Rabat, 26 Mai 2012. La 11ème édition du festival Mawazine, Rythmes du Monde, prend fin avec le concert de Mariah Carey, après neuf jours de festivités musicales durant lesquelles se sont succédées de nombreuses têtes d’affiche internationales parmi lesquelles Magic System, LMFAO, Pitbull, Evanescence, Gloria Gaynor ou encore Lenny Kravitz. Programmée intentionnellement à la fin, la performance de clôture de la diva américaine se veut à l’image du festival, de ce qu’il a été : le couronnement musical ultime, la cerise sur le gâteau; bref, le point d’orgue d’une réussite musicale et culturelle consacrant (verbatim) : «la découverte, l’ouverture et la tolérance».
«Un pays qui emprisonne ces artistes pour le seul fait de s’exprimer au travers de leur musique ne peut prétendre être un défenseur la culture. C’est impossible.» Ce constat catégorique et tranchant est de Rachid El-Belghiti, l’un des chefs de file de la campagne anti-Mawazine qui, une nouvelle fois cette année, est venue contrarié le déroulement du festival de musique organisé par le Maroc. Par delà sa virulence, l’assertion d’El-Belghiti tend à souligner un paradoxe essentiel : comment un pays, qui continue de mener en coulisse une politique oppressive à l’encontre de ses dissidents – fussent-ils de simples artistes engagés, peut-il se targuer d’être un défenseur de la culture ? La tenue d’un festival de musique, aussi grandiloquent soit-il, peut-elle passer pour circonstance atténuante ?
Consacrant l'ouverture et la tolérance vous avez dit ?
El 7a9ed, du confort rudimentaire de sa cellule de prison, doit certainement en penser différement. Ainsi que ses avocats. Ou que les ONG tels qu’Human Rights Watch (HRW), pour ne citer que celle-là.
«Chaque printemps, le Maroc organise une série de célèbres festivals musicaux internationaux, mais cette année en même temps il met en prison l’un de ses propres chanteurs, simplement à cause de paroles et d’images qui déplaisent aux autorités» avait d'ailleurs déclaré la directrice du hub Afrique du Nord-Moyen Orient d’HRW, Sarah Leah Whitson, dans un communiqué officiel publié début mai sur le site web de l'ONG. Et la directrice de renchérir : « la réputation du Maroc devrait venir de ce qu’il est un havre pour les musiques du monde entier, et non de ce qu’il musèle les chanteurs qui ont un message politique.»
Par chanteurs aux messages politiques, la directrice de HRW fait évidemment allusion à Mouad Belghouat, alias El 7a9ed, le rappeur populaire marocain qui a été condamné à un an de prison ferme pour «outrages et insultes aux autorités» une semaine à peine avant l’ouverture du festival. A l’origine des charges qui lui sont reprochées, la publication d’un vidéo-montage intitulé «Chiens de l’Etat» dans lequel le chanteur-dissident attaquerait au vitriol la corruption qui sévit au sein de la police marocaine; une invective qui en succèderait à de nombreuses autres qu'il aurait précédement dirigé contre l’injustice sociale et la monarchie ; probablement l’invective de trop.
Mais qu'à cela ne tienne puisqu'une semaine après son emprisonnement, Belghouat sera rejoint par l’un de ses fidèles supporters, le poète dissident Youssef Belkhdim, condamné pour sa part à deux ans de prison ferme pour avoir frappé un policier durant un sit-in organisé en soutien au chanteur – une accusation qu’il nie formellement.
Du tape-à-l’œil pour tromper l’œil
A l’image de bien d’autres réalités du pays, le festival Mawazine met en exergue les nombreuses contradictions du Maroc, son paradoxe immanent : comment un pays dans lequel la pauvreté et l'analphabétisme sont des réalités criardes, peut-il investir des millions de dollars dans l’organisation d’un festival gratuit (pour l'essentiel) mettant en scène des superstars internationales aux cachets mirobolants?
Selon les organisateurs du festival, la réponse est simple et tient essentiellement en un mot : l’image ! Image du Maroc à l’étranger, image du Maroc dans le monde, tout est justifié et justifiable par l’image. Investir 7 millions de dollars dans l’organisation d’un évènement musical qui absorbe l'essentiel des budgets de sponsoring des manifestations culturelles du pays est pertinent puisqu’il en améliore l’image – du pays – à l’international ?
«C’est une célébration. Célébration de la ville, célébration du Maroc, et cela reflète la qualité de vie du Maroc dans le monde» déclare le directeur du festival Mahmoud Lemseffer. «C’est une façon de véhiculer l’image du pays, de son hospitalité, de sa tolérance» ajoute-t-il.
Pour Rachid El-Belghiti, ce message ne peut évidemment être que d’une amère ironie. Pourquoi? Tout simplement parce que pour lui, comme pour de nombreux autres, «l’image du Maroc» convoyée par Mawazine est fausse, un trompe l’œil qui passe par le tape-à-l’œil pour masquer la réalité crue de ce que le festival et son organisation engendrent : pendant que des millions sont investis dans les cachets mirobolants de stars internationales, des théâtres et écoles de danse ferment partout dans le pays en raison d'un manque de financement. Pire encore, comble de l'ironie : pendant que la tolérance et l’ouverture sont chantées sur scène, la fermeture et l’intolérance sont pratiquées en coulisse. Voici la réalité qui se cache derrière l'image du festival.
Quand l'on voit ça, on ne peut que se rappeler les paroles du poète romain Juvénal lorsqu'il disait «donner leur du pain et des jeux, et le peuple sera content».