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« Bon » islam, « mauvais » islam
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28 novembre 2005 06:51
Politique et religieux

« Bon » islam, « mauvais » islam

Par Olivier Roy

Directeur de recherche au CNRS, a publié notamment L’Islam mondialisé et Les Illusions du 11-Septembre : le débat stratégique face au terrorisme, tous deux parus au Seuil en 2002.



C’est largement dans une vision culturaliste et essentialiste que s’inscrit le débat sur l’islam (que dit ce dernier, que dit le Coran sur... le djihad, la femme, la laïcité, la démocratie, la politique...). Cette vision est partagée à la fois par les fondamentalistes musulmans et par les « orientalistes » (au sens qu’Edward W. Said donnait à ce terme), au premier rang desquels on trouve Bernard Lewis, dont le livre Le langage politique de l’islam, par exemple, suppose un rapport immuable entre ce que dit le Coran, la vie politique dans les sociétés musulmanes et le comportement en général des musulmans à l’égard du politique.

Or nombre d’auteurs, soucieux de lutter contre l’islamophobie, reprennent en fait la même matrice intellectuelle (l’islam dit ceci ou cela) pour montrer qu’il y a un « bon islam » ; mais remplacer le « choc des civilisations » par le « dialogue » suppose que dans le fond on conserve la même grille d’analyse. Pour sortir de cet enfermement et de cet effet de miroir entre culturalisme et fondamentalisme, qui ne peut conduire qu’à la stérilité intellectuelle, il y a deux approches complémentaires : revenir aux textes et aux principes fondateurs de l’islam, c’est-à-dire défendre une théologie critique, appuyée sur les sciences modernes (linguistique, histoire, sociologie) ; ou bien rétablir la dimension politique des mouvements islamistes, y compris terroristes, au-delà des justifications religieuses qu’ils se donnent.

La première démarche est illustrée par les livres de Mohamed Chérif Ferjani et d’Alain Roussillon (1). Ferjani travaille à trois niveaux : d’abord, il revient sur le « vocabulaire politique de l’islam ». Quel est le rapport et le sens que les grands « concepts » se trouvant au cœur de l’islam politique entretiennent avec le Coran (djihad, hukm, khalifat, sharia, dawla...) ? Et ici une première surprise : il n’y a pas de rapport entre l’occurrence de ces mots dans le Coran et l’usage contemporain qui en est fait. Dawla n’a jamais le sens d’Etat dans le Coran. En second lieu, Ferjani s’interroge sur la pratique politique réelle des successeurs du Prophète et des pouvoirs musulmans jusqu’à nos jours. Or celle-ci a toujours été parfaitement politique et fort peu religieuse. Enfin, Ferjani se demande d’où vient cette soudaine insistance des acteurs contemporains sur la charia, le djihad, l’Etat islamique, etc. Il s’agit en fait d’une idéologisation du politique dans le monde musulman contemporain sous l’influence de l’hégémonie occidentale et en réaction à celle-ci (il est clair que les écrits de l’Egyptien Hassan Al-Banna et de l’Indien Abul ala Maududi, fondateurs de l’islamisme politique, ont été profondément marqués par les idéologies politiques de l’entre-deux-guerres, le marxisme comme le fascisme). Bref, l’imaginaire politique de l’islam n’est pas forcément celui du Coran.

Alain Roussillon choisit justement de présenter l’état des lieux de la théologie musulmane critique, non pas simplement en donnant un aperçu des « nouveaux intellectuels musulmans » qui se sont engagés dans cette voie, et qui assument le fait d’être à la fois des croyants et des penseurs critiques. Il expose également les différentes problématiques de la reprise d’une théologie critique. De formation non traditionnelle (en général scientifique), vivant souvent à la périphérie du monde arabe historique, ces intellectuels rompent délibérément avec l’univers mental des oulémas, mais aussi avec la tradition orientaliste occidentale. En évoquant Ebrahim Moosa, Nasr Abu Zayd, Soroush, Hassan Hanafi et bien d’autres, Roussillon montre l’éventail des problématiques mises en œuvre pour revisiter les savoirs : de l’utopie de l’islamisation des savoirs et de la quête d’une authenticité retrouvée, en posant l’Occident comme un objet d’étude (« l’occidentalisme »), à une remise en cause du dogme et une déconstruction de la scolastique traditionnelle.

Guy Spitaels (2), quant à lui, montre comment il faut comprendre Al-Qaida en resituant la violence terroriste dans sa dimension proprement politique. Il brosse un panorama des mouvements radicaux actuels en insistant chaque fois sur leur insertion dans la lignée des mouvements anti-colonialistes et anti-impérialistes et dans les conflits locaux. De la Mauritanie à l’Indonésie en passant par l’Algérie, le Soudan, la Turquie et l’Iran, mais aussi la Tchétchénie, l’Irak, la Palestine. Ce retour à une analyse politique montre des généalogies et des histoires particulières, loin de toute vision métaphysique ou culturaliste de la violence. Un ouvrage de synthèse, accessible et sans pathos.

(1) Mohamed Chérif Ferjani, Le Politique et le religieux dans le champ islamique, Fayard, Paris, 2005, 354 pages, 20 euros. Alain Roussillon, La Pensée islamique contemporaine. Acteurs et enjeux, Téraèdre, Paris, 2005, 190 pages, 15,90 euros.

(2) Guy Spitaels, La Triple Insurrection islamique, coédition Fayard - Luc Pire, Bruxelles, Paris, 2005, 526 pages, 24 euros.



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