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Israël-Palestine : une passion française
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13 octobre 2004 08:49
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« Israël-Palestine : une passion française », les bonnes feuilles d’un essai de Denis Sieffert



Quatre ans après le début de la deuxième Intifada, le conflit israélo-palestinien se heurte peut-être plus que jamais à l’indéfinition de ses causes. Nous publions ici un extrait de l’essai que Denis Sieffert consacre au sujet et à son caractère passionnel au sein de la société française.


En France, le débat sur le caractère colonial du sionisme a resurgi en 1967 avec un article retentissant de Maxime Rodinson, publié dans les Temps modernes (1), deux semaines avant que n’éclate la guerre des Six-Jours. On en extraira cette phrase à la fois prophétique et terrible : « [On n’arrivera pas à la paix] en disant aux Arabes qu’ils ont le devoir d’applaudir leurs conquérants parce que ceux-ci sont européens [...], parce qu’ils sont "développés", parce qu’ils sont révolutionnaires ou socialistes, encore moins parce qu’ils sont tout simplement juifs. » En quelques mots, Maxime Rodinson venait d’énumérer toutes les objections, et à peu près dans l’ordre de l’histoire, qui ont servi à nier la nature coloniale de l’entreprise sioniste. Presque quarante ans plus tard, les mêmes arguties tentent toujours de faire barrage à l’évidence. Mais en dépit de toutes les dénégations, il n’est pas très difficile de démontrer la part coloniale du sionisme. Et, a fortiori, si l’on ose dire, que le conflit israélo-palestinien est un conflit de type colonial. Reconnu ou nié, avoué ou refoulé, ce caractère colonial trouble en permanence le regard que portent la France et les Français sur cette région du monde. Le conflit israélo-palestinien ne cesse de les renvoyer à leur propre histoire. D’abord parce que la France, grande puissance de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, essuya en Palestine l’une de ses plus grandes désillusions. C’est là, pendant la Première Guerre mondiale, que s’inscrit le début du déclin de son empire. Ensuite, parce que la présence française dans le Maghreb, les guerres qu’elle y mène pour se maintenir, notamment bien sûr en Algérie, n’ont cessé de peser sur sa diplomatie au Proche-Orient, et de donner à notre société une sensibilité particulière à ce conflit. Cette sensibilité s’est manifestée bien au-delà de la fin de la guerre d’Algérie jusque dans l’héritage complexe qu’en ont retiré aussi bien les Français d’origine maghrébine que les enfants des rapatriés d’Algérie, juifs ou non juifs. Sous diverses formes, la question coloniale ne cesse d’agir sur notre perception du conflit israélo-palestinien, soit en décuplant notre émotivité, soit en y mêlant des réminiscences et parfois des ressentiments aiguisés par l’impression de revivre des situations déjà vécues.

[...] Affirmer le caractère colonial du conflit ne signifie nullement en gommer les évidentes spécificités. La « métropole » israélienne est jeune, et elle fut, jusqu’au conseil national palestinien d’Alger, en novembre 1988 ­ lorsque, pour la première fois officiellement, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) a reconnu l’existence d’Israël ­ elle-même contestée dans sa légitimité. La métropole (nous insistons à dessein sur ce mot) et ses colonies vivent dans une promiscuité, et un entrelacs territorial, qui rend moins évident le rapport colonial. Enfin, et surtout, l’idéologie sioniste vit la conquête territoriale comme l’accomplissement de la promesse divine et la reconnaissance du fait colonial suppose un renoncement idéologique, et sans aucun doute l’ouverture d’un conflit interne. Pour autant, et même si l’on peut admettre que ces trois spécificités fragilisent la position de la « puissance coloniale », il n’en demeure pas moins vrai que, du point de vue du droit international, nous sommes en présence de l’occupation illégitime d’un territoire par une armée étrangère, et d’une colonisation de peuplement. On peut cependant comprendre que ces spécificités inquiètent Israël et n’aident pas les Israéliens à reconnaître la nature de leur relation avec les Palestiniens. Celle-ci n’en est pas moins une relation coloniale. Même s’il n’y a pas entre Israël et les territoires palestiniens la Méditerranée comme entre la France et ce qui était jadis l’Algérie française. Nous disons cela pour prévenir des arguments connus qui visent à soustraire Israël à ses responsabilités. Nous le disons aussi pour échapper, autant que faire se peut, à une fausse polémique. Affirmer le caractère colonial du conflit, ce n’est pas investir Israël de toutes les culpabilités. C’est d’abord et avant tout replacer le conflit dans son champ politique. C’est donc tracer la voie pour une issue.

Mais c’est aussi admettre que les deux parties à ce conflit ne sont pas investies de responsabilités équivalentes. Depuis 1967, le fait colonial réside principalement dans l’occupation par Israël des territoires palestiniens de Cisjordanie, de Gaza et de Jérusalem-Est. Il se manifeste aussi par le mode de résistance du colonisé. La violence terroriste, dont la propagande israélienne fait un argument pour réfuter le caractère colonial du conflit, est précisément une sorte d’invariant commun à toutes les situations coloniales. Les organisations juives de la Palestine mandataire opposèrent les mêmes méthodes à la puissance britannique. Tout comme le terrorisme fut aussi l’arme du Front de libération nationale (FLN) algérien contre le colonialisme français. L’argument selon lequel la violence terroriste devrait cesser comme un préalable à toute négociation revient évidemment à inverser la relation de cause à effet, et à tenir à peu de choses près la révolte pour la cause de l’oppression. Et c’est une mystification classique. Mais il existe à nos yeux une autre raison constructive pour reconnaître le fait colonial : il n’est pas spécifiquement « sioniste », même si le colonialisme sioniste possède des spécificités. Les Grecs, les Romains, les Ottomans et les Arabes, puis la France et l’Angleterre, et, avant elles, l’Espagne, le Portugal ou la Hollande, et d’autres, ont colonisé. En rentrant dans le champ politique, on rentre aussi dans une perspective historique qui devrait apaiser certaines passions. Évidemment, cette banalisation s’accommode mal d’une revendication de « singularité absolue ». Trop souvent l’argumentation sioniste oscille entre deux tentations : tantôt, il s’agit de protester du trop d’attention (évidemment hostile) dont Israël serait l’objet ; tantôt, c’est la singularité qui est invoquée. Une certaine banalisation qui range Israël dans la communauté internationale constitue aussi un antidote contre les confusions et les dérives antisémites. Mais cela lui crée des obligations de respect du droit auxquelles Israël ne parvient pas à se résoudre. Comment vouloir à la fois être parfaitement intégré au concert des nations et refuser d’en appliquer les règles au point, par exemple, de refuser de définir ses propres frontières ?

D’un point de vue politique, Israël doit résoudre un problème de même nature que celui que la France dut résoudre en 1962 en Algérie. Vue sous cet angle, la décolonisation doit pouvoir s’opérer sans remise en cause identitaire, dans un premier temps au moins. Pour l’immense majorité des Israéliens qui acceptent une lecture profane de l’histoire. Loin donc d’accabler Israël, de culpabiliser les juifs, la reconnaissance du fait colonial répond à la simple revendication de beaucoup d’Israéliens qui veulent que leur État soit reconnu par la communauté internationale comme semblable à tous les autres. Cette démarche n’est pas une démarche hostile, même si elle procède évidemment du constat que ce sont les gouvernements israéliens qui détiennent, dans une très large mesure, la clé du conflit. Qui oserait sérieusement prétendre le contraire, à moins de vouloir brouiller les pistes et obstruer pour longtemps les issues ?

[...] Évidemment, l’histoire n’est pas vécue ainsi par ses acteurs sionistes, empreints de culture sociale. Dans l’enfermement de leur propre épopée, puis plus tard de leur tragédie, les sionistes ne peuvent s’imaginer en colons. Les images ne collent pas. C’est Maxime Rodinson qui a de nouveau les mots les plus justes pour décrire ce décalage entre l’imagerie coloniale et la réalité de la conquête sioniste : « Le colonisateur, c’est la brute militaire ou civile, jouant avec arrogance de sa badine, se pavanant sur un pousse tiré par des coolies exténués, ou encore, abruti et à demi-ivre, violant des petites filles noires (2). » Comment, se demande Rodinson, identifier ce personnage veule au « kibboutznik au visage pur, éclairé d’idéal, travaillant de ses mains la terre où passèrent Salomon, Isaïe et Jésus, ayant surmonté et dépassé les tares de ses ancêtres avilis par le ghetto ? » (3) L’image du juif nouveau, bravant un climat rude et domestiquant une terre indocile, n’est pas inexacte, même si l’on fait la part d’une mythologie qui n’est pas sans rappeler le modèle stalinien. Il y a évidemment du Stakhanov dans ce juif-là. Des photos de la fin des années 1930 montrent un agriculteur blond, au torse musclé, fauchant les blés, ou un ouvrier tout aussi blanc et robuste, piochant le charbon. Ou encore des visages radieux contemplant les lointains. Mais ce que la propagande dissimule, c’est que cette image ne peut se reconstruire qu’après l’élimination du fellah. L’élimination fut le plus souvent économique et sociale ; elle fut parfois physique. Et les groupes juifs qui répandent la terreur dans les villages arabes entre 1946 et 1948, puis les commandos de l’armée, dont la funeste unité 101 du jeune général Ariel Sharon, finissent bien par ressembler trait pour trait, hélas, au colon de l’imagerie évoquée par Rodinson. Le « barbare » fait place nette pour le kibboutznik. Le premier « nettoie » le terrain, pour que le second puisse le cultiver dans la fausse ignorance de ce qui s’est passé. Dans le déni fondateur d’Israël, deux personnages doivent disparaître : l’Arabe palestinien, bien sûr, mais aussi celui qui lui règle son compte. Celui-là est acteur intermittent, invité à s’effacer après avoir accompli son forfait. C’est le drame d’Ariel Sharon que d’incarner jusqu’à la caricature cette face sombre du sionisme. C’est aussi pour cela que le vieux général, devenu Premier ministre en 2001, est surinvesti par les propalestiniens comme la figure même du sionisme. Ainsi le sionisme n’a pas seulement deux fonctions ­ l’une de libération nationale, l’autre coloniale ­, il a aussi deux visages, deux types de comportement, deux « métiers ». L’un construit, l’autre détruit. Et ce n’est évidemment pas la figure du constructeur que retient l’imaginaire arabe. Du moins, cette dualité fonctionnait-elle avant 1967. Mais la conquête de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie et de Gaza n’a pas seulement changé les données du problème politique. Elle a aussi confronté Israël à l’image de ce que les Israéliens ne voulaient pas voir d’eux-mêmes. La victoire de la droite aux élections de mai 1977 a fini d’imposer aux yeux du monde celui qu’il ne fallait pas montrer.

©LaDécouverte

A lire sur le net :

Un article de Maxime Rodinson www.monde-diplomatique.fr/2004/07/R...

Un article de Dominique Vidal www.monde-diplomatique.fr/2002/12/V...]


Israël-Palestine : une passion française, Denis Sieffert, La Découverte, 275 p., 19 euros. À paraître le 14 octobre.

(1) Israël, fait colonial ?, in les Temps modernes, n° 253 bis, mai 1967.

(2) Peuple juif ou problème juif, Maxime Rodinson, La Découverte, p. 162, 336 p., 11,40 euros.

(3) Ibid, p. 163.


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