions ou de conflits entre les pays de la péninsule arabique.


Conclusion


Le problème de l'eau au Moyen-Orient n'est ni un mythe, ni un phénomène nouveau : il est bien réel et cette préoccupation a toujours existé. En revanche, l'accroissement démographique, l'urbanisation croissant et les conséquences "sismiques" de l'implantation de l'Etat d'Israël ont donné à cet élément naturel vital une forme d'instrument politique aussi bien intérieure qu'extérieure de premier ordre, bien que souvent peu avoué. La solution de ce problème structurel ne peut s'imaginer que sous la forme d'une coopération régionale. Il est cependant bien utopique de penser cette coopération dans le contexte conflictuel actuel. Pourtant, l'Europe traumatisée d'après-guerre a réussi une coopération régionale sur des matières premières avec la CECA. Peut-on imaginer une comparaison de cette réussite historique avec le Moyen-Orient et le problème de l'eau ? C'est peut-être à ce niveau que l'Europe et les Etats-Unis ont un rôle à jouer en offrant les possibilités de mise en oeuvre des mécanismes de coopération. Le besoin de paix au Moyen-Orient est une question d'ordre international tant cette région est et restera pour longtemps le coeur énergétique et donc stratégique de la planète.
 
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