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«Les Marocains nous ont bastonnés comme des ânes»

Témoignages d'immigrés sénégalais rapatriés à Dakar par le Maroc.

«Je veux parler, on sort les bâtons. Je veux boire, les bâtons. Je veux manger, les bâtons. Je veux pisser, encore les bâtons», Kokoubo Dramé, 29 ans, ancien boulanger à Dakar et candidat à l'immigration vers l'Europe, se remémore tristement et haineusement les six jours passés dans les prisons marocaines. Il a été rapatrié de force, hier au Sénégal, dans le troisième vol depuis lundi.

A peine descendus du bus qui les attendait à la sortie de leur avion provenant du Maroc, Kokoubo et plus de 140 Sénégalais rapatriés s'assoient sagement sur des bancs. Calmes, les hommes portent pratiquement tous les mêmes joggings, gracieusement offerts par les Marocains. Quelques-uns ont les mains ou les pieds bandés, d'autres se déplacent avec des béquilles mais tous restent silencieux dans ce hangar près de l'aéroport de Dakar, passage obligé pour les quelque 430 Sénégalais qui n'ont pas eu la chance de franchir les grillages des enclaves espagnoles.

Identification. Kokoubo attend son tour comme les autres pour se faire vacciner contre la fièvre jaune avant de se présenter devant les policiers pour la prise d'empreintes et l'identification. Jamais il n'a pensé qu'entrer en Europe, c'était recevoir des coups, lui qui a perdu plus d'1 million de francs cfa (1 500 euros) dans ce voyage. «On pense qu'entrer en Europe, c'est gagner quelque chose, c'est ça qu'on cherche, une Europe pour aider la famille et ne pas être un voleur ou un clochard.»

Alors il a pris la route, il y a un an. «Je suis parti d'abord en Afrique centrale, puis en Algérie pour rentrer au Maroc où je faisais le business avec les Marocains mais toujours ça tournait mal, ils mangeaient mon argent alors comme j'ai vu des gens passer au grillage, je suis parti pour tenter ma chance. J'ai tenté, je suis rentré à Melilla, les Espagnols m'ont pris et donné aux Marocains qui ont commencé à taper, à fouiller. Ils ont pris mon téléphone, tout l'argent que j'avais, même mes chaînes plaquées et mes papiers, ils ont tout pris et après, lance Kokoubo, tapé, attaché les mains dans le dos, par deux, et amené en prison pour nous maltraiter. Et mes blessures, poursuit-il de plus en plus énervé, c'est pas au grillage car le grillage il nous blesse pas, j'avais fait une échelle sans problème, non les blessures, c'est à cause du tabassage des Marocains.»

Arona Cissoko approuve. Assis à côté de lui, il a presque le même parcours, la même histoire, exception faite qu'il a 15 ans et qu'il est parti depuis six mois. Sur son trajet, il reste flou, mais il montre ses baskets ouvertes sur le devant et complètement élimées. Il a marché et marché pour arriver à Nador où «il a fait l'assaut» avec 400 clandestins dans la nuit de mercredi à jeudi dernier. Bilan : 6 morts. «Mais nous, Dieu nous a sauvés, les balles ne sont pas tombées sur nous. Par contre, lorsque les Marocains nous ont emmenés en prison», et là il jure en arabe devant Dieu, «ils nous ont bastonnés comme des ânes et c'est du pain sec seulement qu'on mangeait, une journée, un pain. Pendant six jours, on nous a maltraités. Quand les Marocains disent que le Sénégal et le Maroc, c'est deux pays comme ça», montre-t-il en collant ces deux mains pour les relier, «eh bien non ! C'est pas un pays frère, sinon ils nous auraient pas traités ainsi. Lors de l'attaque, il y en a qui n'ont même pas réussi à atteindre le grillage, ils ont tiré comme ça, à balles réelles. Il y en a qui sont morts».

Trop de morts. Hors du hangar, Babacar, 25 ans, mange du pain près de sa soeur. Arrivé hier, il va «retourner au Maroc, inch Allah, car (il) travaille là-bas. Ce sont les clandestins qui ont amené les problèmes». Pris dans une rafle, ce Sénégalais était guide au Maroc depuis trois ans et n'avait pas renouvelé sa carte de séjour. Enchaîné dans le désert sans eau ni nourriture avant de retourner à Oujda pour prendre l'avion pour Dakar, Babacar ne comprend pas car lui «n'est pas clandestin». Si certains, comme Amadou Diallo, blessé à la tête lors d'un assaut, ne retenteront pas le périple car ils ont vu trop de morts, d'autres comme Kokoudou réessaieront car «il n'y a pas de futur, c'est la malchance maintenant. On n'a rien. Le futur, c'est recommencer à zéro».


Source: Libération

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