Menu
Connexion Yabiladies Ramadan Radio Forum News
Les gymnastiques du bien-être (Nouvel Obs)
28 juin 2005 18:50
Les gymnastiques du bien-être
Semaine du jeudi 23 juin 2005 - n°2120 - Dossier

SOMMAIRE

Les gymnastiques du bien-être
En douceur et profondeur
La fête des hormones
Aux sources de la créativité
Le souffle maîtrisé
Lire
Le corps est notre meilleur médecin
La revanche de Reich


Bien dans son corps, bien dans sa vie
Les gymnastiques du bien-être

Biodanza, tantra du coeur, sophrologie ludique, massage holotropique... Sous ce foisonnement où le meilleur côtoie le plus farfelu se cache une nouvelle approche de la santé qui entend combattre le mal de vivre en réconciliant l’esprit et le corps. Mode post-new age ou révolution thérapeutique? Quelles sont les techniques qui marchent? Qu’en disent les scientifiques? Une enquête d’Ursula Gauthier
L’hiver, des séances hebdomadaires sur le divan. L’été, des vacances au Club Med. La plongée dans l’inconscient et les stages de plongée, c’était forcément la solution. «A force de me bouger la tête et le corps, se répétait Laurence, quelque chose va bien finir par bouger dans ma vie!» Elle allait reprendre possession d’elle-même, tenir fermement la barre de son existence et cesser de s’enfoncer dans le surmenage, coincée entre les exigences de son métier d’ingénieur et les besoins de ses deux enfants qu’elle assume seule depuis son divorce. Elle allait arrêter de prendre des antidépresseurs et des somnifères au long cours. Mais chaque été le cocktail magique - sport, convivialité, nature - se révélait décevant. La détente estivale s’évanouissait bien vite et Laurence retournait tristement tracer le lourd sillon de sa psychanalyse.
«En fait, j’étais à côté de la plaque, analyse-t-elle avec le recul. Je voulais bouger, mais je ne faisais pas le geste juste: j’agitais des mots avec mon psy, et des muscles avec les profs d’aérobic. Ce n’était pas comme ça que j’allais réveiller un mouvement intime, un potentiel, une prise de conscience. Il me fallait des outils, des approches différentes.» Laurence a longtemps hésité. Mais puisque ni la parole ni le fitness n’ouvraient les portes du changement, elle a opéré un grand virage. Cap sur le continent du body-mind, cette galaxie de pratiques qui visent le lien entre le corps et l’esprit. Leur credo: le corps ne ment pas; notre mal-être d’animaux malades du stress découle du divorce entre le physique et le psychique, caractéristique de notre civilisation. D’un côté un culte, historiquement sans précédent, voué au corps, à sa beauté, sa jeunesse, sa santé, voire son éternité. De l’autre, la certitude que notre moi réel, distinct de notre corps, est à chercher dans notre pensée, nos convictions, nos choix conscients. Entre les deux, une béance où se perd notre harmonie intime, où s’évanouit notre vibration émotionnelle. Cet attelage bancal d’un corps idiot et d’un cerveau désincarné est le vrai responsable du nouveau malaise dans la civilisation.
Laurence a fini par troquer le monologue sur le divan contre des séances de gestalt-thérapie en groupe et par remplacer les stages intensifs de sport par l’initiation à des disciplines plus soft, comme la méthode Ehrenfried, une gymnastique qui se veut «holistique», c’est-à-dire s’adressant à l’être dans sa globalité. Rapidement, elle a pu arrêter les médicaments sans sombrer dans la déprime. L’été dernier, elle s’est inscrite à deux stages: «voix sans tabou» (une méthode de chant thérapeutique) et massage Tanaka (une synthèse de danse et de toucher importée du Japon). Deux semaines très studieuses à s’exercer six heures par jour, par petits groupes, dans une atmosphère curieuse, entre colo et retraite.
Le verdict? «Ça apporte beaucoup de bien-être, répond Laurence calmement. Quand on travaille la respiration, la présence à soi, l’attention portée au ressenti corporel, on entrevoit comment on peut être mieux dans sa vie. Même si on ne pratique pas tous les jours, la façon d’être change en profondeur.» Par quel mécanisme? «On apprend à faire vivre et communiquer à l’intérieur de soi tous les niveaux – intellectuel, émotionnel, corporel. Ça ouvre un chemin: plus on travaille sur soi, plus on a envie d’en savoir plus…» Un peu comme dans une psychanalyse, en somme? «C’est moins abstrait et plus dans la présence. Il s’agit d’être plus proche de soi pour être plus proche des autres.»
Ils sont des dizaines de milliers, comme Laurence, à se lancer dans les chemins du body-mind, à consacrer des week-ends aux stages de «bien-être et découverte de soi», à remplir les salles où se pratiquent les gyms douces, à s’inscrire dans des centres de vacances d’un genre particulier qui proposent un invraisemblable catalogue de méthodes aux noms bigarrés: biodanza, tantra du cœur, sophrologie ludique, tango relationnel, massage holotropique, voix biodynamique, fengshui vital, théâtre du je, réflexologie et autres clown-thérapies… Sous ce foisonnement où le meilleur côtoie le plus farfelu, où ne manquent pas les pseudo-méthodes délivrées par des pseudo-maîtres, on reconnaît aisément les austères matrices venues d’Orient: ces disciplines millénaires aux gestuelles superbes – zen, yoga, qigong, tai-chi – sont d’ailleurs elles aussi emportées par un engouement qui déborde désormais largement le cercle des premiers initiés. La vague fait les choux gras de l’édition: le secteur bien-être/développement personnel enregistre depuis des années des augmentations fulgurantes. Elle fait les beaux jours des Salons (Rentrez zen!, Vivre autrement, Bien-être et Médecines douces, Marjolaine), dont le succès ne se dément pas. Elle remplit les salles d’attente des acupuncteurs, des praticiens de massage chinois ou ayurvédique. Elle ouvre un boulevard aux officines de formation permanente.
«Les nouveaux métiers médico-psycho-sociaux – relation d’aide, coaching, remise en forme – tout comme les plus classiques, enseignants, professions médicales et psys de toutes obédiences, sont très demandeurs de techniques qui leur permettent d’apporter une réponse efficace au mal-être de leurs clients, élèves ou patients», explique Jean-Michel Pichery. Le centre de formation professionnelle Artec, qu’il a fondé en 1982, le plus important de France, accueille 2000 personnes par an désireuses de s’initier à ces précieuses techniques de relaxation, massages, art-thérapie, développement personnel. «Afin d’éviter le phénomène de "gourouïsation", fréquent dans ces secteurs, nos formateurs ne sont pas les inventeurs des méthodes qu’ils enseignent, précise Jean-Michel Pichery. Ils se contentent de retransmettre la leçon de traditions reconnues.» Reconnues, mais pas obligatoirement très connues: c’est ainsi que, depuis l’année dernière, Artec propose une initiation, étonnante, à la danse soufie des derviches tourneurs, enseignée avec un luxe d’exigence et de rigueur par un danseur iranien professionnel.
S’agit-il d’un remake de la grande vague hippie, née dans les années 1960 sous le soleil de Californie de la rencontre entre les mystiques orientales et les disciples rebelles de Freud? Le plus radical d’entre ces derniers, Wilhelm Reich, s’était fait le prophète de la libération du corps et de ses potentialités, contestant ouvertement le bien-fondé de la «cure par la parole». Dans son sillage, un enthousiasme quelque peu délirant avait accueilli l’essor des premières thérapies psychocorporelles – cri primal, illumination intensive, massage californien, rebirth et autres méditations transcendantales. Dans l’atmosphère survoltée, libertaire et new age des seventies, cette irruption de la dimension corporelle au sein de la psychologie avait jeté pêle-mêle zazen, psychodrame et libération sexuelle dans des synthèses aussi pittoresques que douteuses.
Après le reflux des années 1980-1990, une nouvelle ère de métissage semble s’être ouverte. L’héritage de Reich est de nouveau revendiqué. Mais le vocabulaire a bien changé. Fini la force subversive de l’instinct brut, des bienfaits de l’orgasme ou le miracle du toucher. Fini l’illusion du satori-minute, la croyance dans le génie de la spontanéité, la supériorité de l’irrationnel sur l’intellect. La société de la performance et du high-tech ne peut parler le langage obsolète du flower power: place à l’exigence d’effort, de «travail sur soi», voire de scientificité. Sans aller jusqu’à verser dans l’ascèse, nous comprenons mieux aujour-d’hui l’insistance des écoles traditionnelles sur la discipline, la volonté soutenue, l’assiduité. Mais la vraie nouveauté, c’est que ce revival s’appuie sur les recherches les plus pointues permises par le spectaculaire développement des techniques d’imagerie. Désormais, les neuroscientifiques voient en temps réel s’afficher sur leurs écrans l’image du cerveau accomplissant les tâches les plus diverses: de la dégustation d’un gâteau à la méditation tibétaine, en passant par le calcul mental, la vision d’images coquines, la lecture de Schopenhauer, la sensation d’un objet au creux de la main, l’imagination d’un accident terrible, ou le souvenir de la tante Adèle et de ses madeleines… C’est dans la mouvante architecture de nos synapses, dans l’étourdissant ballet de nos molécules messagères que les scientifiques appréhendent la matière de notre esprit.
Un tel bond des connaissances ne pouvait rester sans conséquence sur le front des thérapies. Mais ce n’est que depuis une dizaine d’années, grâce au travail pionnier d’un psychiatre et neuroscientifique américain, Bessel van der Kolk (interview p. 16), que la connexion corps-esprit a fait irruption dans le champ psychiatrique, bousculant les habitudes et les certitudes. Des études rigoureuses qu’il a été le premier à entreprendre ont prouvé l’existence d’une «mémoire somatique» des états psychiques: les blessures de l’âme restent inscrites dans le corps, même quand l’esprit croit les avoir «oubliées». C’est cette mémoire muette et obstinée qui explique la difficulté à surmonter les traumatismes, à maîtriser les angoisses ou à lutter contre la dépression. «Elle n’est que partiellement accessible à la pensée et à la cognition, explique van der Kolk. En revanche, les techniques de respiration, de concentration, de relaxation, les massages, les gestuelles rituelles ont une action bénéfique sur elle.» Plus que dans les rêves, c’est donc dans le corps, ou plutôt le corps-esprit, que van der Kolk et ses collègues voient la véritable «voie royale vers l’inconscient».
Francis en a fait l’expérience bouleversante. Le verbe haut, la posture théâtrale, ce consultant n’a rien d’une frêle violette émotive. Malgré son léger mépris pour tout le «saint-frusquin des babas: les chakras, les méridiens, et cette manie des "hugs" [embrassades] à l’américaine, censés régler tous les problèmes», il s’est glissé dans un groupe de massage énergétique «plein de nanas», alléché surtout par la perspective des travaux pratiques de massage réciproque. Après avoir écouté d’une oreille distraite la théorie des chakras – les nœuds énergétiques du corps, selon les Indiens –, il s’est offert comme cobaye à une jolie masseuse débutante: «A peine m’a-t-elle touché ce qu’ils appellent le "hara", ce point au-dessous du nombril censé être le creuset de l’énergie vitale, que je me suis senti très mal. J’ai dû partir, je me suis enfermé dans ma chambre et j’ai pleuré toute la matinée…» Malgré son impressionnante éloquence de psychosociologue rompu au maniement des concepts, Francis ne trouve pas de mots pour décrire ce qui s’est passé. Seule certitude: «J’ai compris que notre corps est notre maison, et en même temps que je n’habitais pas le mien. J’ai fait des années d’analyse, mais j’ai un angle mort, il faut que je l’investisse.» Désormais, avec la bénédiction de son psy, il va tous les dimanches faire du tai-chi et du qigong en plein air dans un parc. «Je sors de là avec une pêche! Pour nous, Occidentaux hypertrophiés du ciboulot, ça ne peut faire que du bien de faire descendre le logos de son piédestal.»
Attention, cependant, aux dérives qui guettent inévitablement des méthodes aux effets aussi spectaculaires! Dans un roman hilarant dédié «aux crédules, aux braves gens, aux stressés, aux déprimés, aux rondouillards, aux timides, aux traumatisés, aux névrosés, aux obsédés, aux allumés, aux battants, aux frimeurs, aux anonymes, aux ordinaires [je n’en cite que la moitié], à nous tous», Roger-Pol Droit (1) raconte l’ascension d’un gourou sans scrupules, inventeur de la «méthode totale»: vivement conseillé à tous ceux qui ont l’impression d’avoir trouvé le Graal de la connexion, la cohérence ultime de l’être, le Kohinor du body-mind. Il y a ceux qui, devant le premier charlatan venu, abdiquent leur exigence de liberté et d’autonomie, celle-là même qui les avait poussés à explorer les chemins de l’être. Il y a ceux qui ricochent à l’infini dans le kaléidoscope des méthodes toujours nouvelles. Enfermés dans le piège du «bouddhabuilding», comme dit joliment Bernard Leblanc-Halmos (2), ces addicts de l’engouement sont presque aussi paumés que les victimes des gourous. «Le but n’est ni de trouver "la" Voie ni de les collectionner toutes, explique ce formateur respecté. Mais de s’allouer, au plus près du vécu intime, un petit temps quotidien pour une discipline personnelle et créative - sportive, artistique, spirituelle...» La rencontre entre le corps et l’esprit est une entreprise modeste. Aujourd’hui comme hier, il s’agit de cultiver son jardin.

Ursula Gauthier
(1)«Votre vie sera parfaite», Odile Jacob, 2005, 21,40 euros.
(2)«L’Elan créateur», «les Apprentis sages», Editions L’Etre-Image; 05-53-51-66-28.


La méthode Feldenkrais
En douceur et profondeur

«Depuis que je pratique la méthode Feldenkrais, j’ai une autre perception de mon corps, j’ai moins mal aux articulations, et surtout je me sens plus sereine et détendue», déclare cette ancienne sportive qui a dû renoncer à la gymnastique classique, parce qu’elle aggravait ses douleurs. Considérée à tort comme élitiste et réservée à quelques happy few, cette technique qui tient compte du squelette, de la musculature, du système nerveux et de l’environnement s’avère souvent très efficace, car elle améliore l’être dans sa globalité. En douceur et profondeur.
C’est un physicien russe, Moshe Feldenkrais (né en 1904), qui l’élabore, à la suite d’un accident personnel que la médecine traditionnelle ne peut résoudre. Du judo, il tire une conception orientale du mouvement efficace et harmonieux, utilisant l’énergie minimale. Magique. Ce travail collectif, où chacun s’occupe de soi, se pratique allongé sur le sol, en état d’abandon. Chacun est invité à être attentif au moindre mouvement, à prendre conscience de chaque partie de son corps, des pieds au sommet du crâne. Effet d’apaisement rapide. Exit les problèmes de la vie courante et les pensées parasites. Bascules du bassin, torsions, déroulements de la colonne vertébrale: les exercices musculaires et articulaires, lents et progressifs, font respirer des zones habituellement peu sollicitées, induisant le calme. De même, l’ouverture des côtes et des omoplates libère le stress. On travaille d’abord la partie gauche, puis la droite, comparant l’empreinte et le poids du corps au sol, pour affiner les perceptions sensorielles. «C’est tout simplement génial, pas fatigant, jamais répétitif, quand on se relève après une heure de cours, on se sent dans une meilleure verticalité, avec des mouvements souples et plus harmonieux», affirme une élève.
< P>Nicole Faucquez

Liste des praticiens certifiés à l’Association Feldenkrais-France au 02-40-69-58-46 et [email protected]

Massages
La fête des hormones

Avec la vogue des spas, des techniques de massage sophistiquées, qui n’ont plus rien à voir avec le cabinet du kiné, touchent depuis peu le grand public: shiatsu japonais, ayurvédique indien, massage des méridiens chinois, massage thaï... Les méthodes proposées dans les centres de stages comme Exis-tence (1) ou Jardiner ses Possibles (2) sont plutôt axées sur la relation: massages réciproques, chacun donnant et recevant tour à tour (massage sensitif, massage biodynamique, massage-bonheur…) ou encore les automassages inspirés de la médecine chinoise. Ils visent tous à un éveil sensoriel, une prise de conscience euphorisante de la connexion corps-esprit. Attention, l’effet ne se limite pas à un soulagement mécanique des tensions musculaires. On connaît désormais le mécanisme endocrinien sous-jacent: dès que la peau est touchée, elle envoie un signal au cortex somato-sensoriel, une aire du cerveau spécialisée dans le traitement des sensations. Si la sensation est agréable, la sécrétion d’une hormone très spéciale appelée ocytocine est déclenchée: produite chez les mères qui allaitent, ainsi que dans l’orgasme, c’est l’hormone de l’amour et du plaisir. Son action sur la physiologie est remarquable: elle provoque un état de «relâchement biologique» caractérisé par le ralentissement du rythme cardiaque et de la respiration, la baisse de la tension artérielle, et même une action antalgique! Les stages body-mind n’en restent pas là, ils insistent tous sur la nécessité de terminer chaque massage par une «verbalisation du vécu sensoriel»: même une phrase simple comme «je me suis sentie bien» permet d’«intégrer» l’expérience sur le double plan du corps etde l’esprit.

(1) www.existence.fr
(2) www.jardiner-ses-possibles.org

Ursula Gauthier

Art-thérapie
Aux sources de la créativité

Les créations des génies, des enfants et des fous (extraordinaire Musée d’Art brut de Lausanne) le montrent de façon éclatante: le geste artistique jaillit du fond de l’être – et non pas de l’application de règles apprises. Pour la plupart d’entre nous, cette source intérieure, vivante et magique a cessé d’être accessible. Peur du ridicule, manque de confiance en son talent, diktats de la mode, rétrécissement de notre gestuelle… Ce sont tous ces «empêcheurs de s’exprimer en grand» qu’il faut secouer si l’on veut renouer avec l’enfant créateur enfoui en nous. Les cours d’art-thérapie commencent souvent par des exercices de «mobilisation énergétique»: se planter fermement sur ses jambes, respirer en ouvrant la cage thoracique, s’automasser du cuir chevelu aux chevilles, chantonner et bâiller, bâiller, bâiller… C’est le signal que la détente est suffisante et le corps-esprit connecté. On peut alors, sans quitter l’état contemplatif, s’installer devant le morceau de terre glaise et laisser ses doigts œuvrer sans viser le génie. Ou dessiner, de la main gauche, son paysage intérieur. Ou danser les yeux fermés, la main posée sur celle de son partenaire, en épousant son rythme et sa chorégraphie. Ou tenir un la jusqu’à épuisement du souffle, puis suivre les notes égrenées sur le piano jusqu’à la basse profonde ou le contre-ut vertigineux qu’on réussit à extraire de ses cordes vocales en s’aidant de la torsion de la nuque et de l’oscillation du corps… Il existe une infinité de techniques – photographie, collage, masques, mime, percussions… – pour un credo: il suffit de faire confiance aux capacités méconnues du corps pour renouer avec la créativité innée. Pour les amoureux des grandes traditions, l’Université Terre du Ciel (1) propose des stages plus exigeants: chant contemplatif, calligraphie arabe ou chinoise, danse sacrée de l’Inde.

(1) www.terre-du-ciel.fr; tél.: 03-85-60-40-30.

Ursula Gauthier



Yoga et qigong
Le souffle maîtrisé

A l’origine est le souffle. Toutes les traditions corps-esprit sont d’abord un travail sur la respiration. C’est vrai dans le yoga, le qigong, le vipassana tibétain. Plus près de nous, c’est également vrai chez les pères du désert, les soufis, les kabbalistes… L’humanité a très tôt pris conscience de la puissance du souffle maîtrisé. Les scientifiques en redécouvrent aujourd’hui les vertus. Essayez d’être anxieux tout en respirant profondément, lentement et régulièrement, c’est impossible. Plus efficace encore, la respiration yogique calme littéralement le système nerveux en favorisant les réactions parasympathiques. Résultat: le cœur ralentit, la pression sanguine baisse, la circulation et la digestion s’améliorent, le système immunitaire est renforcé. Ce n’est pas tout. La maîtrise du souffle va de pair avec un état de concentration dont les effets sont extraordinaires (1): les neuroscientifiques ont découvert par exemple que la simple focalisation de l’attention déplace l’activité cérébrale des émotions négatives vers les positives! Quand Matthieu Ricard intitule son livre «Plaidoyer pour le bonheur» (2), il sait de quoi il parle. Il est vrai qu’il y a consacré quelques milliers d’heures… Pour nous, qui ne sommes pas des athlètes de la méditation, la pratique du yoga (3) ou du qigong (4) procure une petite cure quotidienne d’attention: de quoi calmer notre éternelle agitation mentale – «mater l’esprit du singe», disent joliment les yogis –, percevoir la vie en soi plutôt que de l’imaginer là où l’herbe est plus verte.

(1) «L’Alchimie des émotions», par Tara Bennett-Goleman, Robert Laffont, 2002.
(2) NiL Editions, 2003.
(3) Union nationale de Yoga, 3, rue Aubriot, 75004 Paris; tél.: 01-42-78-06-27.
(4) Les Temps du Corps, 10, rue de l’Echiquier, 75010 Paris; tél.: 01-48-01-68-28.
Ursula Gauthier

Lire
Théorie
«Psychobiologie de la guérison», par Ernest Lawrence Rossi (le Souffle d’Or, 2002).
«Le Corps quantique», par le docteur Deepak Chopra (InterEditions, 2002).
«La Psychosomatique», par Giancarlo Trombini et Franco Baldoni (In Press, 2005).
Pratique
«Corps/mental: le bon tandem», par Sharon Promislow (le Souffle d’Or, 2001).
«La Médit-action», par Carole Serrat et Laurent Stopnicki (Robert Laffont, 2004).
«Mouvements d’éveil corporel», par Marie-Lise Labonté (Editions de l’Homme, 2004).
«Le Secret des auto-massages chinois», par Sandra et Olivier Stettler (Jouvence, 2003).

« Le qigong ou le yoga marchent mieux que les anxiolytiques »
Le corps est notre meilleur médecin

Au départ, ce neuropsychiatre tenait les techniques psychosomatiques pour farfelues. Et puis il a vérifié qu’elles étaient efficaces. Et a entrepris de comprendre pourquoi...
Dans le gros labo rattaché au Trauma Center de Boston, les chercheurs du professeur van der Kolk étudient, à l’aide des équipements les plus pointus, les effets sur l’organisme de ce qu’on appelle l’«état de stress posttraumatique» (ESPT). A la fin des années 1970, van der Kolk a bataillé pour que le syndrome de l’ESPT, dont il voyait les ravages sur les soldats au retour du Vietnam, soit inscrit dans le tableau des diagnostics psychiatriques de façon à garantir des soins aux anciens combattants. Depuis, il est devenu une sommité mondiale en neuro-sciences. Ce mandarin, auteur d’une centaine d’articles de référence, a déclaré que la pratique de techniques comme le yoga ou le qigong donnait plus de résultats que n’importe quelle cure fondée sur la parole. Pavé dans la mare. Grincements de dents chez les psychanalystes, les cognitivo-comportementalistes, les psychologues humanistes. Divine surprise pour les praticiens du «body business», tenus jusque-là en piètre estime par l’establishment de la santé mentale. Depuis, les gymnastiques et autres médecines douces sont tellement entrées dans les mœurs outre-Atlantique que l’Institut national de la Santé consacre 20 millions de dollars chaque année à leur évaluation.
Le Nouvel Observateur. – Les traumatologues ont été les premiers – et votre travail y a contribué – à légitimer les approches body-mind (corps-esprit). Vous les utilisez couramment dans votre clinique pour soigner les traumatismes graves. Quel peut être leur bénéfice réel pour la plupart d’entre nous qui ne sommes pas de grands brûlés de l’existence?
Bessel van der Kolk. – On se méprend beaucoup sur la notion de traumatisme, qu’on assimile à tort à un événement horrifique et exceptionnel. Il y a bien sûr des situations extrêmes – inceste, torture, guerre, terrorisme… – qui marquent les victimes au fer rouge. Mais il y aussi la foule des malheurs ordinaires inhérents à la condition humaine. S’ils ont été vécus dans un sentiment d’impuissance et de désespoir, ils peuvent eux aussi laisser une cicatrice douloureuse longtemps après les faits. Tous ceux qui ont eu des parents violents, vécu une relation pénible, la mort d’un ami ou même un accident le savent bien. Ils ne présenteront pas forcément tous les symptômes de l’ESPT – cauchemars, irruption de flash-back intrusifs du vécu traumatique, hypervigilance, anxiété, irritabilité, insomnie, dépression. Mais nos recherches nous montrent qu’à un degré moindre de très nombreuses personnes portent la trace du trauma dans leur corps. Tout ce qui soulage cette souffrance héritée du passé est un bienfait qui permet à la personne d’aller de l’avant.
N. O. – Ceux qui pratiquent des disciplines psychocorporelles se font donc plus de bien qu’ils ne le croient. Mais par quels mécanismes les gyms douces agissent-elles sur les vieilles blessures oubliées?
B. van der Kolk. – Pour répondre à cette question, il faut comprendre d’abord comment le trauma s’imprime dans le corps. Quand un événement déborde notre aptitude à faire face, notre psychisme se fige. Les mécanismes d’adaptation biologique et psychologique, perturbés, ne réussissent pas à intégrer l’expérience. Des bribes de sensations, d’émotions sont «dissociées»: elles restent «coincées» dans les régions inférieures du cerveau qu’on appelle le système limbique, loin des régions du cortex frontal où s’élabore, grâce au langage et aux symboles, notre «discours autobiographique». Quand ces bribes sensorielles reviennent en mémoire, ce n’est pas sous la forme de souvenirs ordinaires mais d’intenses réactions émotionnelles. La souffrance, toujours prête à surgir, a donc été littéralement «encapsulée» dans des strates profondes de notre cerveau, hors d’atteinte de l’effort intellectuel ou de l’expression verbale.
N. O. – Sait-on pourquoi le cerveau rationnel est court-circuité?
B. van der Kolk. – Nous l’avons appris il y a une dizaine d’années en étudiant, grâce aux techniques d’imagerie, le cerveau de personnes souffrant d’ESPT. L’évocation du souvenir traumatique déclenche deux réactions simultanées: la région de l’amygdale, siège de la détection du danger, s’active, tandis que le cortex frontal, et particulièrement l’aire de Broca, siège de la parole, «s’éteint». La réactivation du souvenir est donc vécue très intensément, mais sans paroles. Accéder utilement au trauma suppose de trouver le moyen de calmer la réaction de panique pour pouvoir entrer en communication avec le cerveau émotionnel. La médecine occidentale n’est pas la plus efficace à cet égard.

N. O. – Malgré les anxiolytiques?
B. van der Kolk.– Nous savons comment inhiber le système limbique, presque toutes nos molécules médicamenteuses sont inhibitrices. L’action du qigong et du yoga, au contraire, est activatrice: elle mobilise la capacité innée à réguler le flux des émotions excessives.
N. O. – Comment des respirations et des postures y parviennent-elles?
B. van der Kolk.– Pour faire court, nos études montrent que la respiration «attentive» des yogis permet, à travers le nerf vague, d’agir sur l’excitabilité du tronc cérébral. Cette région archaïque – appelée aussi cerveau reptilien – joue un rôle capital dans nos réflexes de survie. Quand elle est perturbée par un stress répété ou par un traumatisme, elle se dérègle et se met à «tirer la sonnette d’alarme» à tout propos. Nous n’en avons pas encore la preuve formelle, mais nous pensons que l’apaisement du cerveau reptilien est nécessaire pour que le lobe frontal puisse entrer en scène: alors seulement le vécu traumatique peut être élaboré grâce aux capacités symboliques du cortex supérieur, pour devenir un «récit» assimilable par le psychisme. Dans notre clinique de Boston, nous offrons par exemple des programmes de théâtre à des enfants des rues. Ils rejouent sur scène des événements traumatiques de leur vie, mais cette fois ils ne se contentent pas de les subir, ils les expriment avec leur corps et avec leurs mots. L’effet est très positif.
N. O. – Une sorte de catharsis symbolique comme dans le psychodrame?
B. van der Kolk.– Il s’agit plutôt d’une intense implication physique. Il ne faut pas oublier que le cerveau est un organe d’action: il est câblé pour mettre le corps en mouvement (que ce soit pour fuir le danger ou pour le combattre) à la moindre alerte. Si les circonstances sont de nature à empêcher l’action – comme dans les situations traumatiques –, l’énergie est déviée de l’impossible décharge musculaire vers une réaction neuroendocrine qui sera vécue comme anxiété, dépression ou mal-être. Avec la répétition du stress ou du trauma, cette réaction tend à devenir conditionnée en termes pavloviens. Il faut donc donner au corps la possibilité de rejouer la scène, cette fois dans un rôle actif. C’est seulement en vivant dans son corps une expérience qui contredit le sentiment d’impuissance associé au trauma qu’on peut réussir à le surmonter.
N. O. – Qu’est-ce qui vous a mis sur la piste des techniques corporelles?
B. van der Kolk. – J’ai longtemps été sceptique. Et impuissant. A la fin des années 1970, je travaillais à la Veteran Administration. J’y ai vu des milliers d’anciens combattants souffrant de cauchemars, battant leur femme, sombrant dans la drogue, l’alcool et l’apathie. On n’avait d’autre outil, hormis les médicaments, que les classiques entretiens censés amener les sujets, par la verbalisation de leur expérience, à mettre de l’ordre dans leur enfer émotionnel. Ils provoquaient souvent des ravages: le corps entier réagissait comme s’il était de nouveau en danger de mort et le gars était incapable d’aligner deux mots. Et puis un de mes patients, qui avait essayé une méthode que je jugeais farfelue, l’EMDR (1), m’a dit: « Je vous aime bien, mais quelques séances de cette méthode m’ont fait plus de bien que quatre ans de thérapie avec vous. » Je me suis immédiatement inscrit à un groupe d’EMDR, et j’y ai découvert la voie royale du corps. Malgré sa bizarrerie, l’EMDR est aujourd’hui reconnu comme un trésor thérapeutique. Je suis persuadé que, parmi les méthodes que les gens pratiquent en cachette de leur médecin, il existe d’autres trésors qui attendent l’évaluation des scientifiques.

(1) Eye Movement Desensitization and Reprocessing: technique psychothérapeutique qui soigne les traumas par des mouvements oculaires.

Psychiatre, neuroscientifique, professeur à l’Université de Boston, directeur du plus grand centre américain de traumatologie, Bessel van der Kolk est l’auteur de l’ouvrage de référence «Traumatic Stress: the Effects of Overwhelming Experience on Mind, Body, and Society», Guilford Press (non traduit en français).

Ursula Gauthier

La revanche de Reich

Disciple rebelle de Freud et adepte de la libération des corps, Wilhelm Reich est mort fou, dans une prison américaine, avant de devenir l’icône du mouvement hippy. Il est aujourd’hui reconnu comme le pionnier du body-mind
C’est Freud lui-même qui le sacre psychanalyste à l’âge de 22 ans. Mais Wilhelm Reich n’est pas un béni-oui-oui. Militant de la libération sexuelle, il se bat pour l’égalité des sexes, le divorce libre, la contraception, l’avortement, l’éducation sexuelle des enfants… Peu satisfait des résultats de la cure analytique qui vise les conflits internes au Moi, il insiste plutôt sur le conflit entre le Moi et l’environnement: la répression au quotidien des besoins vitaux sexuels, émotionnels, psychologiques s’inscrit sous forme de rigidités dans le corps et forme ce qu’il appelle la «cuirasse musculaire». Ces défenses construites dès l’enfance pour éviter les émotions fortes rognent sévèrement le potentiel de l’individu et le condamnent à la névrose. Dès les années 1930, Reich abandonne la réserve des freudiens et intervient directement sur le corps nu du patient par des massages énergiques censés provoquer ses défenses et «casser la cuirasse». Jugé trop radical, il est exclu de la Société de Psychanalyse et émigre aux Etats-Unis en 1939. Dans les années 1950, des recherches de plus en plus délirantes sur la «force de vie universelle» lui vaudront d’être poursuivi: son laboratoire et ses publications sont détruits sur ordre de la justice et il est incarcéré. Mort en prison, fou et oublié de tous, il devient le martyr de la société répressive, l’icône du grand mouvement libertaire des années 1960-1970 et la figure fondatrice de la première vague des thérapies psychocorporelles.

Tout le body business américain se réclame aujourd’hui de sa pensée et le concept de cuirasse fait partie du b.a.-ba du métier. Les développements des neurosciences rendent justice à son intuition du corps porteur d’une mémoire psychosomatique inscrite par couches et accessible à des profondeurs différentes, du niveau de la peau jusqu’à celui de la cellule.
C’est aujourd’hui au niveau cellulaire que la recherche traque en effet les interactions corps-esprit, et les résultats qu’elle obtient auraient fait plaisir au pape de la force vitale. Après avoir cru un siècle durant que le nombre de nos neurones était fini et ne pouvait que diminuer avec l’âge, la biologie s’aperçoit depuis quelques années que le cerveau est en réalité capable de se régénérer, qu’il s’«autorépare» en développant de nouveaux neurones à partir de cellules embryonnaires présentes dans les tissus cérébraux. Cette «neurogénèse» – c’est le point important – ne se produit pas automatiquement, explique le psychologue Ernest Rossi (1). Elle est déclenchée par un certain type de comportement: la découverte d’une nouveauté, l’échange avec un environnement stimulant et la pratique d’un exercice physique. Toute activité qui allie le mouvement et la créativité et qui bannit l’ennui est régénératrice pour notre cerveau et donc bénéfique à l’état général. Mais cela, les adeptes du tai-chi aux 108 mouvements le savent depuis longtemps...

(1) «The Psychobiology of Gene Expression. Neuroscience and Neurogenesis in Therapeutic Hypnosis and
the Healing Arts», New York, W. W. Norton Professional Books, 2002.

Ursula Gauthier
On dit que ça ne prend qu'une minute pour remarquer une personne spéciale, une heure pour l'apprécier, un jour pour l'aimer. Mais qu'on a ensuite besoin de toute une vie pour l'oublier. Cool as ice.
 
Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com
Facebook