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Tribune

Femmes et révolutions arabes : Quels changements ?

Il est évident que ce que l’on appelle aujourd’hui les révolutions arabes symbolisent le changement dans toute sa réalité. Le monde arabe est en train de vivre sans aucun doute l’un des changements sociopolitiques les plus importants et les plus marquants de son histoire contemporaine.

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Temps de lecture: 7'

Les évènements que connaissent cette région depuis une année maintenant, expriment, malgré leurs différents contextes, leurs spécificités conjoncturelles, leurs échecs et leurs réussites, leurs drames et leurs joies, les mêmes aspirations légitimes : à savoir celles de peuples qui clament tous, haut et fort, leur exigence de dignité, de liberté et d’une véritable citoyenneté égalitaire.

Quelques soient le futur et le processus évolutif de ces révolutions, force est de constater, que ce changement est déjà là. Des femmes et des hommes se sont libérés de la peur, du poids de l’humiliation et du désespoir et on pu, le plus souvent, au détriment de leurs vies, revendiquer des valeurs communes universellement partagées par tous les opprimés sur terre. Ils ont réussit à démontrer que l’injustice dans laquelle ils vivaient n’étaient pas une fatalité et qu’ils pouvaient la changer.

Ces révolutions ont donc surpris l’opinion internationale et le monde entier a commencé à porter un regard nouveau sur cette région du monde que l’on pensait à jamais condamnée à vivre à la marge de l’histoire des démocraties. Elles ont bousculé de très nombreux clichés qui associaient le monde arabe - terre d’islam - au refus de la démocratie et au rejet de la modernité mais aussi et surtout à celui d’un monde où les femmes étaient des victimes passives de leur histoire et des éternelles soumises à un ordre patriarcal immuable !

Les révolutions arabes où le changement qui a fait volé en éclat les préjugés envers les femmes arabes et musulmanes

En effet, les révolutions arabes ont désavoués l’un des préjugés les plus tenaces sur le monde arabe à savoir celui du statut de ces femmes considérées comme étant des êtres condamnées à être invisibles et silencieuses. Or, justement, la visibilité des femmes voire leur très forte participation dans les manifestations était incontestable.

Les femmes étaient omniprésentes au cœur des manifestations, et elles ont joué, de ce fait, un rôle de premier ordre dans la mobilisation politique de leurs sociétés respectives.

C’est ainsi que de nombreuses figures féminines arabes se sont ainsi démarquées sur la scène politique. C’est le cas en Tunisie de la jeune bloggeuse Lina Mheni, la première a avoir alerté les médias internationaux sur les exactions commises par l’ancien régime envers les premiers manifestants de la révolution du jasmin.

En Egypte, c’est Asmaa Mahfouz qui dans une vidéo célèbre postée sur internet a appelé ses compatriotes hommes à descendre à la place Tahrir au nom de leur honneur afin de faire tomber le régime de Moubarak.

En Syrie, c’est la célèbre actrice Fadwa Souleimane, qui s'est dressée contre la dictature du parti Baas, tandis qu’au Yemen, pays connu pour son utlraconservatime, c’est une jeune journaliste, Tawakul Karman, militante des droits humains, qui a dirigé, pendant des mois, les manifestations contre le régime yéménite . C’est cette même femme qui a reçu d’ailleurs le prix Nobel de la paix de cette année. Prix pour la première fois décernée à une femme arabe…

Les femmes des révolutions arabes n’ont donc pas seulement ébranlé le cœur des despotismes mais elles ont aussi brisé de vieux mythes dont celui récurrent des femmes arabes impuissantes et réduites à une symbolique victimaire éternelle.

On connaît tous les discours assez récents, encore en vogue, et les éternelles tapages médiatiques sur les femmes arabes et musulmanes, avec leur statut juridique aléatoire, leur émancipation toujours retardée, leur mise sous tutelle culturelle, leurs «Burquas» et «voiles» de tout genre…Tous ces clichés qui ont finit par construire dans l’imaginaire collectif contemporain une image indélébile : celle de femmes inéluctablement aliénées. Image très subtile, qui par ailleurs, entretient sournoisement, l’idée que l’inégalité des sexes est finalement structurelle à la seule symbolique arabo- islamique.

Or, on oublie trop souvent qu’il existe une universalité de la culture de discrimination envers les femmes. L’oppression des femmes est universelle et chaque contexte sociopolitique, géographique et culturel est caractérisé par ses propres rapports de domination.

L’inégalité des droits entre femmes et hommes a été la règle pendant des millénaires et malgré des acquis incontestables de la modernité, la situation subalterne des femmes est un phénomène qui traverse toutes les cultures et toutes les civilisations. Un seul exemple pour illustrer cette inégalité mondiale : 7 femmes chefs d’état pour 143 chefs d’états hommes !

A l’aune des révolutions, quels changements pour les femmes arabes ?

S’il est vrai qu’il y a eu, avec ces révolutions, une véritable remise en question des stéréotypes concernant les femmes arabes, cette visibilité des femmes au devant des scènes socioculturelles n’est pas nouvelle.

Il faudrait donc d’abord préciser que le leadership féminin n’est pas né de ces révolutions arabes mais qu’il s’agit d’un processus antérieur précédé par une longue lutte des femmes arabes depuis le temps de la renaissance arabe ou Nahda. Les femmes arabes ont depuis longtemps investit tous les pans de la société et leur participation effective dans tous les domaines n’est plus à démontrer. Sauf, qu’il faudrait savoir reconnaître que malgré toutes les avancées ici et là – qui dépendent aussi de chaque contexte – les femmes arabes sont restées, dans une grande majorité des cas encore, prises en otage entre leurs aspirations à vivre et à s’engager pleinement dans la modernité et leur tutelle culturelle à un ordre patriarcal souvent cautionné par un discours religieux discriminatoire.

En effet, la réalité de la majorité des musulmanes d’aujourd’hui est celle de ces femmes qui se retrouvent «ballottées» entre des traditions culturelles qui les infériorisent au nom du sacré et une modernité idéalisée sensée les libérer de tous les maux. C’est de ce vécu dont il s’agit, celui des femmes éduquées à vivre le spirituel non pas comme un choix mais comme une tradition culturelle imposée tout en subissant en même temps les bienfaits et les méfaits d’une modernité qui se voudrait antinomique avec toute quête de spiritualité et qui reste très attrayante par ses slogans de liberté et d’émancipation.

C’est tout le dilemme du sens que revêt la modernité dans le vécu des femmes musulmanes d’aujourd’hui, pour qui, concilier foi et spiritualité avec les principes d’émancipation et de liberté semble être difficile voire opposé aux valeurs islamiques.

Or, il s’agit là d’une donnée fausse et erronée, le message spirituel de l’islam, comme celui de toutes les spiritualités, n’a jamais été en contradiction avec les valeurs de liberté et d’émancipation de l’être humain, bien au contraire ; la dimension libératrice est au cœur de ce message. Mais c’est bien une certaine lecture du religieux et son interprétation littéraliste qui produit ce type d’assertions malheureusement bien ancrés dans de nombreuses mentalités.

Il faudrait que l’on refuse de rester dans ces schémas binaires et réducteurs qui font que les femmes musulmanes devraient choisir entre une certaine modernité supposé être inhérente à la seule culture occidentale et une spiritualité généralement perçue comme étant source d’archaïsme.

Tout d’abord, les concepts universels tels que, la liberté, le progrès et la raison ne sont pas le monopole exclusif de la seule civilisation occidentale, ils sont inhérents à un universel culturel commun appartenant à toute l’humanité dans lequel l’apport islamique a été plus important qu’on le pense.

Et puis la modernité n’est pas de rompre avec son passé, son histoire ou sa propre civilisation mais plutôt de rehausser le rapport que l’on a avec ce passé. Il ne s’agit pas non plus de s’y enfermer dans une lecture d’idéalisation, mais bien de le relire avec cohérence et réalisme car justement c’est en son nom que l’on a voulu – et que l’on veut toujours - imposer une culture d’asservissement des femmes – et des hommes aussi - au nom du sacré.

C’est pour cela qu’actuellement beaucoup de femmes arabes tentent de se réapproprier leur histoire et leur référentiel trop longtemps soumis à une lecture discriminatoire.

La visibilité des femmes lors de ces révolutions symbolise aussi l'émergence d'un renouveau féminin qui était déjà en marche : celui de femmes qui prônent une troisième voie : à savoir celle qui allie entre leur appartenance spirituelle et leur modernité avec ses droits et ses responsabilités. Entre modernité et spiritualité, il n’y a pas à choisir, parce que tout simplement l’une ne va pas sans l’autre : la modernité sans spiritualité est sans âme …et la spiritualité sans modernité est irréaliste …

Avec ces révolutions, rien n’est encore gagné…ni pour les démocraties ni pour les femmes

Il serait encore tôt pour pouvoir faire une évaluation détaillée ou un bilan précis des changements que pourraient apporter ces révolutions aux femmes mais aussi à toutes les sociétés arabes. Mais à vrai dire les signes que l’on aperçoit ici et là ne sont pas très encourageants ! Mais, faut-il le rappeler c’est là le propre de l’histoire des lendemains de toutes les révolutions qu’a connu l’humanité et qui ont été sources de déception pour les femmes.

Les femmes, toujours présentes aux premiers rangs des grandes révolutions, se sont retrouvées par la suite marginalisées et on leur a demandé gentiment de revenir à leurs foyers. Cela a été le cas avec les révolutions Française, Russe et les luttes anticoloniales au Maghreb, c’est encore vrai aujourd’hui par exemple en Égypte où l’on tente de récupérer l’élan initial et spontané des premiers soulèvements. En effet, pendant que les jeunes femmes étaient présentes au péril de leur vie sur la place Tahrir, les militants des frères musulmans et des associations salafistes étaient bien terrés dans leurs abris alors qu’aux lendemains des législations très peu de femmes ont été proposées par ces mêmes mouvements. Mais la discrimination n’est pas le propre des seuls islamistes, elle transcende toutes les idéologies et elle a été superbement symbolisée par les «tests de virginité» imposés aux femmes présentes dans les manifestations par les militaires de ce même pays.

Au Maroc, malgré les réformes de la Moudawana, les revendications des jeunes du 20 février, la constitution avec son article 19 qui stipule l’égalité entre les femmes et les hommes, le constat dans la réalité politique est assez décevant, puisque l’on ne retrouve qu’une seule femme dans le gouvernement marocain. Mais en même temps et c’est là l’un des exemples du paradoxe du Maroc, au lendemain de la nomination de ce gouvernement presque sans femmes, c’est une femme, Nabila Mounib, qui est à la tête d’un parti politique PSU, une première dans l’histoire de ce pays !

Les femmes arabes à travers ces révolutions se sont donc révoltées contre deux discours, celui de la lecture culturelle traditionaliste et celui des despotismes politiques. C’est dans ce sens qu’Il faudrait, continuer à lutter pour déconstruire cette double composante : celle des inégalités sociopolitiques et celles des discriminations sexistes traditionnelles. Et c’est évidemment en travaillant sur ces deux volets démocratie et réformisme religieux que les transformations sociales peuvent avoir des chances de véritablement se concrétiser au sein de la réalité du terrain.

Il y aura surement encore d’énormes résistances à ce processus d’émancipation mais la dynamique est déjà en marche et rien ni personne ne peut inverser le cours de l’histoire quand le changement est là…

Visiter le site de l'auteur: http://www.asma-lamrabet.com

Madame Youssef Amrani
Auteur : simontemplar
Date : le 19 février 2012 à 15h42

Mme. Asma Lamrabet, sera certainement dans un avenir trés proche Ministre comme son mari, Monsieur Youssef Amrari Ministre Delegué aux Affaires Etrangeres, au Maroc tou monde cherche la meme.
Où sont les femmes ???
Auteur : JusteCjuste
Date : le 16 février 2012 à 18h08
Comme dit Patrick Juvet, "où sont les femmes", Pratiquement inexistantes dans les gouvernements arabes, c'est une façon de faire comprendre que la femme n'a pas sa place dans la société active, "elle" doit se cacher, mais pas "lui".
avec les nouveaux gouvernements formés après les révoltes arabes, cela sera pire que avant, c'est les femmes que vont souffrir plus.
Article
Auteur : Batignolles
Date : le 16 février 2012 à 11h01
Merci Madame Asma Lamrabet. excellent article.
Révolutions ou Régression?
Auteur : khayyam28
Date : le 15 février 2012 à 20h46
Je ne comprends pas. Pour moi, le monde arabe est pire qu'il ne l'était! Quel est la part des femmes ds les nouveaux gouvernements?????

Tant que la femme se sentira obligée de se mettre un fichu sur la tête pour se sentir respectée sois-disant, le monde arabe ne s'améliorera pas.

Tunisie, Egypte, Lybie et Maroc: Je ne note aucune amélioration de la situation des femmes, bien au contraire!
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