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un checheur de CNRS revient sur l'interdiction de sejour de TARIK RAMADAN aux ...
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8 septembre 2004 11:36
n 1996, j'avais déjà été conduit à prendre la défense de Tariq Ramadan : c'est notre ministre de l'Intérieur qui avait entrepris à l'époque de lui interdire l'accès du territoire français. «Si c'est à la modernité informatique qu'il fallait emprunter un concept pour évoquer Tariq Ramadan, écrivais-je alors dans le Monde diplomatique, on dirait de lui qu'il est l'une de ces précieuses interfaces qui permettent d'établir la communication entre deux univers qui, à défaut, risqueraient de demeurer étrangers.»

Aux Etats-Unis, la prestigieuse université Notre-Dame (Indiana) ne s'y est pas trompée, qui a confié à Tariq Ramadan la responsabilité d'un enseignement dans le cadre d'un programme de prévention des conflits. Notre-Dame a, ce faisant, choisi de s'abstraire d'une double règle quasi «sacrée» de la communication occidentale avec le monde musulman. En effet, pour accéder à la félicité intellectuelle et médiatique, un musulman doit encore souvent renoncer à ses croyances et épouser jusqu'à la surenchère celles de son environnement occidental d'accueil. Ou bien ­ à défaut d'être un membre de la tribu respectable des musulmans qui acceptent de ne plus l'être que «le verre à la main» ­, le «représentant de l'Islam» doit, à l'inverse, émaner des groupes les plus extrémistes et les plus frustes. Entre les repoussants hérauts salafis du «Londonistan» et les «laïcs bon teint» qui n'ont pas peur de trinquer avec leurs nouveaux amis, l'université Notre-Dame a eu ainsi le courage de tenter de combler le vide en donnant parole et reconnaissance à un intellectuel crédible au centre du monde musulman (et non dans ses seules marges) mais également «audible» hors de celui-ci. Pour le camp de l'intolérance et du brouillard émotionnel, pour tous ceux qui préfèrent les situations où, à défaut de la justesse de leurs causes, la logique du soupçon et celle de la force leur suffisent à s'imposer, c'en était trop.

L'autorisation d'accéder au territoire des Etats-Unis a été brutalement retirée à Tariq Ramadan au nom de la protection de ce pays contre... le terrorisme. L'administration américaine, qui est à l'origine de cette mesure ­ que légalise le Patriot Act, adopté au lendemain du 11 septembre ­, est certes très loin de représenter l'establishment universitaire et intellectuel de ce grand pays. La cote d'alerte démocratique n'en est pas moins franchie. Elle l'est bien sûr par tous ceux qui, des deux côtés de l'Atlantique, ont appelé plus ou moins discrètement de leurs voeux cette décision ou s'en félicitent aujourd'hui. S'apprête toutefois à la franchir également chacun de nous ­ quel que soit son jugement sur les positions de Tariq Ramadan ­ qui demeurerait silencieux et passif et ne prendrait pas la mesure des conséquences de ce silence.

La portée immédiate du bannissement d'un intellectuel concerne certes en premier lieu les Etats-Unis, (pays où cette décision a été prise) et la Suisse (pays dont Tariq Ramadan porte la nationalité, qui doit de ce fait sentir peser sur lui tout le poids du soupçon de l'administration américaine). Des sources américaines crédibles (le Chicago Tribune du 24 août) permettent de penser qu'elle concerne également très directement la France : les groupes qui ont fait pression pour obtenir de l'administration américaine la révocation de sa décision initiale, pourtant dûment documentée, d'accorder un visa de travail à Tariq Ramadan seraient en fait les mêmes que ceux qui ont orchestré contre lui la haineuse campagne médiatique de l'hiver dernier. L'enquête du Chicago Tribune résume fort bien les mobiles et les angoisses des supporteurs de l'administration américaine : ils diabolisent «les personnalités ou les universitaires dont les points de vue sur l'Islam et le conflit au Proche-Orient contredisent les leurs». Ils s'efforcent de le faire pour que «le point de vue des musulmans ne puisse jamais être exposé en des termes acceptables». Laissons ceux-là à ce qui apparaîtra un jour inévitablement comme leur égarement. L'essentiel est ailleurs.

Les insinuations de l'administration américaine sont tout d'abord parfaitement insultantes pour tous ceux qui ont, y compris aux Etats-Unis, donné par le passé parole et crédit à celui que l'on désigne aujourd'hui sans le moindre début de preuve comme un complice potentiel des pires terroristes. Prenons garde ensuite au fait que l'«Autre» musulman sera pour une bonne part ce que nous en faisons. La criminalisation indistincte de nos interlocuteurs les plus modérés et les plus constructifs remplit jour après jour l'escarcelle politique de leurs concurrents les plus radicaux. En évacuant par voie d'autorité policière les plus gênantes des contestations, le gouvernement des Etats-Unis et tous ceux qui encouragent sa décision se réfugient ainsi dans la pire de ces intolérances dont ils prétendent vouloir guérir leurs interlocuteurs du monde musulman. Devant la perte d'universalité de sa vision politique du monde et de ses tensions, le géant occidental aux pieds d'argile vient en fait de préférer le vilain raccourci de cette exclusion de l'Autre et de manifester un inquiétant refus de toute contradiction intellectuelle, y compris universitaire. Est-ce là un signe de force et de santé ou l'aveu troublant d'une faiblesse anxieuse et maladive ? Est-ce un soutien à notre crédibilité démocratique et éthique dans le monde ou un coup bas qui lui est porté ?

L'essentiel enfin est de prendre conscience que l'intolérance vient de faire une irruption très symbolique sur les terres de la liberté d'enseignement et de la libre circulation des chercheurs et que cet empiétement du pouvoir politique sur les libertés universitaires piétine allégrement les plus précieuses franchises académiques.

Tariq Ramadan est-il un agent ou un supporteur d'Al-Qaeda ? Qu'on laisse alors le filet de surveillance électronique qui entoure ses moindres gestes le démontrer d'autant plus facilement qu'il résidera au coeur du dispositif policier et sera alors à son entière disposition. Pose-t-il des questions qui gênent et dont le vaste écho perturbe et signale certaines de nos contradictions ? Alors, de grâce, sachons affronter cette réalité dérangeante avec les armes de la Raison, forgées au siècle des Lumières, et non point celles ­ soupçons irrationnels, insinuations inquisitoriales et amalgames en tout genre ­ héritées des heures les plus sombres de notre histoire.



François BURGAT
chercheur au CNRS.








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10 septembre 2004 08:54
Je suis tout a fait d'accord avec ce Monsieur Francois BURGAT. Les USA avec une telle decision a montre que elle aussi peut etre victime des esprits bornes, integristes et intolerents et surtout peureux de l'opinion de l'autre.
 
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