Al Jazeera English s’emmêle les pinceaux. Dans une courte vidéo d’1 min 36, la version anglaise de la chaîne qatarie aborde le décès tragique de Mohcine Fikri, survenu vendredi 28 octobre à Al Hoceima, broyé par une benne à ordures.
La vidéo, ponctuée de courtes phrases rappelant les principaux faits, revient sur la vague de protestations qui a déferlé sur le royaume, notamment à Al Hoceima, Casablanca et Rabat. «On est venus pour condamner le crime odieux perpétré contre le martyr Mohcine Fikri», clame une manifestante. Le ministre de l’Intérieur, Mohamed Hassad, apparaît également plus loin : «Nous avons reçu des consignes strictes de la part de Sa Majesté le roi Mohammed VI pour mener une enquête minutieuse qui déterminera les responsables» du drame, déclare-t-il.
Protests erupt in Morocco after fish vendor #MouhcineFikri was crushed to death when he tried to retrieve his fish from a garbage truck. pic.twitter.com/kj4rzwpLu8
— Al Jazeera English (@AJEnglish) 31 octobre 2016
Puis, passant du coq à l’âne, Al Jazeera English évoque le blocage de la VoIP sur fond de vaste manifestation, laissant croire que la décision des opérateurs téléphoniques du royaume a été déclenchée tout récemment à la suite des mouvements de protestation populaires de ce week-end.
Des images «décontextualisées»
Enfin, la vidéo revient sans transition sur la tentative de suicide du Tunisien Mohamed Bouazizi, le 17 décembre 2010, dont le décès quinze jours plus tard, le 4 janvier 2011, avait été le déclencheur des révoltes du Printemps arabe. Ce marchand de fruits s’était immolé par le feu à Sidi Bouzid, ville du centre tunisien mis au ban par le pouvoir de Ben Ali, pour protester contre la confiscation de sa marchandise par les autorités.
Les destins croisés des deux hommes, dont ils ont semble-t-il perçu la saisie de leurs produits comme une (énième) humiliation, ont d’ailleurs été largement commentés dans la presse étrangère. «Mohamed Bouazizi appartenait à la Tunisie de l'intérieur, celle qui est méprisée par Tunis depuis trop longtemps. Mohcine Fikri appartenait au Rif. Sa mort atroce a de tristes résonnances avec l’allumette grattée en décembre 2010 par Mohamed Bouazizi», lit-on dans une chronique du Point. «Le vendeur de poisson tué à Al-Hoceima est-il le Mohamed Bouazizi marocain ?», titre encore un article de Slate Afrique, quand le Dauphiné parle d’un «scénario à la Bouazizi».
Si les points communs abondent, on note cependant quelques disparités : le Tunisien s’est suicidé alors que le trentenaire d’Al Hoceima - contrairement à ce qu'on pu avancer précipitamment certains médias - s'est opposé à la destruction de la marchandise et a été tué, comme l'indique la qualification des faits (homicide) par le procureur du Roi. Mais dans cette volonté de rapprocher les deux situations, l'allusion au blocage de la VoIP (comme ce fut le cas d'Internet lors des révoltes en Tunisie ou en Egypte) semble pour le moins tirée par les cheveux. Alors, simple approximation journalistique d'Al Jazeera English ou impatience de voir la saison 2 du Printemps arabe ?