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chevalier de l'islam
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13 septembre 2005 21:43
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[www.letemps.ch]

Chevalier de l'islam


L'intellectuel musulman genevois a décidé de s'installer à Londres pour y poursuivre son combat en faveur d'une meilleure intégration de l'islam à l'Occident. Et de l'Occident à l'islam.


Etienne Dubuis, envoyé spécial à Londres
Lundi 12 septembre 2005

Il faut aller toujours plus loin pour rencontrer Tariq Ramadan. Jusqu'à récemment établi à Genève, l'intellectuel musulman le plus médiatique d'Europe s'est désormais installé à Londres. Pas facile de suivre cet empêcheur de penser en rond. On l'avait laissé sur un plateau de télévision face à un Nicolas Sarkozy particulièrement agressif. Puis on l'avait aperçu frappant en vain à la porte de l'Amérique, chargé d'enseignement à la prestigieuse université Notre-Dame, dans l'Indiana, mais interdit d'entrée aux Etats-Unis par une administration Bush convertie au maccarthysme. On le retrouve aujourd'hui en Grande-Bretagne, chargé de deux cours à l'université d'Oxford et engagé par le gouvernement de Tony Blair – le meilleur allié de Washington... – dans un think tank consacré à l'extrémisme violent.

Mercredi midi, dans une rue excentrée de Londres. Le rendez-vous a été fixé devant une bouche de métro où se presse une foule de toutes origines, européenne, africaine, moyen-orientale, indienne, asiatique. Quelques femmes portent le foulard, d'autres la minijupe. Tariq Ramadan apparaît détendu malgré un emploi du temps chargé. Il remet au journaliste de passage une cassette où il vient d'enregistrer une longue réflexion sur ses valeurs: une intervention destinée au 1er Festival francophone de philosophie de Saint-Maurice où il a été invité mais où il a dû renoncer à se rendre en raison de ses nouvelles obligations. Puis il en vient à son nouveau quartier. «Ce qui me plaît ici, confie-t-il, c'est le mélange, le fait d'être tous ensemble. Plus loin, c'est différent, la population est essentiellement pakistanaise.»

Côté restaurants, notre hôte a l'embarras du choix. Il y en a, là aussi, de toutes les nationalités: italiens, grecs, turcs, thaïs. Va pour un népalais, repéré quelques jours plus tôt, puisqu'il a «l'air sympa». L'endroit, presque vide, résonne des cliquetis de la cuisine et de musique indienne. Tariq Ramadan prend place sous une collection de masques blancs et noirs, représentant diverses divinités hindoues, puis plonge son regard dans la carte des mets avec une moue dubitative. «Je ne suis pas très gourmand, reconnaît-il. J'ai juste un faible pour les bonbons et les glaces.» Avant d'avouer: «J'aime aussi beaucoup les fruits. Mais ça, c'est lié à mon enfance. Ma famille a connu pendant quelques années des difficultés économiques et nous n'avons pas toujours eu des fruits à table.» Les temps ont changé. Le choix est aujourd'hui un peu plus grand. Mais l'homme reste sobre: ce sera un peu d'agneau, du riz et une bouteille d'eau. Gazeuse? Non, plate.

Alors, que devient-il? Et, surtout, qu'est-ce que ce travail de conseiller du gouvernement britannique? Tariq Ramadan explique qu'il a été invité à participer à un groupe de réflexion sur l'extrémisme, noyau dur d'une task force créée au lendemain des attentats du 7 juillet dans le but d'étudier et, si possible, d'améliorer les rapports entre la société britannique et l'islam. A ceux qui s'étonnent de cette nomination étant donné la méfiance dont il est souvent l'objet, l'universitaire répond que c'est surtout en France qu'il rencontre des problèmes, et qu'ailleurs en Europe il collabore avec de nombreux gouvernements.

A Londres, bien qu'il soit intégré au système, l'intellectuel assure qu'il ne montrera aucune complaisance. «Je dis haut et fort qu'aucun Etat ne peut prétendre gérer ses musulmans ou le monde musulman sans les musulmans, explique-t-il. Les musulmans sont une partie de la solution et pas exclusivement la réalité du problème.» Dans cette perspective, il défend trois idées: que les responsabilités sont partagées, ce qui signifie que toutes les parties doivent se livrer à une autocritique; qu'une réponse uniquement sécuritaire est vouée à l'échec; et qu'un effort de définition est nécessaire.

«Lors de notre première séance, se souvient Tariq Ramadan, j'ai insisté là-dessus en disant que nous ne devions pas faire semblant de parler du terrorisme en général, alors que nous étions là pour parler de l'extrémisme islamiste. Ensuite, j'ai abordé cette dernière notion. Un conservateur est-il un extrémiste? Pas forcément. Quand, alors, le devient-il? Et puis quelle relation existe-t-il entre l'extrémisme religieux et l'extrémisme politique? On peut être l'un et pas l'autre. Ce que j'aimerais, c'est complexifier le portrait de la communauté musulmane. Ce n'est pas en simplifiant que l'on trouve des solutions.»

Mais l'universitaire n'a pas que des interrogations, il a aussi quelques idées claires sur le sujet. Et notamment sur le processus qui peut pousser aujourd'hui un musulman de la pratique religieuse au radicalisme politique. «Une telle évolution peut provenir d'une lecture strictement politique des textes, note-t-il. Cela consiste à lire des passages du Coran décrivant un conflit avec les non-musulmans et à les transposer à l'époque actuelle comme des vérités absolues et éternelles. Un même glissement peut découler d'une lecture simplement manichéenne, qui n'est pas immédiatement politique mais peut le devenir en période de crise, parce que le sujet est si peu conscientisé qu'il est manipulable à merci. Les talibans en sont un exemple mais aussi certains jeunes musulmans d'Occident.»

Osons, à ce stade, la remarque: de nombreux non-musulmans considèrent que l'islam se prête particulièrement bien à ce genre de dérapage, par son utilisation d'un certain nombre de concepts aujourd'hui célèbres, tels ceux de «djihad» ou de «demeure de la guerre» par opposition à «demeure de l'islam». Vrai ou faux?

Tariq Ramadan admet la remarque. «Cette idée-là est en partie fausse et en partie vraie, concède-t-il. En partie fausse parce que tous les grands textes religieux, y compris la Bhagavad-Gita qui a inspiré la non-violence d'un Gandhi, abritent ce genre de notions. Mais en partie vraie, parce que l'exégèse des savants musulmans à travers l'histoire encourage la confusion. A partir du XIIIe siècle (ndlr: l'invasion du Moyen-Orient par les Mongols), le monde musulman adopte une conscience de dominé et son discours religieux s'en trouve profondément imprégné: il ne s'agit plus que de se protéger contre un extérieur hostile. Et cela dure encore! Il est plus que temps d'abandonner cette posture pour sortir l'islam du rapport dominant-dominé et lui permettre de renouer avec sa dimension universaliste. Il est plus que temps de débarrasser les musulmans de leur réflexe du «nous et eux», et de leur présenter l'Occident comme un espace de témoignage et non pas de confrontation.»

Tariq Ramadan se présente comme un pont entre l'islam et l'Occident, un conciliateur de leurs diverses cultures. Comment explique-t-il dès lors le soupçon d'hypocrisie et de double langage dont il est l'objet? L'universitaire sourit. «On a concentré en une personne toutes sortes de peurs: ces Arabes qui arrivent, ces Arabes qui parlent notre langue, ces Arabes qui s'affirment. J'admets tout à fait cela. Il y a 15 ou 16 ans, j'ai même écrit un texte où je disais qu'une telle période de tension était naturelle.»

Mais ne prête-t-il pas à confusion lorsqu'il propose, par exemple, un moratoire sur les châtiments corporels, la lapidation et la peine de mort dans le monde musulman au lieu d'en prôner tout bonnement l'interdiction? «J'estime que le Coran et la Sunna commandent le bannissement de ces peines, puisqu'ils ne les autorisent qu'à certaines conditions et dans un certain contexte et que ces conditions comme ce contexte sont inexistants aujourd'hui, rétorque-t-il. Je propose un moratoire pour parer au plus pressé, comme le fait Amnesty International dans des circonstances similaires. L'interdiction de ces châtiments, elle, ne peut pas être prononcée par un homme seul. Elle ne peut être imposée qu'à l'issue d'une large discussion entre personnalités à la compétence reconnue. Ce qui m'intéressait, c'était de lancer le débat.»

Le repas touche à sa fin. Un dessert? Tariq Ramadan contemple un moment la carte des glaces, hésite, puis commande un simple café noir. La discussion dévie, pour s'étendre à des considérations plus personnelles, à sa prime jeunesse marquée par de nombreux voyages, qui l'ont emmené notamment dans des pays musulmans. «J'étais très intégré à la société suisse mais j'ai été troublé par la découverte de populations de la même tradition que moi victimes de profonds tiraillements. Je l'ai d'abord vécu et ensuite écrit avant de retourner sur le terrain. C'était une espèce de va-et-vient. Cherchait-il un sens à sa vie? «Plutôt une cohérence», corrige-t-il, et avec ça on n'a jamais fini.»

Une confidence tombe. Adolescent, Tariq Ramadan lisait énormément – «de 5 à 8 heures par jour» – et dévorait la littérature. Les auteurs russes le passionnaient, à commencer par Dostoïevski: ah! les frères Karamazov, le premier profondément physique, le deuxième porté à la rationalité et le troisième attiré par la sainteté! Mais plus encore que le roman, c'est la poésie qui fascinait le jeune musulman genevois. Rimbaud! «Je savais la moitié de son œuvre par cœur et je pourrais vous en réciter encore de longs passages. Cela fait partie de moi.» Qu'y trouvait-il? «La quête. La quête perpétuelle de celui qui est libre et cherche la liberté, qui est en prison et cherche l'emprisonnement, qui aspire à l'harmonie et vit dans la contradiction.» Et puis, termine-t-il, «c'est très beau parce que c'est un poète adolescent. Il a vécu l'adolescence en des termes de maturité et sa maturité comme un adolescent».


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